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Les éditions du Cerf publient Les Nouveaux enfants du siècle d’Alexandre Devecchio, un essai percutant et documenté sur les fractures des jeunesses françaises. Entre nihilisme et djihad, Manif pour tous ou quête identitaire, ils ne sont ni plus ni moins que le miroir inversé de la génération 68.

Dans La Confession d’un enfant du siècle, Musset moque ainsi Desgenais : « C’est un homme qui ne croit à rien, ne craint rien, qui n’a ni un souci, ni un ennui peut-être, et il est clair qu’une piqûre au talon le remplirait de terreur ; car si son corps l’abandonnait, que deviendrait-il ? Il n’y a en lui de vivant que le corps ». Incarnation d’une génération sans spiritualité ni ardeur, il est l’archétype de ce que le narrateur déplore tout au long de l’ouvrage : le passé glorieux qui n’est plus, un présent désenchanté qu’il faut subir. « Je suis venu trop tard dans un monde trop vieux », résume aussi Musset dans un vers de Rolla

Après la lecture des Nouveaux enfants du siècle, le constat semble encore plus accablant : le passé ne signifie plus rien, le présent est anxiogène, l’avenir hésitant entre fin de l’histoire et lendemains tristement festifs. Les soixante-huitards agonisants sont restés trop jeunes dans un monde pas si vieux ; les nouvelles générations sont trop vieilles dans un univers en pleine crise d’adolescence. Pire encore : dans un pays qui ne cesse de s’excuser de son histoire et dans une société sans transcendance, elles se morcellent en différentes mouvances qui proposent à la fois du commun et du dépassement de soi. Jusqu’au tragique. 

De la fracture à la paralysie 

Alexandre Devecchio identifie trois fractures majeures : la « Génération Dieudonné », la « Génération Zemmour » et la « Génération Michéa ». D’une part, une partie de la jeunesse issue de l’immigration manipulée par les officines radicales qui, à l’image de Khaled Kelkal et de son attentat dans le RER B qui annonçait les Merah et Coulibaly vingt ans auparavant, ne veut pas s’assimiler à un pays dont les us et coutumes sont diamétralement opposés à ceux du noyau familial. Le djihad apparaît par conséquent comme le seul vecteur d’une intégration mythifiée à un groupe. Moins dramatique, le repli sur un communautarisme islamique constitue aussi une forme de réponse à une France qui n’assume plus sont histoire millénaire.

« Parmi ces trois groupes, Alexandre Devecchio identifie bien d’autres sous-parties et autres ramifications, c’est pourquoi la lecture de cet essai est impérative pour qui veut saisir les fractures de notre pays qui conduisent à sa paralysie ». 

D’autre part, ces jeunes en quête identitaire qui poussent à l’unisson « le sanglot de l’homme blanc » et sont sensibles aux thèses défendues par Eric Zemmour ou Marion Maréchal Le Pen. Ceux-là affirment les racines chrétiennes de la France, refusent le multiculturalisme. Bien souvent issus de cette « France périphérique » selon l’expression du géographe Christophe Guilluy, ils connaissent le drame de vivre dans une banlieue où l’insécurité (culturelle, physique et sociale) règne. Enfin, l’auteur analyse ces jeunes qui, des Veilleurs à Nuit Debout, refusent le diktat néo-libéral sur la société. Qu’ils soient défenseurs d’une écologie intégrale ou pourfendeurs du capitalisme, ils combattent le mariage pour tous comme le pouvoir démesuré des banques car ils savent depuis Michéa que le libéralisme économique va toujours de pair avec la dérégulation sociétale. 

Parmi ces trois groupes, Alexandre Devecchio identifie bien d’autres sous-parties et autres ramifications, c’est pourquoi la lecture de cet essai est impérative pour qui veut saisir les fractures de notre pays qui conduisent à sa paralysie. La coupure est également générationnelle entre les baby boomers qui ont privé leurs enfants de la transmission d’une culture et d’un mode de vie, mais aussi sociale puisque le taux de chômage des jeunes pulvérise tous les records. 

Les enfants du relativisme

Puisque tout se vaut, alors tout est permis, autorisé, voire encouragé. Tel est le credo moderniste qui régit notre époque. Si cet ouvrage est convaincant, c’est aussi parce qu’il ne tombe pas dans l’écueil du relativisme ni dans celui de l’essentialisation : tous les jeunes ne rentrent pas dans ces trois catégories, et ces dernières ne se valent pas toutes. Il mesure simplement les dégâts causés à la fois par un matérialisme tout-puissant et aussi par un égalitarisme forcené qui désacralise l’école, la République, le bien commun. 

« Se railler de la gloire, de la religion, de l’amour, de tout au monde, est une grande consolation, pour ceux qui ne savent que faire ; il se moquent par là d’eux-mêmes et se donnent raison tout en se faisant la leçon ». 

Pour qualifier la « génération Dieudonné », il est d’ailleurs écrit : « Ces nouveaux enfants du siècle sont les fils et les filles de Daech et de Youtube, de Ben Laden et de Nabilla, du calife Al-Baghdadi et de Cyril Hanouna » (p. 106). Le culte effréné du divertissement, à l’heure où la tablette est le seul référent intellectuel de millions de jeunes, le totalitarisme festif naguère croqué par Philippe Muray, tout cela concourt également à un endormissement général qui provoque des réveils brutaux. 

Nous ne saurions donc que trop recommander Les Nouveaux enfants du siècle, pour la richesse de son analyse tout d’abord, et ensuite pour la qualité de son écriture vive et distanciée. Dieudonné, Zemmour et Michéa n’y sont bien entendu pas mis sur le même plan, mais leurs thuriféraires expliquent l’atomisation de la France. Cette désolation des temps présents et cette désespérance figuraient déjà dans le chef d’oeuvre de Musset : « Se railler de la gloire, de la religion, de l’amour, de tout au monde, est une grande consolation, pour ceux qui ne savent que faire ; il se moquent par là d’eux-mêmes et se donnent raison tout en se faisant la leçon ». 

Les Nouveaux enfants du siècle, par Alexandre Devecchio, aux éditions du Cerf, 324 pages.

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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