Le personnage et son bilan sont contrastés, les clichés au sens premier du terme ont jauni et le monde a radicalement changé depuis. Qu’à cela ne tienne : un demi-siècle après son assassinat, JFK suscite encore la fascination.
Trois initiales gravées dans le marbre de l’histoire. Une fin brutale et mystérieuse, à l’image de ce président mythique au charme irradiant, au sourire carnassier et pétri de certitudes, incarnation d’une jeunesse américaine insouciante et privilégiée. C’est un fait : tous ceux qui sont encore de ce monde se souviennent de ce qu’ils faisaient lorsqu’ils ont appris l’effarante nouvelle. Le meurtre qui ne sera sans doute jamais élucidé de celui qui était alors, à tout le moins sur le papier, et malgré sa jeunesse, l’homme le plus puissant du monde.
Un « vrai » chef d’Etat, méprisé puis respecté par son homologue soviétique Nikita Khrouchtchev, lequel fut maté puis contenu après l’affaire de Cuba. Un géant au sens historique du terme dont la vie était devenue destin bien avant sa disparition, d’aucuns diraient même dès qu’il fut en âge de devenir quelqu’un.
L’histoire ou plutôt la saga JFK se confond volontiers avec celle de son pays, dévasté de chagrin ce 22 novembre 1963 où tant de choses ont basculé dans l’imaginaire collectif. A la légende rose a toutefois succédé une légende noire. A l’image du président martyr, compagnon flamboyant de la très aimante et glamour Jackie et finalement trop haï par trop de monde pour mourir dans son lit a succédé celle d’un individu autrement plus controversé. Passons sur son appétit sexuel dévorant, évoquons son courage face à des douleurs physiques violentes qui ne l’ont jamais quitté, ses rapports pour le moins ambigus avec la mafia, certainement choyée puis délaissée une fois arrivé au pouvoir pour des raisons morales évidentes, et attardons nous sur son action.
Cuba, l’heure de gloire de JFK
La lecture de celle-ci n’a pas fini d’alimenter les débats entre historiens. Bien plus timoré sur la question des droits civiques que ce que nombreux parmi les intéressés discriminés pouvaient penser à l’époque, « Jack » avait il est vrai une marge de manœuvre limitée, tiraillé entre une opposition républicaine inflexible et l’hostilité guère moins farouche des démocrates du Sud. Il fut en revanche plus engagé sur celle du Vietnam, futur bourbier au sujet duquel il n’est pas exagéré d’écrire qu’il s’est fourvoyé.
JFK avait hérité d’un cadeau empoisonné, un plan d’invasion de Cuba qui s’est soldé par le désastre de la baie des Cochons. Il en a transmis un autre, bien plus dévastateur, à son successeur de vice-président, Lyndon Johnson, dans la mesure où 18 000 soldats américains étaient présents au Vietnam lorsqu’on lui a ôté la vie. Ce n’est qu’après que la terrible escalade a véritablement débuté, mais, a minima, Kennedy en a jeté les bases.
Il a aussi su gérer politiquement, diplomatiquement et militairement la crise de Cuba, faisant en la circonstance montre d’un sang-froid qui a tranché avec le radicalisme effrayant d’une partie de son administration. Cuba, le point d’orgue de la Guerre froide, une partie d’échecs avec fous et cavaliers prenant la forme d’ogives nucléaires. Treize jours au cours desquels le monde retint son souffle, son avenir suspendu à la (bonne) décision de « Jack ». Il valait mieux compter sur lui que sur Khrouchtchev, mais durant cette affaire, Kennedy eut la délicieuse intelligence d’offrir au Premier secrétaire du PCUS une honorable porte de sortie.
Ce dernier avait-il sous-estimé son cadet, il est vrai peu à son avantage lors de leur précédente (et unique) rencontre ? Probablement. De cette affaire déterminante date en tous les cas l’établissement du fameux téléphone rouge, « bouchon » d’un conflit armé direct que, tout compte fait, ni les chantres de la réussite individuelle ni ceux du succès collectif version faucille et marteau ne souhaitaient.
Kennedy / De Gaulle : un duel au sommet
De l’éphémère « règne » de JFK, premier président de l’image, on retiendra également le face-à-face avec De Gaulle. Marqué au fer rouge par son affrontement avec Roosevelt, qui durant la guerre l’a traité avec un mépris confinant à l’irrationnel, le Général s’est en quelque sorte vengé sur Kennedy, avec lequel il n’était « d’accord sur rien », dixit le locataire de la Maison Blanche.
