Dixième volume des chroniques de Christophe Bérurier, professeur de français dans un collège de ZEP.
Lundi
Enveloppe dans mon casier. Invitation à la commission éducative traitant du cas d’un élève dont je suis l’un des professeurs principaux. Elle émane du bureau du chef, situé juste à côté. Nous nous croisons tous les matins, cela aurait pu être plus pratique.
L’équipe de français doit se retrouver sur l’heure du repas pour travailler sur les sujets de devoirs communs à venir. Méthode : un prof apporte un sujet photocopié dans un bouquin et on s’interroge sur la validité des questions. Bilan lancé par une collègue après une heure de concertation : « bon eh bien il faut qu’on finisse ça pour demain, surtout que moi, j’ai celui des troisièmes à finir… vu que c’est toujours les mêmes qui s’y collent. »
A 14h je suis censé retrouver le second professeur principal de ma classe pour la préparation du conseil. Je l’attends pendant une heure. Et je l’attends toujours.
Mardi
Les chapitres se terminent et les contrôles s’annoncent. La réaction est unanime : « Oh non ! ». Des élèves de troisième vont même jusqu’à s’étonner d’être encore évalués, à leur âge.
Dans la salle des professeurs, certains collègues jouent aux cartes : un jeu emprunté à la section ULIS (inclusion scolaire d’élèves handicapés) de l’établissement. L’heure du repas est marquée par des éclats de rire dérangeants pour ceux qui corrigent leurs copies. Les enseignants sont décidément des grands fêtards.
Le nouvel épisode de l’évaluation PISA sort aujourd’hui. La France perd encore deux places. Personne n’en parle dans le collège. Les enseignants ne semblent pas concernés. Conscients que le mode de calcul est biaisé. Ou conscients que c’est de toute façon de la faute des élèves et de leurs parents.
En cours avec une classe de quatrième. Après avoir fait l’appel je demande aux élèves s’ils connaissent la raison de l’absence de l’un d’entre eux, souvent chez le principal. Un jeune garçon prend la parole :
– Il est chez le principal parce qu’il a mangé une poire…
– Attends, il a mangé une poire et du coup il est convoqué chez Monsieur ***** ?
– Oui il a mangé une poire.
L’échange dure ainsi quelques minutes, nous sommes complètement interloqués, jusqu’à l’intervention d’un autre garçon
— Non mais Monsieur, là, il est gentiment en train de se foutre de notre gueule.
Jeudi
Les élèves sont calmes. Les conseils de classe du premier trimestre ont débuté. J’y vois un lien de cause à effet. Dans certains établissements ce lien n’existe pas.
Séance d’information sur l’orientation pour mes élèves de troisième. La conseillère d’orientation vient voir les élèves pendant une heure pour leur dire que s’ils veulent, ils peuvent prendre rendez-vous. Les questions des élèves montrent qu’ils planent complètement.
— Peut-on devenir pédiatre en faisant un CAP ?
— Il y a un CAP juge ?
La conseillère d’orientation fatigue. La voix est éraillée et les informations données sont contradictoires. Elle insiste très fortement sur l’orientation en filière technologique. Le bac général est donné comme hors de portée et la filière professionnelle est à éviter. On dirait presque que les orientations doivent respecter certains quotas. Dans tous les cas, à l’entendre, les élèves doivent être sûr d’eux.
Pourtant il paraît qu’on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans, alors à quinze…
Un élève de quatrième vient me voir à la fin d’une heure de cours et me demande si je connais le livre La Divine Comédie. C’est sa lecture du moment. Il critique le fait que ce livre ne soit pas au CDI du collège.
Vendredi
La mort de Nelson Mandela est annoncée partout. Discussion prise sur le vif, digne d’une brève de comptoir :
— Ils vont nous faire bouffer de Mandela pendant trois mois tu vas voir.
— Bah tiens, on l’a pas vu depuis le mois de Juin, si ça se trouve il est déjà mort et enterré.
Six heures de cours dont trois heures de contrôle. Pour le premier contrôle, mes troisièmes m’ont posé six fois la même question.
— Monsieur, ça veut dire quoi, relater ?
Il y avait environ dix pages de cours à réviser. Ils ne comprennent pas pourquoi je ne les ai pas interrogés sur tous les points du programme de révision.
À la fin de la journée je retrouve dans la salle des professeurs quelques collègues qui jouent encore aux cartes. Ils attendent leur conseil de classe qui débute une heure après.
Christophe Bérurier