share on:

Avec Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ? sur nos écrans depuis mercredi, le cinéma français a définitivement embrassé la « diversité », ajoutant celle-ci à son arc de genres populaires. Cependant, il est parfois difficile de s’identifier à ces représentations souvent maladroites des minorités ethniques. Le sociétal est-il soluble dans le cinéma ? Sans apporter de réponse toute faite, il s’agit de s’arrêter quelques instants sur les enjeux de cette tendance.

Le foisonnement ethnique et culturel a toujours existé en France. A la fin du XIXème siècle, ce sont les Italiens, Espagnols, et autres Polonais qui s’installaient en nombre sur le territoire. Ce furent ensuite les populations d’Afrique du Nord, qui dans l’entre-deux-guerres, étaient venues compenser le massacre de la Première Guerre mondiale.  A ce processus, complexe, pléthorique, on a voulu donner un nom, peut-être à tort, comme pour mieux l’utiliser : le multiculturalisme. Celui-ci s’est fait une place de choix dans le cinéma français.

Le multiculturalisme au sens normatif consiste dans l’institutionnalisation de la diversité culturelle et ethnique au sein  d’un État de droit. L’exemple des quotas aux États-Unis ou au Canada, qui sont d’abord des objectifs plus que des chiffres arrêtés, est de ce point de vue représentatif de ce que le multiculturalisme peut produire dans une société. Par ailleurs, lors du recensement décennal, il est demandé aux Américains de remplir un formulaire où ils doivent indiquer leur ethnicité. 

On pourrait dire qu’il n’y a donc pas vraiment de multiculturalisme institutionnalisé en France, car l’État ne reconnait en principe pas de « minorité », mais des citoyens. Cependant, sa faiblesse vis-à-vis des différentes forces associatives, relayées par des médias demandeurs, ainsi que la réalité concrète du pays évoquée plus haut, font qu’il y a un multiculturalisme « de fait » en France dans une relative paix sociale.

Quand la communauté fait son cinéma

A ce cinéma populaire, s’est substitué un cinéma plus juvénile, plus communautaire. La figure de la femme ou du jeune, souvent immigré, a remplacé celle de l’ouvrier dans le cinéma français grand public.

Le terme est revenu dans le débat public durant la dernière décennie, et tel un tsunami, a tout emporté. Plus qu’une réalité, c’est aujourd’hui une arme médiatique, qui se manifeste dans sa forme la plus visible dans un certain nombre de productions françaises. Ces derniers temps, on a vu sortir des films mettant en scènes des personnes issues de populations immigrées, qui ne rendent pas toujours justice à leurs ancêtres. On  pouvait espérer mieux.  La dernière mouture de Philippe de Chauveron, Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?, n’est une goutte d’eau dans cet océan, abordant ce thème par le prisme du mariage. On peut citer Les Aventures de Rabbi Jacob, qui avait ouvert la boîte de Pandore de manière grandiloquente. L’union maritale, déjà, était mise en scène dans une fin pour le moins inattendue, où Antoinette Pivert, prise d’un coup de foudre pour Mohamed Larbi Slimane, part en hélicoptère avec ce dernier, abandonnant son fiancé. Le premier mariage mixte du cinéma français.

S’il est difficile de placer un début à cette tendance de films communautaires, force est de constater qu’ils sont de plus en plus présents dans les salles obscures. Ces derniers temps, on a pu aller voir Indigènes, Intouchables, Beur sur la ville, Les femmes du sixième étage, La cage dorée, La marche, Case Départ, Tout ce qui brille, Paris à tout prix, et plus récemment, Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ?, ou 24 jours, relatant l’affaire Ilan Halimi.  

Le cinéma d’Audiard ou de Molinaro nous parait aujourd’hui bien loin, celui des Tontons Flingueurs, qui d’ailleurs, à chaque diffusion, bat des records d’audience. Le film populaire par excellence. Le versant social s’appuyait sur une classe ouvrière en noir et blanc et des dialogues savoureux. Aujourd’hui, à ce cinéma populaire, s’est substitué un cinéma plus juvénile, plus communautaire. La figure de la femme ou du jeune, souvent immigré, a remplacé celle de l’ouvrier dans le cinéma français grand public.

Dans la représentation de ces minorités à l’écran, la France est encore un peu immature, ne semblant s’intéresser qu’à l’écume des choses et ne sachant pas trop comment évoquer ce sujet. Durant la dernière décennie, on a fini par compartimenter ces groupes. Ces films, dramatiques, souvent patauds, s’apparentent à une loi victimaire, pour que tout le monde ait droit à sa part dans ce grand gâteau multiculturel. C’est la course à l’échalote. A chaque communauté ses productions, à chaque communauté son réalisateur, Arcady pour les Juifs, ou Bouchareb pour les Arabes, ainsi de suite.

Dans une symétrie presque parfaite, ces films martyrs répondent aux comédies. Il ne semble pas y avoir d’entre deux. Il n’y a donc plus de véritable intérêt dans ces représentations prises sous deux angles qui ne se rencontrent jamais. Ils finissent par tous se ressembler. Paradoxalement, les personnages interprétés incarnent les clichés qu’ils sont censés dénoncer.

