Comme chaque année, les rebelles subventionnés investissent Longchamp pour écouter les derniers groupes à la mode et faire une bonne action. L’occasion de s’interroger sur cette nouvelle forme de fraternité moderne.
Après l’édition « Embrassez vos envies », les Solidays reviennent en 2013 avec « In love we trust », à l’occasion des quinze ans de ce festival destiné à récolter des fonds pour lutter contre le SIDA. Cette année, Bloc Party, C2C, M, Kery James ou l’inévitable David Guetta seront de la fête et un record de fréquentation est d’ores et déjà annoncé. Parce que Solidays, c’est bien plus que de la musique. Au hasard des chapiteaux, on trouve au choix un stand pour apprendre à enfiler un préservatif géant, du saut à l’élastique et une vache Milka pour faire du rodéo. Et pour être certain de faire la fête sans culpabiliser, les organisateurs annoncent la réduction de l’empreinte écologique de l’évènement. Le week-end « solidaire et musical » peut dès lors avoir lieu.
David Guetta, icône du scientisme ?
Nous en revenons presque à Condorcet et à « L’Âge positif » d’Auguste Comte selon qui le progrès scientifique rendra l’Humanité meilleure et plus heureuse.
A la différence d’une autre grand-messe caritative comme les Enfoirés, les Solidays se caractérisent par deux motivations : la célébration collective et la récolte de fonds pour la recherche. La finalité du projet est évidemment louable car elle permet in fine de préserver des vies, mais il n’en demeure pas moins que l’analyse du discours qui sous-tend cette opération est révélatrice de bien des caractéristiques de notre époque.
« Depuis sa première fois, Solidays a réussi son ambitieux pari de récolter des fonds dans une ambiance festive ». (source : www.solidays.org). Phrase d’accroche banale, typique des cérémonies caritatives, mais qui souligne dans un premier temps cette corrélation entre le festif et l’optimisme, entre le progrès scientifique et la joie des temps futurs.
Nous en revenons presque à Condorcet et à « L’Âge positif » d’Auguste Comte selon qui le progrès scientifique rendra l’Humanité meilleure et plus heureuse. Nous sommes cet âge du positif. Le triomphe scientifique par le bruit. Un week-end de joie collective contre la maladie.
Ecouter David Guetta sous un chapiteau permettrait de lutter contre un virus mortel. Implacable. Le DJ mondialisé revêt par conséquent les habits du sauveur universel ; il sera celui qui écoulera le plus de tickets, donc il fera avancer le progrès. Et tant pis si sa musique est abrutissante : l’essentiel est qu’elle permette au plus grand nombre de participer à l’éradication du Mal.
Même si neuf festivaliers sur dix se rendent à cette kermesse occulte uniquement pour écouter le dernier groupe à la mode, il n’en demeure pas moins que toute une idéologie est perceptible derrière ce rassemblement.
Solidays : L’avènement du militantisme « sympa »
Mais pour la nouvelle génération de 2013, rompue aux concerts caritatifs et aux festivals subventionnés, la fraternité doit être exposée sur Instagram.
Même si le sourire y est obligatoire, celui qui ne se rend pas aux Solidays, voire pire, qui n’aime pas ces festivités est automatiquement taxé de ringardise par ces nouveaux apôtres du Progrès par la fête. Le pauvre automobiliste obligé de klaxonner pour se frayer un passage parmi la foule agglutinée devant Longchamp, le piéton sans histoire qui refuse poliment les prospectus distribué aux abords des chapiteaux ou le simple riverain lassé d’entendre brailler sous sa fenêtre sont systématiquement suspectés d’être des ennemis du Bien.
« Au fil des années, le festival est devenu le rendez-vous incontournable d’une génération. Un festival atypique et porteur de sens, qui fédère les énergies avec la volonté d’unir combat et festivité, musique et solidarité », annonce une nouvelle fois le site du festival. Il y aurait donc un sens de la fraternité générationnel, une nouvelle manière d’être solidaire. Jusqu’au siècle dernier, la solidarité se devait d’être invisible, sinon discrète – nous songeons ici à ces aristocrates des romans de Dumas qui visitent les pauvres en secret et leur donnent une bourse. Mais pour la nouvelle génération de 2013, rompue aux concerts caritatifs et aux festivals subventionnés, la fraternité doit être visible, rassembleuse. Elle doit être exposée sur Instagram. Elle rime avec consommation de gobelets de bière et exercice de rodéo sur une vache Milka, le tout sans émission de CO2.
C’est l’engagement « soft », le règne du « militant sympa ». In love we trust. La génération du sentiment, fondamentalement individualiste mais attachée à ces festivités grégaires pour se donner bonne conscience. La fraternité 1664 n’est en fin de compte pas si loin du zéro.