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Le tribun rouge a poli son image. Il est aujourd’hui très haut dans les sondages, à une dizaine de jours d’un scrutin présidentiel qui fera beaucoup de déçus.

Benoît Hamon a disparu. Le candidat socialiste, incarnation de la « vraie » gauche rose pour certains, après la parenthèse Manuel Valls, ce Joe Dalton jugé dogmatiquement trop proche de la droite traditionnelle, a été phagocyté. Neutralisé. Soufflé. Englouti par la déferlante mélenchonienne, machine de guerre aussi charismatique que le vainqueur de la primaire de gauche est insignifiant.

Car lui n’a pas le verbe haut. Lui ne se démarque pas par sa maîtrise de la langue de Molière. Lui ne sait pas transporter les foules. Lui n’harangue pas, ne vocifère pas et ne fustige que timidement, le regard un peu vide, presque vitreux, et toujours avec ce petit rictus de jeune premier mal assuré qui rencontre pour la première fois sa belle-famille. A l’inverse, Jean-Luc Mélenchon transpire l’expérience et l’assurance. L’homme a de la bouteille, il ne lanterne ni ne lambine, il fonce, trace sa route à coups de serpe, d’envolées lyriques et de saillies capiteuses.

A bientôt 66 ans, l’ancien sénateur n’a pas succombé à la tentation de Venise. Au contraire, il est au sommet de son art. Les mots sont choisis, bien choisis, la gestuelle aussi. Il s’est émancipé de son ancienne famille socialiste pour aller chercher son destin, occuper le seul créneau qui valait pour lui permettre d’exister et d’espérer. A gauche de la gauche, sur les décombres du Parti communiste.

Un peu de maoïsme, un peu de trotskysme, un peu d’environnementalisme, force foucades, philippiques et diatribes contre l’establishment, les élites, le libéralisme et la corruption, et le voilà désormais au coude-à-coude avec François Fillon, l’empêtré de droite, cramponné à sa candidature comme d’autres à leur maroquin ministériel. La dynamique est telle qu’une participation de « JLM » au second tour est même devenue du domaine du possible. Malgré des recettes éculées qui ont fait la preuve de leur échec, ce qui démontre, si besoin était, que, définitivement, des millions de Français sont soit désespérés, soit sans repères, soit résignés à la destruction de leur propre pays.

Le chantre du raser gratis

Ceux qui applaudissent des deux mains savent-ils qu’ils en seront quittes pour une véritable flambée de leurs impôts, corollaire de l’explosion programmée des dépenses publiques ?

Jean-Luc Mélenchon a renoncé à l’Internationale, lui préférant une Marseillaise plus en vogue. Il voit encore rouge, mais le dit autrement, en y mettant davantage les formes et en innovant, sa chaîne YouTube d’un côté et son hologramme de l’autre. Il frappe au cœur des révoltés, des sans-grade, des bobos, des pseudo-résistants et des néo-révolutionnaires qui ont vécu mai 68 par procuration.

Cet admirateur de Fidel Castro et d’Hugo Chavez prône la remise à plat des institutions, l’instauration d’une VIe République et, d’une façon générale, une autre forme de démocratie dans laquelle le nucléaire serait progressivement amené à perdre sa place. Le séducteur a des idées à son image et a peut-être quelque chose de visionnaire. Humaniste, il veut régulariser massivement, et tant pis si les files d’attente s’allongent dans les centres pôles Emploi. Humain, il veut réduire le temps de travail et ramener l’âge légal du départ à la retraite à 60 ans, et tant pis si ce système qu’il abhorre implose.

Sur le plan extérieur, « JLM » est profondément eurosceptique, pro-palestinien et se veut moins dur à l’endroit de Bachar-al-Assad et de Vladimir Poutine que la majorité de ses adversaires du scrutin présidentiel, ce qui dans le cadre de la lutte contre Daesh n’est pas aberrant, mais le rapproche aussi de Marine Le Pen. Les opposés s’attirent et se rejoignent parfois.

En matière économique, il est en quelque sorte le Tsipras français, le pourfendeur de l’insupportable rigueur, celui qui veut donner un grand coup de pied dans la fourmilière, botter les fesses de cette dette qui crispe et plombe le pays. Ceux qui applaudissent des deux mains savent-ils qu’ils en seront quittes pour une véritable flambée de leurs impôts, corollaire de l’explosion programmée des dépenses publiques ?

Face au ras-le-bol presque général, à cet Emmanuel Macron qui voudrait tout ubériser, à ce François Fillon qui serait l’indigne fils de Margaret Thatcher, Jean-Luc Mélenchon se pose en chantre d’un raser gratis décomplexé, en fils spirituel moderne de Proudhon, en brocardeur attitré du système.

La ficelle est assez grossière, le programme volontiers utopique et franchement inconséquent, mais dans cette France secouée comme une machine à laver, courroucée par des décennies d’impéritie politique des forces traditionnelles au pouvoir, lassée des matamores, infatués et autres pourris, la mayonnaise prend.

Alors que l’élection présidentielle approche à très grands pas, d’aucuns se souviennent que la France a, au fond d’elle, souvent été encline à la révolte et à l’insoumission. Qu’elle n’aime rien tant que de ne pas suivre le troupeau et de faire cavalier seul.

La patrie des Lumières, de Victor Hugo, de Napoléon et de Jaurès se rêve en phare du monde, en parangon de vertu et a toujours entretenu des rapports compliqués avec l’argent. Par-dessus tout, elle est désespérément en mal de héros.

L’éternel revanchard Jean-Luc Mélenchon n’en est pas un. Tout au plus un trublion talentueux qui n’a jusqu’ici brillé que dans la contestation et l’inaction.

Guillaume Duhamel

Guillaume Duhamel

Journaliste financier originellement spécialisé dans le sport et l'écologie. Féru de politique, de géopolitique, de balle jaune et de ballon rond. Info plutôt qu'intox et intérêt marqué pour l'investigation, bien qu'elle soit en voie de disparition.

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