« Mon nom de taggeur, L’ATLAS, je l’ai trouvé en 1996, au Brésil, le jour de l’An chez un ami. Je cherchais un nom qui soit universel ! »
Par ces quelques mots, cet artiste né en 1978, qui vit et travaille à Paris, décrit de manière prémonitoire la naissance d’un parcours, le sien, qui prendra effectivement l’apparence d’une aventure presque mythologique. Certes, il ne porte pas le monde sur son dos, mais réussira de manière symbolique à le transporter partout grâce à son écriture singulière, universelle et labyrinthique. Fasciné très tôt par la graphie, Jules Dedet Granel (son nom d’Etat Civil) quittera même ses études en histoire de l’art pour se consacrer totalement à cette nouvelle passion. Il n’hésitera pas à s’installer dans les pays de l’Afrique du Nord (Maroc, Egypte) pour étudier l’art de la calligraphie arabe. Et une fois rentré sur Paris, l’Atlas va pouvoir réaliser une sorte d’alchimie surprenante entre cette tradition héritée de l’écriture arabe géométrique et les pratiques les plus actuelles de l’art urbain occidental.
Utilisant indifféremment la bombe, le scotch ou le gaffer sur des supports aussi variés que la toile et l’affiche ou même les endroits les plus insolites voire les plus communs comme un trottoir, le mur d’un immeuble ou le pavé d’une place publique. Avec les techniques apprises du Kouffi, il va réussir une symbiose culturelle tout à fait étonnante, son écriture devenant un puissant vecteur de communication entre des cultures et des générations différentes. Dans tous les cas, son art permet de transcender la réalité, d’aller dans un lieu autre, bien au-delà de son ego et de son moi. En fait sa recherche emprunte le chemin d’une quête philosophale et si l’on veut toujours rester dans le domaine de la mythologie grecque, il utilise en fait l’art de la maïeutique :
« (Son) art transite comme s’il était un véhicule qui ferait remonter à la surface les grands symboles de l’imaginaire et de l’inconscient collectif. » (Keith Haring, Skira, Musée d’Art contemporain de Lyon, 2008, p. 21)
Tout récemment lors de sa dernière exposition « Structures » à la galerie Cedric Bacqueville à Lille (du 5 mars au 20 avril 2013), son travail devient particulièrement explicite d’autant que les toiles qu’il avait créées pour cet événement ont été réalisées sur la même structure.
Selon les propos mêmes de l’artiste, ces toiles « sont toutes des rectangles homothétiques ».
« J’ai créé un logogramme, un « L’Atlas », mais d’une toile à l’autre en fait c’est toujours la même structure qui fait qu’au premier abord les toiles paraissent juste absolument abstraites, mais une fois qu’on a la clé, qu’on arrive à en lire une , il y a une persistance rétinienne qui nous permet de le voir apparaître, ce « L’Atlas », sur l’ensemble de la série, je dirais qu’il s’agit d’une persistance structurelle mentale. » (Interview/ Emporium’s-L’Atlas-Structures @GalerieBacqueville publié le 13-04-2013 )
Ce qui est remarquable dans ces différentes toiles, c’est d’abord la répétition d’un alphabet originel. La répétition des mêmes lignes de base que sont les verticales et les horizontales et aussi le fait de réaliser grâce à elles toutes sortes de combinaisons possibles comme les labyrinthes et les grilles. L’Atlas répète la répétition et cache aussi (la partie invisible) – car comme toute œuvre, il rend présent quelque chose d’absent. C’est pourquoi, il privilégie l’utilisation de l’écriture :
« L’écriture, c’est ce neutre, ce composite, cet oblique où fuit notre sujet, le noir et le blanc où vient se perdre toute identité. » (Roland Barthes)
Mais ensuite cette répétition peut questionner à juste titre – l’artiste répète toujours la « même œuvre » certes avec des formulations différentes, mais toujours avec la même structure de base. A la vérité par la répétition, il veut atteindre l’origine, qui semble être le vrai but de son travail. Chacune de ses œuvres permet de remémorer « l’œuvre » au sens originel. D’où ce besoin peut-être de retrouver la structure, la matrice originelle, la clé ? Pour découvrir le monde à ses débuts ? Mais préalablement, l’artiste nous propose toute une série de toiles inspirées par la grille. Il connaît l’efficacité de la grille. Celle-ci était déjà apparue dans la peinture cubiste d’avant-guerre et avait permis d’introduire la modernité en s’opposant au réel. Elle refoule les dimensions du réel et les remplace par le déploiement latéral d’une seule surface. D’ailleurs cette forme n’apparaissait nulle part dans l’art des siècles précédents. Ce qui avait permis au cubisme, au mouvement De Stijl, à Mondrian, à Malevitch et à d’autres de débarquer dans un territoire vierge.
