Retour sur l’événement du moment, la sortie et le succès du film Le Majordome, en salle depuis mercredi 11 septembre, qui retrace la vie d’un majordome, de sa naissance dans les champs de coton du sud des Etats-Unis, à la Maison Blanche.
Le Majordome est le film de cette rentrée 2013. C’est l’histoire d’une vie, celle de Cecil Gaines, de son parcours depuis la ségrégation raciale dans le sud des Etats-Unis au début du XXème siècle jusqu’à la Maison Blanche comme fidèle majordome de huit présidents américains entre 1952 et 1986. L’auteur et réalisateur Lee Daniels, à qui l’on doit également Precious ou encore Paperboy, n’a pas lésiné sur les moyens et sur le casting. Au menu une pléiade de stars : Forest Withaker, Oprah Winfrey, Lenny Kravitz, et même Mariah Carey pour ne citer qu’eux. Ajoutez à cela l’Histoire de la lutte des Afro-Américains dans le sud des Etats-Unis pour leurs droits civiques durant la seconde moitié du XXème siècle et vous obtenez un succès critique et en salles depuis sa sortie.
Lee Daniels a souhaité dans son œuvre raconter l’émergence de la révolte des Noirs américains à travers l’histoire d’une famille, le père, majordome pour les « Blancs », le fils s’engageant contre la discrimination raciale sur les bancs de la faculté. Le spectateur est amené à voir sous ses yeux les différents changements qui s’opèrent au sein de la société américaine. Quand leur histoire rejoint l’Histoire.
Du Polaroid historique au manichéisme
Cependant, résumer soixante années d’histoire américaine en un peu moins de trois heures relève de l’exploit. Lee Daniels n’hésite pas alors à tailler dans le vif, ainsi deux présidences sont purement et simplement passées sous silence (Jimmy Carter et Gerald Ford). Quant aux autres, elles sont victimes de leurs images contemporaines ainsi que de leurs appartenances politiques, film engagé oblige. Nul besoin de chercher à développer les caractères de chacun. John Kennedy et sa famille sont différents, fantasques et généreux, on voit même Jacky Kennedy donner une cravate au héros après le meurtre du jeune président. Lyndon Johnson réunit ses conseillers autour de lui, lorsque ce dernier est aux toilettes, entouré de ses chiens. Richard Nixon est un homme abattu et alcoolique. Les différentes présidences ne sont alors que des instantanés, des Polaroids historiques, consubstantiels à un moment de leur carrière. La relation majordome/président s’arrête là, sous forme de détails, l’espace d’un (très) court moment. Le réalisateur ne souhaite pas s’attarder sur les enjeux nationaux, l’homme politique ne l’intéresse guère, seul le personnage privé à le droit à son temps de parole, afin de le glorifier, ou de l’enterrer.
Le metteur en scène insuffle en effet à ses présidents une image tantôt sympathique, tantôt antipathique, selon qu’ils soient démocrates de gauche ou républicains de droite. Dès lors, le manichéisme guette, et prend forme à de nombreuses reprises sous nos yeux : aux esprits bienveillants démocrates, se succèdent les mauvaises intentions des républicains. Ainsi quand Lee Daniels évoque pour la première et dernière fois la présidence de Ronald Reagan, c’est pour mieux filmer le refus de l’ancien leader d’intervenir en Afrique du Sud lors de l’Apartheid. Une nouvelle fois, le cinéaste ne souhaite pas s’appesantir sur son personnage, le couperet est tombé sous la forme d’un plan, la caméra se veut témoin et juge, le spectateur est invité à partager l’aversion du réalisateur pour ces présidents immoraux.
Lee Daniels face à l’excès de réel
Au manichéisme avéré du cinéaste s’ajoute tout au long du film l’expression des sentiments du héros et de sa famille. Le principe est simple, toucher le spectateur, parfois même jusqu’à l’excès. Ainsi le Pathos est omniprésent dans le film par l’intermédiaire de longs plans montrant la souffrance de la famille Ganes et la douleur de son fils Louis joué par l’excellent David Oyelowo. Quand un cinéaste veut filmer la souffrance des minorités américaines lors de la ségrégation raciale, il est bien sûr dans l’obligation de filmer l’horreur, les coups reçus, le racisme ordinaire d’une population blanche rongée par la haine, et l’humiliation permanente. Nier cette évidence c’est nier l’Histoire. Cependant là où le bât blesse c’est que Lee Daniels ne permet pas aux spectateurs de se retourner sur ce qu’il vient de voir, de s’en imprégner et de le digérer, comme si les faits ne lui suffisaient pas.
La réalité est alors surexprimée afin de porter un véritable coup de massue, le réel devient alors fiction et l’auteur échoue là ou il voulait réussir, par excès.
L’engagement et la mesure
La forme de l’œuvre ne doit pas faire oublier l’objectif premier de l’auteur, l’engagement d’un fils face au stoïcisme apparent de son père lors de la ségrégation raciale. Car le fondement idéologique légitime de Lee Daniels est là, faire des manifestants anonymes et de ses figures historiques, de Martin Luther King à Malcom X en passant par les Black Panthers, des Résistants face aux ségrégationnistes.
Louis Ganes devient sous la plume de son auteur l’image d’un combattant pour la liberté à l’image de ceux qui ont œuvrés lors de la Seconde guerre mondiale, par conséquent le père compare les champs de coton aux camps de concentration. C’est alors que deux réactions face à l’oppresseur s’offrent au public : l’une militante, l’autre passive. Là ou le fils n’hésite pas au nom de son combat à renier sa famille, le père œuvre, du moins au départ, pour un rapprochement, qui s’estompe au fil de l’histoire jusqu’à la scène finale.
S’engager, revient alors à accepter de perdre les siens, risques que n’est pas prêt de prendre le héros au grand damne du réalisateur. Il n’est point permis de résister par intermittence, le combat est permanent, vitale, risqué. L’image du père demandant à plusieurs reprises une augmentation, en vain, est pourtant à mettre au crédit de ce dernier. Il n’est pas la marque d’un engagement de pacotille mais celui d’un refus des choses établies, d’un combat à sa portée. Cependant ses actions sont sans cesse contrebalancées par la rage du fils et son entêtement magnifié. les diverses actions de Louis ainsi que ses divagations qui le conduisent à adhérer au mouvement violent que furent les Black Panthers ne constituent pas un élément problématique, or la forme de résistance passive qu’use Forest Withaker n’est pas mise en valeur, elle est même par moments critiquée.
Enfin, que penser si le cinéaste avait sublimé les actes anodins du père autant que ceux du fils. Mais non. Le dialogue final entre les deux personnages et les excuses de Forest Withaker nous donne la clé de voute du film, celle de la victoire du militantisme acharné du fils sur l’opposition discrète mais réelle, d’un homme silencieux. Lee Daniels adoube les actes militants de Louis et porte un regard amer sur le père, qu’il tente d’expliquer par l’amour de ce dernier pour sa femme et son métier sans jamais réellement le défendre. Là où le réalisateur avait la possibilité d’élever au rang de résistants les deux principaux personnages, il semble oublier en chemin l’un des protagonistes. La mesure ne semble pas avoir sa place aux cotés de la démesure.
Andrés Rib