La rencontre entre deux êtres, l’alpha et l’omega de toute existence digne de ce nom, ce poncif auquel personne ne peut se soustraire, sous peine d’être mis à l’index de la société de l’affection. Dans ce marasme économique et financier, Internet tient aujourd’hui le rôle de la maquerelle, formant des couples avec un dédain consommé. A l’heure où le prix des préservatifs baisse et la prostitution est en passe d’être interdite, penchons-nous sur le Web et la pulvérisation des codes de la séduction.
Chose paradoxale dans ce nouvel univers d’interactions : la solitude. En effet, grâce au web, plus besoin de sortir et dépenser son argent pour trouver votre prince charmant, il vous suffit de choisir une photo de profil bien sentie et un texte concis mais percutant. Dans les semaines suivant votre inscription, les hommes se bousculeront au portillon du batifolage virtuel, en sous-vêtement, de leur canapé, avec pour objectif de vous y faire venir. Ainsi, on se fait belle une fois, ou deux, si la lumière est un peu faiblarde, et cela suffit à nous faire apparaître aux yeux du monde comme un spécimen viable, capable de perpétuer la race. On prendra bien sûr la photo soi-même, pour être sûr(e) de maximiser l’impact sur le sexe ciblé. Ou un ami « photographe », instagrammeur à ses heures perdues se fera un plaisir de vous rendre « cool ». On essaie de mettre en avant ses passions pour trouver l’exemplaire qui nous ressemblerait le plus : un clone reflétant nos intérêts. Mais c’est seul(e) que vous irez combattre vos adversaires au sein d’arènes toujours plus glauques, suintant le mâle en manque de testicule ou la femme désespérée, dans une logique d’auto-plébiscite narcissique. On ne va tout de même pas s’abaisser à discuter de vive voix avec l’autre, avec de grandes chances d’être rejeté. On vaut mieux que ça.
L’outil informatique, le réseau social ou le sms, permettent d’éviter ce genre de salissure sur notre égo immaculé.
Aide-toi et Youtube t’aidera
On nous apprend même à être naturel. Une version améliorée de soi-même, un naturel automatisé qui serait le Graal du séducteur.
Depuis peu, nous avons aussi affaire à des marchands de l’amour, prêts à vous offrir le précieux sésame sur un plateau. Ainsi, grâce à Youtube, de multiples « coach » se sont fait jour, et prodiguent leurs conseils sur le portail vidéo à coup de caméras cachées, complétées par de fines analyses de la demoiselle de ville. Les titres laissent rêveurs : « 10 conseils pour : Séduire une fille », « Comment réagir après un râteau ? », etc. On arrive à une conclusion inattendue : le secret pour « pécho » c’est la confiance en soi et l’humour. Qui l’eut cru ? On tombe des nues. Dans un monde où apparemment « there is an app for that », où tous les éléments de notre quotidien sont contrôlés, anticipés, analysés, la rencontre amoureuse ne doit pas faire exception. Car à la fin, l’espèce humaine n’a pas fait tout ce chemin pour se retrouver seule à l’issue d’une soirée arrosée, devant un saupoudrage généreux de jeunes gens, beaux et disponibles. On nous apprend même à être naturel. Une version améliorée de soi-même, un naturel automatisé qui serait le Graal du séducteur.
La violence de la séduction 2.0
Cependant, le smartphone permet d’annihiler toute forme de politesse élémentaire.
La séduction, auparavant jeu d’équilibriste entre deux individus, à égalité devant le mur des sentiments (le « flirt »), devient une violence. Celle-ci est créée par une grande frustration que constitue maintenant la conquête amoureuse pour un nombre grandissant de gens. Cela est renforcé par des représentations fantaisistes véhiculées par le cinéma et les séries. Dans ces théâtres modernes, on reste fasciné par la vitesse et la facilité avec laquelle les relations se forment, se séparent, pour se reformer. Les actions téléphonées se succèdent pour composer une sorte d’écosystème rassurant pour le quidam en mal d’amour que nous sommes tous, au fond. Pour preuve, le triomphe des comédies romantiques dont la vraisemblance est inversement proportionnelle au succès en salles. On nous présente la logique amoureuse comme simple, jusqu’à l’absurde. Car la réalité nous rattrape, et, après le visionnage saisonnier de Love Actually, les yeux embués par l’émotion, nous nous remettons en quête de l’âme sœur, avec toute la bonne volonté du monde. Cependant, le smartphone permet d’annihiler toute forme de politesse élémentaire. La lâcheté est à la portée de tous. On peut ainsi choisir de ne pas répondre aux messages, de rater un rendez-vous, à dessein, et s’en faire l’écho auprès des amis, se perdant en conjectures creuses, indifféremment du genre. La lâcheté n’a pas de sexe et les théoriciens du genre n’ont même pas pris la peine de nous le préciser. Une gageure. Les rapports sociaux, affectifs en tête, s’opèrent donc par portables interposés.
Ceci est d’une banalité confondante. Il parait cependant important de rappeler que l’amour est partout : le mot est présent à chaque couplet de chanson, publicité, productions culturelles en tout genre. Quant au sens, touchant par exemple, au don de soi, au compromis pour l’être aimé, l’empathie, il passe par la fenêtre. On ne sait d’ailleurs pas si le cynisme qui caractérise notre siècle à ce sujet est sincère, ou juste un effet de mode moutonnier, dû à la facilité qu’offre le web de changer sans cesse d’interlocuteur.
Mais ne nous inquiétons pas : dans cet immense potentiel d’interactions humaines, tout n’a pas encore été essayé. Qui sait, à l’avenir, avec les progrès de la science, on pourra s’exercer sur des robots avant de croquer la pomme, ou acheter un code pour s’assurer de séduire l’être aimé. A l’heure des jeux vidéos ultra réalistes, les paris sont ouverts.