Partagez sur "L’Allemagne et la question des frontières (1990-2001)"
« Un État n’a pas d’amis, il n’a que des intérêts. » Charles de Gaulle
Après la question européenne se trouvait une question pour le moins épineuse en Allemagne: les frontières. Quid de l’Oderneisse, quid des codes postaux, quid du Danemark, quid du regard intérieur porté par la classe politique sur les frontières?
Autant de questions auxquelles nous tentons de répondre ici, avec l’aide précieuse d’Yvonne Bollmann, et dans un esprit encore une fois, d’admiration pour l’intelligence allemande, qui plaît sans doute à nous rappeler sans cesse que nous Français, sommes les plus bêtes. Examen pratique et idéologique.
Lors de la réunification allemande, il a fallu changer les codes postaux et établir une nouvelle carte de la Poste. Censée s’inscrire dans la durée, cette démarche n’a pu être prise à la légère et se faire rapidement.
D’abord cette carte a voulu montrer que l’Allemagne n’était plus un pays divisé, où l’on pouvait encore lire géographiquement les séquelles de l’histoire. Cette carte montre une autre curiosité : le trait bleu reliant la mer du nord à la baltique, rayant ainsi de la carte le Danemark, pourtant limitrophe de l’Allemagne, comme un déni de la réalité.
Notons que cette carte numérote les régions de la manière suivante : 0 à 9 pour les 10 Länder, dans chaque Länder, il y a entre neuf et dix équivalents de nos départements : les numéros vont donc de 01 à 99. Or, il manque, techniquement, 4 numéros: 05, 43, 62 et 11. Ce petit test est à faire sur ce site de référence des codes postaux allemands.
Il est intéressant de constater que ces numéros manquants sont situés de part et d’autre des frontières est et ouest de l’Allemagne : près de l’Alsace, près de la Silésie, près des Pays-Bas et près de la République Tchèque.
Se pose alors la question des euro-régions, tant désirées outre-rhin, qui révèlent finalement une mise en place dans un intérêt purement allemand plutôt que dans une perspective de coopération, voire d’union, européenne au seul bénéfice de la naissante Union Européenne.
En effet, les Allemands ont eu cette tendance à vouloir créer des euro-régions près de leurs frontières : les détracteurs de ces projets ont maintes fois soulignés le danger que représentait la création de telles régions, puisque ce serait ouvrir la porte à l’influence allemande sur un territoire non-allemand: économique, commercial, deux aspects qui peuvent encore passer avec l’argument du bénéfice mutuel. Mais quand l’Université de la Sarre demanda un rapprochement financier (alors qu’elle était en difficulté) avec l’Université de Metz, on put alors se demander qui était le gagnant, et a fortiori le perdant.
L’Allemagne et les vives tensions historiques
Venons en à la République Tchèque, qui sans nul doute, avec la France, fait converger les passions.
Il faut revenir sur le fait que nombre de germanophones des sudètes ont fui leur terre natale (la Tchécoslovaquie) pour se réfugier en RDA/RFA au moment de la « libération » par l’Armée Rouge à la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
En Allemagne, de nombreuses associations militent et luttent pour que ces germanophones des sudètes, réfugiés, puissent revenir sur leurs terres, récupérer leurs biens « volés par les tchèques » au moment de la libération.
Mieux encore, il y a comme une volonté de « rééquilibrer » certaines choses : ainsi ces associations désirent rappeler et faire reconnaître les exactions commises par les tchèques à la libération, non pas pour faire oublier les crimes nazis, mais pour mettre sur le même pied d’égalité les différents dérapages tchèques et l’industrie criminelle nazie. Sans aucun jugement de valeur, on peut tout de même s’interroger sur le bien-fondé de telles revendications dans la mesure où le crime de guerre et contre l’humanité nazie, n’a semble-t-il jamais été cautionné, si l’en croit la population allemande en 1945, par cette même population. C’est peut-être oublier que l’Allemagne a voté à 43,9% en 1933 pour le NSDAP (comprendre Adolf Hitler)…
Quant à l’Alsace, elle se trouve, toutes proportions gardées, dans le même cas.
Le souvenir de l’Allemand en terre conquise est toujours entretenu d’une certaine manière par les habitants d’outre-rhin. En effet, bon nombre d’allemands s’installent en Alsace pour diverses raisons :
– Une des raisons les plus amusantes, et surprenantes, est le coût de la vie en France. En effet, aussi saugrenu que cela puisse paraître, de nombreuses denrées de base (à l’image de l’eau potable en bouteille), sont plus chères en Allemagne qu’en France (foi de frontalier régulier). À noter également qu’entre 1990 et 2001, l’Euro n’existait pas, le Franc restant plus fort que le Mark (3,35 Fr pour 1 Mark), il était plus intéressant donc de travailler et de vivre en France, en profitant d’une fiscalité avantageuse.
