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Quand Libération s’attaque à la tragédie de Clément Méric, le quotidien progressiste n’hésite pas à dénoncer implicitement la violence idéologique qui sévit dans les campagnes. Les habitants du village où le tueur présumé de Clément Méric a grandi sont ainsi tous potentiellement fachos, car ils défendent un assassin. Le sous-entendu du journaliste est latent, non avoué.

Ce « fascisme ordinaire » comme aime l’appeler Libé, n’est rien d’autre qu’une haine de l’autre, un rejet de l’extra communal : Je ne te connais pas, je ne t’aime pas, je n’aime pas ceux qui sont comme toi. La violence ordinaire exprime véritablement le fossé qui existe entre les élites, pour la plupart urbaines, et le petit peuple, celui des campagnes, celui que l’on tente de courtiser vainement lors des dernières présidentielles, pour mieux l’oublier ensuite. A la violence symbolique du déni d’existence, ces jeunes paumés sans instruction répondent par le vide et tombent dans le caniveau intellectuel. Esteban Morillo est la version 2.0 de l’idiot du village, le marginal que tout le monde connaît et qui se « contente » d’arborer des insignes nazies.

Mais alors, d’où vient la fracture ? Pourquoi en arrive-t-on, dans ces villages, à de tels extrémismes ? Le journaliste, comme réponse, se contente de donner les derniers chiffres de la présidentielle : « A Neuilly-Saint-Front, en 2012, le Front national était arrivé largement en tête au premier tour de l’élection présidentielle, récoltant près de 33% des voix. »

La pensée manichéenne du peuple, n’est que le reflet du débat qui s’offre à eux, où deux grilles de lecture s’opposent.

Le relativisme journalistique n’est point de mise. La pensée est arrêtée, comme consubstantielle à un fait divers, à une époque, à une grille de lecture partielle et partiale. Car de nos jours, le débat est impossible. Nous voyons alors dans les journaux « de droite » comme « de gauche », dans nos petits écrans, mais aussi sur les ondes, une élite factice, faire la leçon au peuple.

La médiocrité fait loi, les « intellectuels » se renvoient sans cesse la balle, à l’instar du débat sur la laïcité, entre les communautaires représentés, entre autres par Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République, et les obsessionnels de l’islam façon Ivan Rioufol, journaliste au Figaro. Comment inculquer au monde l’art de la nuance, celui de la réflexion, qui passe par un questionnement intellectuel, permettant d’écouter l’autre, sans le renvoyer dans les cordes idéologiques du conflit gauche/droite. La pensée manichéenne du peuple, n’est que le reflet du débat qui s’offre à eux, où deux grilles de lecture s’opposent. La naissance d’une troisième, respectueuse des idées de chacun, impossible. Le monde se divise alors en deux catégories, les bons vus de gauche – les partisans à l’antiracisme – et les bons vus de droite qui diraient tout haut ce que les gens penseraient tout bas. Et les méchants vus à travers les œillères de chaque camp : les partisans du multiculturalisme à gauche, les patriotes-nationalistes à droite.

Les antagonismes idéologiques et leurs représentants

Devant ce gloubiboulga spirituel, il convient alors de penser hors du champ de bataille en 140 caractères, et hors des duels télévisuels et de ses « punchlines » absurdes, de ceux qui pensent détenir la vérité.

Quand la pensée de masse s’exporte vers les radios, le succès est au rendez-vous. Ainsi l’émission Les Grandes Gueules sur RMC permet au café du commerce et à ses idées de se développer partout en France. La pensée binaire, chère à la plupart de nos élites, prend tout son sens. Les références des « journalistes » y sont aussi pauvres d’esprit que de sens. Point d’évocation de l’Histoire, des mouvements intellectuels et de ses penseurs. Le débat est appauvri, vide de toute substance. Aux clichés s’opposent d’autres clichés. Il n’est pas rare de voir s’y affronter un économiste néo-libéral, face à un socialiste étatiste, Pascal Perri et Karim Zeribi pour ne pas les nommer. Ne manquent que le ballon de blanc et L’équipe pour rendre la situation plus réaliste.

Les médias papiers ne sont pas en reste. Les éditocrates s’invectivent les uns les autres chaque matin dans leurs journaux respectifs. Deux chapelles idéologiques s’opposent : interdiction formelle de soulever des questions qui permettraient aux deux de se rejoindre, ou même d’avoir tort. C’est un combat de coq de basse-cour auquel nous avons droit, Laurent Joffrin face à BHL, ou encore Nicolas Demorand face à Yves Thréard, le match retour. Le lecteur est alors dans l’obligation, sous peine d’excommunication, de hocher généreusement la tête d’un oui approbateur, symbole d’une ouaille qui adhère religieusement aux sermons de ces nouveaux prêtres de la raison.

Le conflit médiatique s’apparente à un vulgaire match de football. L’antagonisme  gauche/droite ne vaut pas mieux qu’un échange de cours de récréation entre supporteurs du PSG et ceux de l’OM. Mais il est aussi vecteur de violence, tant morale que physique, parfois funeste.

Pourtant, la violence symbolique c’est aussi celle des médias, de nos élites, qui ne pratiquent en aucune manière la réflexion. Ils ne sont que des stéréotypes de leurs pensées, ne sortant jamais de leur sentier battu. Une grille de lecture par camp.  Si vous voulez nuancer les propos de chacun, apporter une réflexion, utiliser l’Histoire et la Philosophie à bon escient, passez votre chemin. Les médias font dans la tête de gondole idéologique et intellectuelle, parce qu’après tout, il faut bien vendre. Devant ce gloubiboulga spirituel, il convient alors de penser hors du champ de bataille en 140 caractères, et hors des duels télévisuels et de ses « punchlines » absurdes, de ceux qui pensent détenir la vérité.

Emmanuel Kant affirmait : « On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter ». Selon les dernières estimations, le baromètre de l’intelligence est au plus bas.

Andrés Rib

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Andrés Rib

Ancien de la Sorbonne. Professeur de Lettres. Aime le Balto, et la Philo.

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