Léa Seydoux est partout, sous toutes les coutures. Certes, très jolie, elle déclenche l’ire d’une partie de l’opinion, voyant en elle le porte-drapeau du népotisme à la Française. Elle, « la petite fille de l’homme le plus puissant du cinéma français », ne devrait sa réussite artistique qu’à son lignage. Indignons-nous, mais n’est pas Stéphane Hessel qui veut, et on se propose de nuancer quelque peu cette accusation facile lancée à nos acteurs français, qui se complairaient dans une sorte de consanguinité artistique confortable.
Si l’on se penche sur cette grande famille du cinéma, et nous tournons vers nos amis américains, on remarque que, là-bas, dans ce pays de cocagne, où les blockbusters enthousiastes se font la nique, cette filiation existe aussi, pour le plus grand bonheur des spectateurs. Ainsi, des acteurs reconnus, tels que Robert Downey Jr, Jennifer Aniston, Sigourney Weaver, Liza Minelli et autre Ben Stiller – pour ne citer qu’eux – ont un parent issu de l’univers cinématographique.
Là encore la connivence familiale est à tous les étages, sans doute depuis plus longtemps qu’en France, avec un saupoudrage généreux de talent. Car ce n’est pas tant le népotisme qui est critiquable, mais ce qu’il produit. Jésus lui-même était un fils de, qui peut l’en blâmer ?
Le népotisme chez l’Oncle Sam
Jésus lui-même était un fils de, qui peut l’en blâmer ?
Lorsque l’équilibre talent/famille se fissure, la colère gronde. Car à la fin, les Français aiment leurs artistes, capables de venir voir par milliers le gang des Gérard, que ce soit un Depardieu décrépi, un Lanvin encore fougueux ou un Jugnot, qui se bonifie avec le temps. On ne la lui fait pas. Mais essayons de nous distinguer de nos libérateurs américains – d’ailleurs sans eux, selon la formule consacrée, « nous serions tous en Germanie » – ces gens si peu élégants et souvent narcissiques.
On remarque que dans les médias américains, il n’est presque pas fait mention de la filiation d’un tel avec tel acteur célèbre, producteur, écrivain, etc. Il n’y a pas de débat sans fin sur le « fils de » qui ne doit sa carrière qu’à son patronyme. Si les gens ne grondent pas, c’est qu’ils sont satisfaits, peut-être heureux de retrouver leurs acteurs à l’écran. On peut quand même voir qu’une certaine Jennifer Lawrence, inconnue du grand public il y a 3 ans, soit devenue l’une des plus jeunes actrices américaines à remporter un oscar. Sa famille n’est pas « du métier ». Elle a simplement écumé les castings, et avec un peu de chance et de talent, construit une belle carrière. De l’autre côté de l’Atlantique, Léa Seydoux, la petite actrice qui monte, mais n’a pas eu à monter très haut, étant déjà au sommet de l’arbre. Ne restait plus pour elle d’y aller cueillir les fruits que son héritage prestigieux avait plantés pour elle. Le dossier du Monde 2, M, peu importe le nom d’ailleurs, copie bâclée du supplément hebdomadaire du New York Times, est de ce point de vue éloquent, nous présentant cette jeune femme comme mystérieuse, évitant la presse grand public.
Pour une nouvelle définition du cinéma
Aujourd’hui, on produit des célébrités sans talent, et cela commence à se voir.
Il n’est pas question ici d’admonester les individus, qui ne sont qu’une variable secondaire, sinon négligeable. Il n’y a pas de coupable à fusiller, du regard tout du moins. Mais, la méritocratie culturelle française a fait long feu, et nous voilà peut-être condamnés à voir une génération de « fils de » envahir notre univers culturel et artistique. On prend les mêmes et on recommence, le talent en moins.
Car c’est bien de talent dont il est question, lorsque les Français ont toujours l’impression de voir les mêmes, et que ces derniers ne lui apportent rien, sinon l’idée d’un système figé, où l’entre-soi a créé une société parallèle et imperméable. Une société où la provocation sans contenu et la communication élevée au rang d’art mineur ont pris le pouvoir. Aujourd’hui, on produit des célébrités sans talent, et cela commence à se voir. Les exemples sont légions et nous rappellent sans cesse à quel point l’apparence du talent a remplacé l’objet lui-même. Les filles et fils de ne sont qu’un dommage collatéral de cette tendance.
Qu’est-ce que le talent au fond ? La capacité d’un acteur à nous faire ressentir quelque chose relevant du domaine de l’irrationnel. Le talent est une sincérité jouée à fleur de peau. Il est toujours intéressant de voir des critiques présomptueuses se perdre en mots creux lorsqu’un acteur français les font «vibrer». Comme s’il fallait être érudit pour réellement apprécier le cinéma. Lorsqu’à la sortie d’une projection, on repart, touché par cette félicité triomphante, il n’y a pas de manière plus sûre de juger de celui-ci. L’entêtement du sentiment : voilà une définition du cinéma. Il est temps pour le cinéma français de prendre des risques, d’autant qu’il possède un confortable matelas de subventions en cas de coup dur.
Il est temps pour ce dernier d’ouvrir les yeux, et d’embrasser le vrai monde. Car le cinéma, en tant qu’art, est une exigence.