Partagez sur "Chroniques Kényanes ou l’Odyssée d’un Noir en Afrique – Vol. 6"
Le Sieur Rémi et sa semaine kényane, un peu en retard. Plus urbaine, moins nature. A moins que ce soit l’inverse.
Semaine du 21 au 25 juillet
Lundi
Journée de travail… Et de photocopies. Nairobi a beau être la fierté de l’Afrique de l’Est, en termes de développement et d’infrastructures, on manque cruellement d’imprimantes. Me voilà donc, parcourant la ville à la recherche du Graal, une imprimante-photocopieur Ricoh ou Epson, au choix.
Cela me prend toute la matinée qui me mène finalement dans un endroit reculé d’un centre commercial. Devant le prix d’une copie, qui met ma capacité de négociateur à rude épreuve, je décide de ne pas m’en laisser conter. Un prix m’est donné avant le repas.
En début d’après-midi, je reviens à la charge, mais la patronne est dure en affaire, avec son air sévère et ses lunettes à la monture anguleuse. Après quelques froncements de sourcils bien sentis, nous parvenons à un accord. Je fournirai la papier contre une copie à moitié prix.
L’accord est purement verbal, et à chaque fois que je me rendrai dans ce « centre de copie », je rappellerai à ces employés l’accord passé avec le chef.
Mardi
Je déjeune en ville avec des collègues. Tout semble normal : un restaurant, loin du pouvoir d’achat du Kényan moyen, des Blancs en masse, les gouvernantes qui s’affairent sur leurs enfants. La vie semblait suivre son cours.
Lorsque tout d’un coup, arrive un homme grand, majestueux, habillé d’un costume rouge, en écailles de poisson. Tel une sirène, je me sens attiré par ce tissu venu d’ailleurs. Je veux lui demander où il a obtenu cette étoffe d’un autre monde. Je n’en ferai rien, et finis mon repas en silence.
Mercredi
Journée de travail sans encombre. J’apprends la poignée de main africaine.
Je reprends le bus, cette fois, avec assurance. Je me rends compte que le bus en question n’a pas de rétroviseur, pour pouvoir se « faufiler » dans les embouteillages, sûrement.
Et lorsque les gens veulent descendre ils en font part au poinçonneur, qui à l’aide d’une pièce de monnaie, fait teinter la rambarde horizontale pour prévenir le chauffeur. Bien plus efficace que le bouton rouge des bus de la RATP. J’annonce par un signe de la main mon intention de quitter le bus, et descend sportivement du véhicule en marche.
Le soir venu, je me mets en tête de regarder la télévision kényane. Après un spot promotionnel sur les jeux du Commonwealth – littéralement la richesse commune (l’Angleterre n’a pas laissé que des mauvais souvenirs aux peuples anciennement colonisés), je tombe sur une certaine Vera Sidika. Cette femme, surnommée la Kim Kardashian de Nairobi, entre autres frasques, s’est apparemment rendue célèbre pour s’être éclaircie la peau pour la coquette somme de 70 000 euros, le tout en Angleterre. Comme si cela ne suffisait pas, j’apprends par cette lucarne maudite qu’elle s’est de surcroît faite refaire la poitrine.
Je pensais que la vulgarité lénifiante était une caractéristique de l’Occident moderne. Je me trompais. Après la colonisation, on a aussi réussi à importer ce que l’Europe et les États-Unis ont de plus bas, dépravé.
Le blanchissement. Pourquoi le fait-on ? Pour paraître plus clair, monter les échelons de cette société où la clarté de la peau semble, dans l’esprit de certains, passer pour un gage de distinction. Mais ce sont les ethnies qui font la loi dans ce pays. Ce sont les Kikuyu qui ont, en 1963, pris les reines du pouvoir économique et politique. D’ailleurs les deux derniers chefs d’État sont issus de ce groupe, ainsi que le patriarche de l’indépendance, Jomo Kenyatta. L’ethnie des Luo, dont est d’ailleurs issu l’actuel Président américain, est plus discrète, se développant autour des métiers de l’artisanat.
Bref, cette immersion dans les méandres ethniques et pigmentaires du Kenya me fait penser que les relations entre la couleur de peau et la société de consommation sont bien plus complexes qu’elles n’y paraissent.
Jeudi
Journée de travail. Je dois me rendre au centre-ville pour un rendez-vous. Le taxi que je prends semble en piteux état, ce qui n’est pas exceptionnel pour la saison.
Dans une descente, la batterie du véhicule nous lâche. Qu’à cela ne tienne, le chauffeur s’arrête sur le bas-côté et décide d’opérer une réparation express. Ouvrant le capot, muni d’une clé à molette qu’il a sortie de la boîte à gant, se met à tapoter sur une boîte métallique. Après deux essais infructueux, il tourne une nouvelle fois la clé de contact : le moteur redémarre. Nous sommes repartis.
Vendredi
Nous visitons ce matin un site sur les hauteurs de Ngong, une ville à 20 km au Sud de Nairobi.
Nous grimpons à l’aide d’un 4×4 robuste les chemins de terre qui mènent au sommet. Arrivé à destination, la température est descendue à 13°C, une folie pour l’Africain lambda. Ma chemise ne fait pas le poids face au chandail laineux de notre interlocuteur. Sur ces collines, d’un vert profond, appelées Ngong Hill, trônent des éoliennes, immenses, dont je suis assez proche pour en toucher la base. Je peux même à présent entrer à l’intérieur de leurs mâts. Je me promène ensuite au milieu d’elles, ne pouvant pas baisser la tête. J’espère juste qu’après cette nuit de sommeil, un torticolis ne s’invitera pas dans mon lit.
Après cette flore intimidante, c’est à présent cette technologie moderne qui me rend modeste.
L’Homme est donc capable d’ériger de gigantesques donjons d’acier blancs en pleine nature.