Un cinéma au service de la perpétuation du préjugé

Cette unité abstraite de la minorité vue comme exclusivement préoccupée par elle-même, dans une position narcissique et réductrice vis-à-vis de ce qui constitue un être humain.

Ce mode de représentation n’offre donc plus rien de symbolique, pour former des êtres un qui ne souffrent aucune dualité. Ce qu’ils sont à l’intérieur est forcément induit par ce qu’ils sont à l’extérieur.  Ce n’est même pas une vision de la réalité, un mirage tout au plus, car personne n’est tributaire de ses origines. Mais le cinéma français en a décidé autrement. Aussi un Noir ou un Arabe à l’écran aura souvent les caractéristiques suivantes : il est de banlieue ou immigré, n’est pas riche, doit  faire ses preuves, se plaint de ne pas être reconnu à sa juste valeur, etc. Hors de ces sillons déjà maintes fois empruntés, point de salut. Le propos est simpliste. Mettant automatiquement l’individu d’origine immigré dans une position problématique, devant absolument faire ses preuves dans une société hostile. On en vient à observer des gens qui s’essentialisent en populations de banlieue. Au lieu de prendre son indépendance vis-à-vis d’un modèle qu’on leur assène, on préfère se complaire dans les clichés qu’on contribue à entretenir. Les minorités pérennisent ainsi leurs propres stéréotypes (Tout ce qui brille notamment). Leurs comparses parisiens n’ont même plus besoin de le faire pour eux.

Les scénaristes, et leur volonté de dépeindre la réalité actuelle, projetant des personnages sans contradiction, de manière à effacer tout contraste, finissent par lasser. Cette unité abstraite de la minorité vue comme exclusivement préoccupée par elle-même, dans une position narcissique et finalement réductrice vis-à-vis de ce qui constitue un être humain. Toutes les dissonances humaines ont besoin d’être envisagées, car la France n’est pas qu’une suite de minorités les unes à côté des autres. Or, le cinéma français a tendance trop souvent à véhiculer cette idée, de manière peu subtile. Il veut représenter une réalité, en montrant des éléments qui la contredisent à chaque instant.

Pourtant, certains réalisateurs sortent de leur carcan identitaire et cela donne des films intéressants. Rachid Bouchareb et son tout récent La voie de l’ennemi nous offre une production bien rythmée, et solide. Dans un autre registre, Inside Man de Spike Lee reste un modèle du genre dans le polar, et prouve une nouvelle fois qu’un réalisateur n’a pas toujours besoin de proclamer ses origines pour rencontrer le succès.

La marchandisation ethnique du rire

On veut aussi essayer d’avoir un bon retour sur investissement en mobilisant la population issue de l’immigration, qui est attendue dans les salles, comme une évidence.

Parfois, dans la volonté de satisfaire tout le monde, et pour essayer de toucher le plus large public, on tombe dans un joyeux désordre. Le dernier film de Philippe de Chauveron, drôle par moment, est par exemple une contradiction. Les parents, catholiques pratiquants, sont considérés tout au long de l’histoire comme xénophobes et intolérants, alors que dans le même temps, leurs quatre filles épousent des hommes d’origine immigrée. Outre le fait qu’on a l’impression d’avoir déjà vu ce scénario 150 fois, si le multiculturalisme au sens opératoire existe en France, il ne se résume surtout pas à son traitement par le cinéma.

On peut dire que de ce côté, la France s’est américanisée dans sa vision des cultures d’origine, sans pour autant en posséder les bases historiques ou politiques. Cela donne un édifice culturel bancal, d’autant que les films dramatiques ne rencontrent pas vraiment le succès escompté. Pour aller vite, on en parle beaucoup, mais peu de gens vont les voir. Ce sont au final les comédies qui s’en tirent le mieux, car l’engagement passe mieux par l’humour. On veut aussi essayer d’avoir un bon retour sur investissement en mobilisant la population issue de l’immigration, qui est attendue dans les salles, comme une évidence. Si le rire peut être un moyen de faire passer un message de tolérance, il possède aussi une dimension marchande non négligeable. Le marketing ethnique prospère depuis longtemps aux États-Unis, la France se contente pour l’instant de vendre cette diversité au cinéma.

Si l’industrie française exploite les minorités à l’écran, elle n’en retire pas toujours les bénéfices espérés, et ce n’est peut-être pas une mauvaise chose. Cela prouve peut-être qu’une personne ne se résume pas seulement à ses origines. On se souvient de La Haine, magnifique chronique sociale, où la communauté d’origine n’a jamais trop d’importance, seules l’exaspération, la souffrance, communes aux trois protagonistes, étaient là pour nous, à contempler. Et si c’était ça la France ?

On se souvient avec nostalgie de La Haine, cette magnifique chronique sociale, où la communauté d’origine n’a jamais trop d’importance, seules l’exaspération, la souffrance, communes aux trois protagonistes, étaient là pour nous, à contempler. Et si c’était ça la France ?

mm

Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

Laisser un message