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En cette période estivale propice au calme et au recueillement, j’ai décidé de me lancer dans une nouvelle aventure littéraire.

En suivant les pas de mon illustre modèle, Paul Léautaud, à qui Alfred Vallette, le directeur du Mercure de France, avait permis de laisser libre cours à sa verve dans une chronique quelque peu irrégulière, j’ai pressé à mon tour notre cher directeur de la rédaction, qui mène la barque du Nouveau Cénacle, de me permettre de rédiger une gazette suivant mes envies. Le jeune vieillard que je suis, s’il peut se vanter d’avoir acquis quelque expérience au contact de personnes fort recommandables, ne peut en tout cas revendiquer une place de journaliste et encore moins de « spécialiste », pour reprendre un terme que l’on utilise à tout-va dans ce que l’on a coutume d’appeler les media. Cette gazette, ramassis de ragots et de clabaudages pour certains, fera peut-être le miel de quelques lecteurs qui pourront y grappiller ici ou là quelques conseils de lecture ou quelques idées. N’y cherchez pas un ordre, car, à la façon de Montaigne –le talent en moins, je procéderai par saccades et sautillements, laissant ma plume virevolter au vent de mes pensées.

Vous allez croire que je ratiocine et que je ne suis capable de détacher ma pensée de la sienne, mais je me vois obligé de commencer cette chronique en vous parlant de Paul Léautaud. Je vous prie de bien vouloir m’en excuser, mais c’est l’actualité qui le veut. J’ai reçu récemment un émile (terme que j’emprunte à Gabriel Matzneff et qui me semble beaucoup plus joli que l’affreuse création lexicale « courriel ») d’un écrivain, Monique Neubourg, que j’ai eu le bonheur de connaître lors d’une rencontre littéraire à laquelle j’avais apporté ma modeste contribution sous la forme d’une allocution sur Paul Léautaud et ses chats. Cette dame, auteur d’un admirable petit livre intitulé Comment domestiquer son maître quand on est un chat, m’avertissait fort gentiment du fait que la radio France Inter rediffusait tout l’été les bandes des émissions que le journaliste Robert Mallet avait enregistrées avec Paul Léautaud. Ayant la chance d’avoir en ma possession ces enregistrements de Radio France, j’ai pris toutefois la peine d’allumer mon poste afin d’écouter une nouvelle fois cette voix criarde et moqueuse proclamer que tel savant est un sot ou que la poésie de Mallarmé, « c’est très beau mais ça ne veut rien dire ». Quelle joie de me replonger dans ces entretiens ! J’ai entendu dire maintes fois par mon grand-père qu’au moment de la radiodiffusion hebdomadaire de ces émissions, les gens se précipitaient dans les cafés pour entendre à la TSF le vieillard de Fontenay fustiger l’absurdité du monde dans lequel tous ces auditeurs vivaient. Je n’ai malheureusement pas le temps d’écouter toutes les rediffusions de ces enregistrements, mais il y a peu de chances que les programmateurs de France Inter aient eu le courage de diffuser aussi les propos que Léautaud tient sur les femmes. Proclamer sur les ondes qu’il n’y a pas une seule page d’écriture qui vaille une femme et que l’on préfère la compagnie des animaux à celle des humains, cela relèverait aujourd’hui du suicide médiatique et l’on verrait une horde de jésuites de la pensée fondre sur le malheureux libertin. S’il est vrai que Léautaud n’avait pas compris que ses propos étaient diffusés dans la France entière, sa franchise et son honnêteté ont conquis les auditeurs qui connaissaient l’homme. Car ces propos ne peuvent se comprendre qu’à l’aune d’une vie, où les femmes, à commencer par la mère de l’écrivain, ont été une perpétuelle source de souffrance. Enfin, il est bon que la voix de l’écrivain résonne encore dans nos oreilles, pour nous rappeler que la seule voie à suivre est celle de la droiture.

« J’ai compris ce que c’était que l’effort de ces héros du Tour qui gravissent les côtes des Pyrénées ».

Je n’ai jamais eu aucune passion pour le vélo et encore moins pour le fameux Tour qui voit s’affronter chaque été sur les chemins de France et d’ailleurs (cette année il me semble qu’ils sont allés étaler la gomme ultrasophistiquée de leurs pneus faméliques sur les routes de la perfide Albion) les bagnards de la route. Si d’aucuns, à l’instar de notre confrère Christophe Bérurier, auteur d’une belle chronique sur la petite reine, nourrissent une véritable passion pour le cycle, je me sens personnellement étranger à cet engouement. C’est pourtant plein d’entrain et, il faut le dire, plein de confiance que j’ai enfourché mon vélo pour affronter les fiers cols des Cévennes. Et j’ai compris ce que c’était que l’effort de ces héros du Tour qui gravissent les côtes des Pyrénées. Tout avait pourtant bien commencé. Les quinze premiers kilomètres, mon vélo, pris d’une frénésie soudaine, semblait avancer sans aucun effort sur les routes plates et goudronnées tandis que nous traversions les villages cévenols au milieu de gens vaquant à leurs affaires. Puis arriva la première montée. Je découvrais les bienfaits des petits et des grands plateaux et mes mollets commençaient à manifester leur désapprobation. Ce qui est agréable dans une montée, c’est lorsqu’elle est ponctuée de ce que l’on appelle, il me semble, des « faux plats », car vous avez alors l’impression de vous envoler à nouveau vers les cimes tandis que tous vos muscles se détendent avant d’affronter à nouveau la verticalité.

Il faut croire cependant que ces hommes courageux qui ont dessiné dans la roche ces routes sinueuses des Cévennes et que le romancier André Chamson a magnifiquement décrits dans Les hommes de la route, n’ont pas pensé à ménager des faux plats sur la voie qui mène au col de Mouzoules, à 800 mètres d’altitude. C’est donc tout honteux que je descendis de mon destrier à pédales afin d’accomplir à pieds les derniers kilomètres de l’ascension. Tandis que le maillot jaune s’éloignait et, avec lui, mon courage, j’en profitais pour observer cette nature florissante propre aux massifs montagneux des Cévennes. Les châtaigniers remplaçaient peu à peu les chênes et une douce odeur de menthe sauvage flottait dans l’air. Pour les derniers mètres qui me séparaient du col, je montais à nouveau sur mon vélo et c’est en cycliste que je franchissais le col de Mouzoules. Avant d’entamer la descente – récompense aussi rapide que rafraîchissante après la longue, pénible et lente ascension du col – je profitais de ce paysage qui m’était offert de tous côtés. C’est peut-être là que réside le prix de l’effort accompli. Quel plaisir de profiter de la vue de ces montagnes à perte de vue depuis le sommet balayé par un vent frais tandis que la vallée est écrasée par la chaleur ! Et l’on ne peut comprendre cela que si l’on a gravi la montagne à pieds ou à vélo, car la voiture ne nous permet pas de ressentir les mêmes sensations. Assis à ma table et perclus de courbatures, je n’ai pourtant qu’une envie en écrivant ces mots, c’est de reprendre derechef mon vélo et de gravir un nouveau col. Juste pour ressentir ce plaisir.

Charles Guiral

Charles Guiral

Charles Guiral

Charles Guiral est professeur de Lettres classiques dans un Lycée de la région bordelaise. Sans aucune autre qualification, il ose s'intéresser aux lettres et à l'art, de façon générale. Les voyages ne l'intéressent pas.

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