Autre épicentre de la Guerre froide, Berlin est tout aussi indissociable de « Jack ». Son attachant « Ich bin ein Berliner », grande phrase incorrecte, n’a ainsi pas empêché la construction quelques mois après son élection d’un rideau de fer honteux symbolisant lui aussi l’affrontement pas si larvé entre Américains et Soviétiques, acteurs majeurs de ce qui reste le dernier grand conflit idéologique d’envergure planétaire.
De ce monde coupé en deux, les jeunes générations ne se souviennent guère, la mondialisation lui étant passée dessus au rouleau compresseur. Reste tout de même un vestige, Fidel Castro, dont elles n’entendent plus guère parler, mais qui pourra ad vitam se prévaloir d’avoir tenu tête et même faire plier le Gulliver américain. Hormis l’échec retentissant du débarquement dans la Baie des Cochons, une opération déjà évoquée et dont il faut bien admettre que JFK n’a rien fait pour qu’elle s’achève autrement, lançant à contre-cœur d’insuffisantes forces mal préparées dans la bataille, le lider maximo a en effet réussi à capitaliser sur l’affaire des missiles, obtenant la garantie que, plus jamais, les Etats-Unis ne chercheraient à envahir l’île frondeuse qu’il a dirigée d’une main de fer recouverte d’un gant rouge sang pendant près de cinq décennies. Une partie du prix à payer pour une paix mondiale préservée.
Si l’on évoque autant les considérations internationales, c’est parce qu’elles étaient la priorité de Kennedy, homme de grands desseins, grand homme de la Guerre froide et partisan courageux d’une coexistence pacifique entre les deux Supergrands dont il eut été souhaitable qu’il la défende – ou puisse la défendre – avec plus de vigueur sur le territoire national.
Une statue indéboulonnable
« Jack » a, on a tendance à l’oublier, repris le flambeau. Programmé pour vaincre et pour diriger par leur père Jo, son grand frère est mort au combat pendant la Deuxième guerre mondiale. En héros. Financièrement, John Fitzgerald n’a certes manqué de rien. D’appuis plus ou moins glorieux pas davantage. Il reste qu’il fallait tout de même du cran, comme toujours lorsqu’il s’agit de très grandes entreprises, et bien plus que cela pour assumer la relève, gagner le respect et façonner l’affection d’une Amérique à la fois avide de changement et désireuse de ne pas chambouler plus que de raison l’héritage transmis par Eisenhower.
Au bout du compte, JFK le novice a très vite appris, démontrant que le costume n’était pas trop grand pour lui. Faute de temps et, peut-être, de ce tout petit supplément d’âme qui sépare les grands hommes des monstres sacrés qui transforment le monde, il a séduit plus qu’il n’a convaincu. Il y avait cependant quelque chose d’hors norme chez cet être aimé et admiré avant et bien après sa mort. Une aura difficilement égalable, à tout le moins assez forte pour qu’on parle toujours de lui, cinquante ans plus tard. L’énigmatique balle de Dallas venue se loger dans son crâne a eu valeur de regret éternel et généré un sentiment d’inachevé d’une ampleur inédite. Elle n’explique bien sûr pas à elle seule cette notoriété que le temps qui passe n’éteint pas, l’existence persistante d’une « référence JFK » et le fait que la magie opère encore à la seule évocation de ces trois lettres de feu et de cristal.
Son jeune frère Robert aussi est tombé, cinq ans après, en pleine course à l’investiture démocrate. Au crépuscule de ce XXe siècle que son père a éclaboussé de toute sa classe, John Kennedy Jr a quant à lui péri dans l’accident de l’avion qu’il avait pris le risque de piloter malgré son inexpérience et les intempéries.
Tout a été dit et écrit sur la dynastie Kennedy, qui a personnifié plus que n’importe quelle autre famille le rêve américain. « Jack » reste le plus connu de tous, et pour cause : il est monté jusqu’au sommet. Quelles que soient les motivations de celui ou ceux qui sont parvenus à l’abattre, on ne peut objecter que la statue de ce commandeur insaisissable reste solidement fixée sur son piédestal.