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Depuis le 31 mars dernier, des centaines de manifestants se réunissent place de la République pour protester notamment contre la loi Travail dite El Khomri (ou l’inverse?). Les commentateurs indiquent que les jeunes se détournent de la gauche, or cela fait bien longtemps que ces derniers épousent les thèses de droite. Mais, médiatiquement, la jeunesse « socialiste » demeure incontournable.

Depuis trente ans, la France est un pays exceptionnel. Non pas dans sa dimension historique, littéraire et intrinsèquement géniale que personne ne conteste, mais dans son unicité. Son incroyable singularité. Alors que de nombreux pays ont accompli avec succès de nombreuses réformes économiques pour agir à la fois sur la hausse des salaires, le déficit et l’emploi, la France a décidé dans son coin de persévérer dans la gabegie des fonds publics avec les 35 heures et autres mesures absurdes qui plombent la croissance. Le matraquage fiscal des classes moyennes pour payer les intérêts de la dette et financer des emplois aidés dans les MJC du territoire : un beau programme que le monde entier nous envie.

La loi El Khomri, vidée de sa substance, était loin d’être parfaite (notamment sur la question du plafonnement des indemnités prudhommales) tout comme elle était mal préparée : le gouvernement, comme toujours, finira par renégocier avec l’UNEF qui ne représente plus personne et quelques syndicats tout aussi impopulaires voire rejetés par les salariés .

Les anciens étudiants sérieux, qui souvent effectuaient deux heures de RER pour aller à l’université, se souviennent avec dépit de ces portes bloquées par trois punks à chiens aux revendications aussi troubles que leurs pupilles ; tout comme ils se souviennent avec dégoût de ces hordes de casseurs venues détrousser le jeune bourgeois dans les rues dorées de la capitale. La France bloquée, incapable de se réformer parce qu’infoutue de trouver des interlocuteurs crédibles, retombe dans ses innombrables travers en rejouant une énième fois la farce de Mai 68.

Nuit Debout : Quand Trotsky joue aux Legos

Il parle dans un mégaphone, boit de la 8,6 et s’assoit pour écouter ses copains beugler sur une estrade. Il est déjà convaincu que c’est historique.

Après le terrorisme, le social. Après les cœurs dessinés par terre, des slogans sur les murs. Décidément, la place de la République est en train de vivre la pire décennie de son histoire. Le Charlie, cet être compassionnel persuadé que la Terreur recule face au festif, s’est mué en Gavroche version grunge le printemps venu. Il parle dans un mégaphone, boit de la 8,6 et s’assoit pour écouter ses copains beugler sur une estrade. Il est déjà convaincu que c’est historique.

Symptôme d’une génération qui ne veut pas grandir, il joue aux Legos géants dans Paris. Il fait des cabanes. Entre deux cartons, il monte une table pour jouer au révolutionnaire. L’été et les grandes vacances dissiperont peut-être ses velléités politiques, mais comprenez-le : il est tombé amoureux de sa propre révolte. Ne lui parlez pas non plus d’immigration massive ni des fractures françaises chères à Christophe Guilluy. Tout dévoué qu’il est à sa cause archaïque et manichéenne, il n’a que le vilain patron en horreur.

Mai 68, Podemos français … La même rengaine envahit à nouveau les réseaux sociaux et les journaux dès que des jeunes avec des dreadlocks et un keffieh occupent le pavé. C’est un emballement frénétique qui procure de petits frissons aux anciens Che Guevara de pacotilles comme aux intellectuels en quête d’une renommée perdue.

Le savoir-faire médiatique de la jeunesse de gauche

C’est justement le seul laurier que nous pouvons tresser sur ces chevelures mal peignées : avec les médias, ils savent faire. Un « media center » va même être installé à République pour que des caméras viennent immortaliser leur crise d’adolescence somnambulique. Parce que la société du spectacle a toujours besoin de se mettre une tendre rébellion sous la dent, elle aime exhiber ces pantins de l’UNEF pour faire croire que Paris gronde.

C’est justement le seul laurier que nous pouvons tresser sur ces chevelures mal peignées : avec les médias, ils savent faire.

Cet incontestable succès sur les réseaux sociaux et le retentissement médiatique consécutif est estimable. De surcroît, leur refus de la négativité, leur candeur et la vacuité de leur combat les rendent sympathiques : ce que par exemple les Veilleurs n’ont pas su faire. Pourtant nombreux à lire des textes et à débattre eux aussi la nuit, ils ont été immédiatement rejetés dans le camp du Mal par la presse progressiste.

Les mêmes CRS ont pourtant jeté du gaz lacrymogène sur des familles, jusqu’à 500 000 manifestants ont battu le pavé, mais rien n’a été possible contre l’alliance Libération / France Inter / Canal +. Le duplex du Petit journal a été moins connivent, parce qu’il ne s’agissait après tout que de préserver un modèle familial millénaire.

Souhaitons le meilleur à ces Don Quichotte d’un genre nouveau. C’est l’année de la Miséricorde, après tout. Et reconnaissons humblement que leur activisme médiatique force le respect, alors qu’ils ne représentent absolument plus rien du tout au sein d’une jeunesse qui s’abstient massivement ou vote Front national. Les combats les plus beaux ne sont-ils pas les plus désespérés ?

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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