Or, de manière surprenante cette même grille qui est d’essence matérialiste, fondée sur l’abstraction, va être interprétée par Malevitch et Mondrian comme participant à l’émergence de l’Etre ou de l’Esprit ? Elle est, selon eux, un escalier menant à l’Universel. En fait elle est les deux à la fois car elle fonctionne comme un mythe. Devenue le symbole de la prise en charge culturelle de la contradiction puisqu’elle elle réussit à concilier à la fois la verticalité et l’horizontalité (contradiction entre les vertus scientifiques et les valeurs de la foi).
D’ailleurs c’est grâce à ses différents travaux sur la grille que L’Atlas nous prépare en quelque sorte le terrain, nous suggérant une lecture différente et bivalente. Ce faisant il nous conduit à révéler son logogramme qui sous-tend toute son œuvre. Celui-ci s’apparente beaucoup au labyrinthe qui est aussi une variante de la grille mais a une origine encore plus lointaine. Certains font remonter le labyrinthe à l’époque du néolithique, lors du passage du nomadisme à la sédentarisation et la naissance des premières villes avec ses réseaux, ses rues et l’enchevêtrement d’édifices… Elle rappelle aussi l’œuvre de Dédale (toujours la mythologie !) qui a construit un édifice souterrain tentaculaire pour un monstre, le Minotaure.Cette forme du labyrinthe devient donc par assimilation la figure universelle de la déviance et donc une autre forme d’appréhender le monde.
Il nous dévoilerait un espace inconnu, caché, au bout du chemin, comme au cœur du palais du monstre ? C’est pourquoi l’artiste dans la dernière toile ci-dessous nous révèle cette réalité cachée. Derrière la grille quadrillée colorée, il indique lui-même le moyen d’y parvenir : « …quand tu plisses les yeux… le cryptogramme apparaît. » (Interview ibid.)
Le cryptogramme qu’il nous dévoile apparaît comme un diagramme de forme spirale et pose la question de son centre, à la fois comme l’origine et l’aboutissement de sa forme. Ainsi ce labyrinthe particulier introduit un dessin magique ou symbolique. Interrogé sur le sens de son travail, L’Atlas conçoit qu’il existe une notion de spiritualité dans ce processus. Même s’il rejette l’idée d’un labyrinthe à propos de son cryptogramme, il admet toutefois l’idée d’un cheminement.
C’est pourquoi on pourrait l’interpréter comme un mandala qui constitue dans le bouddhisme tibétain un acte sacré permettant par des disques et des cercles d’accéder au territoire de la déité. Mais ce cheminement peut prendre aussi la forme d’une narration énigmatique. L’artiste n’a-t-il pas plutôt la volonté de créer l’imprévisible ? Cette part d’imprévu dont parle Vera Molnar et qui est selon lui inséparable de l’intérêt qu’on porterait à une œuvre ?
Ainsi dans ce cas, le logogramme de L’Atlas serait comme une matrice lui permettant de créer en permanence, par le biais de cette persistance structurelle, l’inattendu, l’improbable et l’énigmatique. Lui-même affirme volontairement dérouter son public puisqu’il déclare :
« Je cherche à tromper les regards et à amener les gens qui sont censés s’intéresser au graffiti à s’intéresser à des arts plus anciens, notamment aux arts abstraits, et inversement pour ceux qui s’intéressent à ces mouvements-là.» (Interview. Ibid.)
C’est pourquoi, il semble très proche d’un Paul Klee qui affirmait que : « L’art est un défaut dans un système. » Et donc faire découvrir son logogramme grâce à un effort rétinien prend ici tout son sens. L’artiste fait participer le public à sa recherche acharnée pour révéler en fait quelque chose de sublime. Au prix d’un égarement dans l’inconnu, il provoque un véritable vertige pour les sens et l’intelligence. Voir apparaître « L’Atlas » dans cette œuvre et dans l’ensemble de la série, constitue un pari et un enjeu essentiel, celui de promouvoir une œuvre « cosmique ». Et notamment c’est grâce à cette clé, son logogramme, qu’il pourra ouvrir un passage de l’autre côté, vers l’autre monde. Tout cela participe en fait à sa mythologie cosmique qui lui permet d’imaginer d’autres structures du monde, abstraites et universelles, avec de nouvelles conceptions de l’espace. Déjà avec les effets rétiniens, il réussit à développer un accès vers un territoire, celui de « L’Atlas ». Face au désenchantement du monde, L’Atlas veut aussi ramener la vie dans l’art. Attaché à la magie de l’œuvre et à son aspect ludique, il traite non plus l’art comme la réalité mais la réalité comme art.
L’Atlas croit à « l’Art ».