Sportivement parlant, la France est ce qu’elle est. Davantage abonnée aux places d’honneur qu’aux trophées, notamment en tennis. Cela étant…
Passons sur la version féminine, dominée depuis plusieurs années par une Marion Bartoli méritante, mais peu enthousiasmante pour les amateurs de jeu d’attaque et, disons-le franchement, qui est à la grâce ce que John McEnroe était au calme. Qu’il semble et qu’il est loin, le temps des spectaculaires Amélie Mauresmo et Mary Pierce, deux titres du Grand Chelem chacune (et perdu plusieurs finales de majeurs perdues). Au moment d’écrire ces lignes, le contingent des Bleues a plié bagage, ses trois dernières représentantes ayant baissé pavillon en seizièmes de finale.
Aussi convient-il de regarder son homologue masculine – même si les favorites Serena Williams et la sculpturale Maria Sharapova, pour ne citer qu’elles, peuvent toujours prétendre soulever la coupe Suzanne Lenglen. Avec sept joueurs français toujours en lice à l’entame du troisième tour, il a plutôt fière allure. Un effectif pour lequel la Coupe Davis n’est pas utopique… Trois d’entre eux se sont hissés en huitièmes de finale : Richard Gasquet, Jo-Wilfried Tsonga et Gilles Simon. On ne donne guère de chances à ce dernier, assez inconstant durant ses trois premiers matchs, face à Roger Federer, très convaincant depuis le début de la quinzaine et qui s’est déjà offert le scalp d’un autre tricolore, Julien Benneteau. Les deux premiers ont de leur côté abordé le tournoi confiants et le sont. Aucun set lâché en cours de route, des adversaires du calibre de Nikolay Davydenko réduits à un rôle de figurant. Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic sont également au rendez-vous. En toute logique.
Une époque épique pour le tennis
Car ce trio n’est rien de moins que le plus brillant de toute l’histoire de la balle jaune. « Rodger » a ainsi remporté seize tournois du Grand Chelem, ce que personne n’avait jamais fait. « Rafa », lui, a gagné sept Roland-Garros. Il fêtera ses 27 ans dans quelques jours et présente des statistiques sans équivalent sur terre battue. Quant à « Nole », il a attendu son heure, longtemps cantonné à la troisième marche du podium avant de déloger, avec la manière, ses deux magnifiques devanciers.
Le tennis masculin vit une époque bénie et le forfait du quatrième élément, le Britannique Andy Murray, vainqueur des derniers Jeux Olympiques et de l’US Open, n’y change rien. Des points de vue technique et spectacle, la période est épique. Du point de vue historique, les records tombent les uns après les autres, même si aucun joueur n’a réussi le Grand Chelem depuis Rod Laver en 1969. Björn Borg sur terre battue et Pete Sampras sur gazon ne sont plus les premiers. Les matchs sont souvent superbes, fertiles en rebondissements, en coups de génie, en points glanés à la force du talent ou du courage. Seuls ceux qui n’aiment pas le tennis pour des raisons qui leur appartiennent ont le « droit » de se priver de ces représentations d’artistes.
Des histoires romanesques
Celles invoquées par Julien De Rubempré sont distantes de ce sport de plusieurs dizaines d’années-lumière. Bouder Roland-Garros au motif que Yannick Noah s’y est imposé il y a trente ans se situe au-delà de la faute de goût. Le Franco-camerounais est devenu un personnage controversé, trop moralisateur et bien-pensant aux yeux de certains, mais en 1983, il a fait vibrer la France. « 50 millions de Noah », avait au demeurant titré L’Equipe au matin de sa finale victorieuse. On peut ne pas l’apprécier, lui reprocher certains prises de position, s’offusquer de sa candeur qui semble méticuleusement élaborée, ce n’est pas un argument pour boycotter le tournoi parisien, d’autant qu’il a pris sa retraite en 1991…
Roland-Garros en regorge. Le tennis est vecteur de thrillers, de rebondissements et de remontées fantastiques. Donné pour « mort », Ivan Lendl a par exemple remonté deux sets en finale de l’édition 1984 pour finalement disposer d’un John McEnroe légitimement écoeuré au terme de sa lente agonie. Qu’il se joue à un contre un – parfois à deux contre deux, ne l’oublions pas – ne fait pas de lui un sport individualiste. Car il y a aussi, pas toujours tapis dans l’ombre, des entraîneurs, des staffs, des rencontres déterminantes et, pour certains, des vies sinon romantiques, en tout cas romanesques. Il y a des histoires incroyables. Telles celle d’Andy Murray, qui échappe à des balles, meurtrières celles-ci, lors d’une fusillade dans son école maternelle écossaise ; celle de Novak Djokovic, marqué au fer rouge par les horreurs perpétrées en Serbie ; celle de Stefan Edberg, futur numéro un mondial, qui tue indirectement un juge de ligne lors de l’US Open Juniors de 1983 et a envisagé de tout arrêter à la suite de cette épisode ; celle d’Andre Agassi, enfant-star avant d’être devenu star, muselé par un père tyrannique au point d’envisager engager un tueur à gages pour envoyer en Enfer Pancho Gonzales, compagnon de sa fille détesté.
Le tennis n’est pas digne de pamphlets de prolétaires en carton-pâte
Ainsi le tennis n’est-il pas un sport de bourgeois à l’existence toute tracée. Il ne saurait davantage être jugé à l’aune de l’attitude des spectateurs français, parfois contestable, mais généralement plus noble que celle de supporteurs de football. Ici, pas de jets d’objets sur les terrains, de crachats (sinon lors de rencontres de Coupe Davis moins bien encadrées et très marginales) ou d’injures. D’aucuns le déplorent. D’autres préfèrent les joies plus contenues et le respect. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’ils sont compassés. D’autres enfin, largement majoritaires, n’en ont cure.
Le tennis est un sport au moins aussi respectable que les autres. Il a environ cent cinquante ans, une grande histoire de traditions, d’exploits et d’émotions. Il n’est digne ni de provocations de piliers de bar, ni de lieux communs vaguement politiques ni de pamphlets de prolétaires en carton-pâte. Reste les amateurs avides de changement. Ceux, nombreux, qui aimeraient ne plus pouvoir se dire que Roland-Garros se joue (presque) seul et qu’à la fin, c’est Rafael Nadal qui gagne.
Guillaume DUHAMEL