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Jean Valmore enseigne la philosophie dans un lycée où « les Français de souche et les européens se comptent sur les doigts d’une main. »(p.21). Il est en arrêt maladie pour cause de racisme. Il est le narrateur du nouveau roman de Pierre Mérot,  Toute la noirceur du monde qui parait chez Flammarion.

Ce livre raconte une histoire : celle de Jean Valmore, un enseignant qui se rapproche du parti d’extrême droite. Quasiment intégré à une milice de « nettoyage » ethnique, il évolue dans un milieu qui ne le satisfait guère. La galerie des personnages sombres est intéressante. Un élève qui se sent un destin aussi grand que les plus moustachus dictateurs de l’histoire, une ancienne élève qui se prostitue à moitié, une maîtresse collègue vite évacuée ayant la prétention de croire qu’elle a partagé la vie du narrateur et une prostituée nigériane du quartier Pigalle.  Valmore envoie tout valser pour retrouver la paix. Seule les dernières pages vont l’y aider.

Passons sur la page que retiennent les critiques où le narrateur tient les statistiques ethniques de son établissement d’exercice pour dresser un rapide portrait de notre homme. Le problème de Jean Valmore n’est pas le racisme. C’est plutôt l’inculture et la bêtise généralisée de celles et ceux qui l’entourent. Il a cinquante ans et en a ras-le-bol.

Son démon de midi n’est pas une maîtresse. Il s’appelle « La Présidente » et dirige le parti d’extrême droite français. Valmore y prend sa carte et rencontre de nouveaux camarades, militant pour la même crèmerie. Le roman de Mérot raconte l’évolution en zigzag du personnage dans ce milieu.  Hanté par les femmes (la sienne n’est plus) et par le nœud de vipère qu’est la famille, Valmore devient de plus en plus violent mais reste un électron libre dans le militantisme d’extrême droite.

Le Pat Bateman de l’Education nationale

Il est un Pat Bateman crée par Bret Easton Ellis pour American Psycho, mais un Pat Bateman qui a mal vieilli  et qui laisse enfin paraître ses pulsions, enfermées jusque là. Valmore ne fait pas comme le héros de Ellis, il n’est ni propre sur lui ni golden boy. Il est sale, alcoolique et ne se retient plus de déborder devant ses élèves et ses collègues. Cependant, comme Bateman, il violente quand il peut. L’extrême droite n’est qu’un prétexte à l’expression des pulsions.

Pierre Mérot écrit large. Il qualifie, il détermine. Les noms communs reçoivent quantités d’adjectifs qualificatifs épithètes. Les mots en majuscules sont légions. Le lecteur comprend ce que Mérot veut lui dire.

Mais le style, à l’image du héros évolue vers la nervosité. Les phrases se serrent, le style s’énerve se précise, comme un tir dans la lunette d’un fusil.

« Là-haut j’ai déposé la bonbonne et les fusils d’assaut. Puis j’ai regardé une petite trappe    (au total j’en ai compté deux). (p. 213)

Ce roman n’est pas un grand livre. Ses soixante premières pages, celles de l’évolution du personnage jusqu’à l’extrême droite sont celles d’un très grand roman. Vivantes, énergiques, ultra précises et riches, ces pages dessinent un héros détestable et complet à la violence palpable à chaque ligne

            « Ai-je une maîtresse? Non. Pour être précis, je viens de la chasser » (p.29)

En plus de ses collègues, Jean Valmore a de quoi être haï per les féministes. 



Et le lecteur se noya.

Pierre Mérot perd son lecteur, en voulant faire de son héros un personnage unique, complexe qui reste malgré tout en dehors des clichés habituels sur l’extrême droite. Le destin de Valmore semble avoir surpris jusqu’à son auteur tant son évolution à la fin du roman ne satisfait aucune attente.

Hélas, la vraie richesse de ce texte se trouve dans sa genèse. D’abord accepté par Jean-Marc Roberts, grand manitou des éditions Stock, le roman sera rejeté par le remplaçant de Roberts à sa mort. Chez Gallimard, il est refusé, suite à l’affaire Richard Millet et Son Eloge Littéraire d’Anders Breivik. C’est donc Flammarion qui l’emporte. Or ce texte ne mérite pas ce bazar. L’intrigue n’est pas si complexe. 

Toute cette histoire révèle surtout l’état des grandes maisons d’édition qui baissent les bras dès qu’un scandale risque d’apparaître. Pour la sortie de ce livre Pierre Mérot a écrit une préface à son roman. Il y rappelle le caractère fictionnel de genre romanesque. Il fait aussi la leçon aux critiques littéraires et aux mauvais journalistes qui ont oublié cela : un narrateur et un auteur ne sont pas la même chose. La réalité littéraire de l’un n’équivaut  jamais à la personne réelle qui tient le stylo.

 Ce roman ne provoquera pas de scandale mais il mérite d’être édité et d’être lu car il interroge le lecteur sur sa propre noirceur.  Encore faut-il accepter que la littérature explore la profonde noirceur du monde.

Christophe Bérurier

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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