-L’autre raison, plus fréquente (et beaucoup moins dite), est que les Allemands ont le sentiment d’être chez eux. « Les Alsaciens ne sont que des Allemands corrompus par le sentiment d’appartenance, illogique, d’être français », cette citation de Bismarck résonne (et raisonne encore beaucoup) dans l’inconscient des allemands. Les communautés allemandes sont en effet très importantes en Alsace, surtout près de la frontière, et beaucoup d’entre-elles se comportent comme si elles y étaient chez elles, au grand damne des Alsaciens, fatigués parfois de ce comportement de conquérant hôte.
Cette position est certes à nuancer, mais elle existe bel et bien, compte tenu des différents témoignages apportés par des Alsaciens, des élus locaux ou des tiers (hors-Alsace, touristes etc.) qui sont souvent démarchés dans le cadre d’enquêtes et d’articles locaux. La question de l’Allemand en Alsace intrigue: l’Alsace aime travailler et commercer avec eux (il suffit d’observer le drapeau de feu la région Alsace – une stylisation de la région détachée du reste de l’hexagone -), mais n’apprécie pas non plus que certains considèrent Haguenau ou Wissembourg, voire Strasbourg, comme une enclave allemande en pleine France. Réclamons dans ce cas Landau !
Les frontières vues par la classe politique allemande
Il y a chez les politiques allemands une obsession de la frontière, relative au fantôme de l’espace vital. Il n’est pas rare d’entendre parler à cette époque dans les couloirs du SPD (le parti de gauche principal allemand !), qu’il faut cesser de parler d’Ostdeutschland mais de Mitteldeutschland, en lieu et place de la RDA. Autrement dit, il existe une autre Ostdeutschland, plus à l’est que celle présentée comme telle, donc au delà de l’Oderneisse, donc en Pologne.
C’est d’autant plus surprenant que cette position ravive l’idée que la Pologne n’a pas lieu d’être et que la frontière naturelle devrait être russe. Frontière qui a longtemps existé, et qui est dans l’esprit de certains plus naturelle que l’existence d’un État Polonais souverain. Balivernes, délires d’un germanophobe? Détrompez vous, et renseignez vous sur les bruits de couloir du SPD de Helmut Schmidt, qui tint les mêmes propos rapportés plus haut: l’Allemagne de l’Est est à l’Est de l’Oder.
Enfin, les politiques allemands excluent pour beaucoup la présence polonaise, parlant de liens étroits avec les Russes, les Lettons etc. De fait, un pont au dessus de la Pologne s’est établi avec l’établissement d’universités germano-russes et de sociétés implantées dans les deux pays: à l’image d’une négation la plus totale de la Pologne, comme une blessure du passé, comme un membre amputé dont les signes nerveux (le membre fantôme) restent vivaces.
À l’Ouest rien de nouveau?
Sujet hautement tabou dans notre hexagone. Plus personne n’en parle, plus personne n’ose, plus personne n’y pense. De mémoire récente, un grand quotidien français (le Figaro pour ne pas le nommer) titrait pourtant, le lendemain de l’annonce de la réunification allemande, « Faut-il leur rendre l’Alsace et la Lorraine? ». L’idée était lâchée, mais comme beaucoup de sujets de fonds, elle s’est vite vaporisée.
Notre glorieuse république fait-elle l’autruche? À tel point qu’à l’heure des réformes territoriales, personne n’évoque la main mise économique et administrative faite par certains sur nos frontières: dumping social, évasion fiscale, autant de questions dont on entend beaucoup parler, et dont on voit peu les aboutissements. Parler des frontières, c’est être fasciste.
Parler d’immigration, c’est être fasciste (Les lecteurs qui ont déjà eu le plaisir de lire les articles du Nouveau Cénacle ont pourtant bien compris que le fascisme n’existe plus). Mot sorti à toutes les sauces, le fasciste aujourd’hui fait figure de grand responsable de tous nos maux de société, alors que c’est bel est bien le tabou le responsable.
Oser parler, oser débattre, voilà un principe qui devrait être inscrit en lettres d’or dans la Constitution et sur les frontons des écoles: « OSONS ». Oser, c’est ce que fait le Nouveau Cénacle tous les jours: il ose, sans tabou, parler de sujets qui fâchent et qui font polémique. Il ose s’inscrire dans une tradition de l’écrivain polémiste, engagé, mais offrant une diversité aux lecteurs peu présente dans les grands groupes de presse. Expliquer une Allemagne qui parle et débat de ses frontières sans se soucier du sentimentalisme (le célèbre « c’est mal »), c’est exacerber chez nous, en France, notre faible courage et notre piètre honnêteté.
La question des frontières est donc délicate, complexe, et ne saurait se résumer dans une béatitude vouée à la sacrosainte réunification, considérée non comme un but en soi mais comme une étape intermédiaire vers le rétablissement plein et entier de l’hégémonie allemande en Europe.
Loin d’être militaire, cette hégémonie est économique, culturelle voire sociale. Quand Merkel parle, l’Europe écoute (et surtout la France). Quand le Bundestag vote, l’Europe apprend. Quand la Poste Allemande établit ses codes postaux, personne ne bronche. Quand on nie la Pologne, le monde applaudit la réconciliation germano-russe. Enfin, quand l’Alsace est considérée comme une petite province allemande, on demande aux frontaliers de se taire, et à Strasbourg, plus d’intégration européenne.