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La communauté paroissiale du Temple Neuf de Strasbourg consacre une exposition sur l’oeuvre du peintre yézidi Kheder sous le titre du « Cri de Kheder » afin illustrer le thème d’  « un Dieu qui désarme la violence » (du 26 mars au 29 avril 2018).

Aussi dans le but de présenter l’artiste et son oeuvre, j’utiliserai le texte de mon intervention au cours du vernissage qui a eu lieu le mardi 27 mars 2018.

Le pasteur Rudi Popp (à gauche) et Kheder au centre (avec le micro)

Les oeuvres exposées ici au Temple Neuf de Strasbourg sont celles d’un artiste peintre dénommé KHEDER HAJI DAHAM.

Agé de 46 ans, c’est un réfugié yézidi habitant depuis août 2014 en France, dans la ville de Forbach en Moselle avec sa femme et ses six enfants.

Il fait partie de la communauté des yézidis qui vivaient dans le nord de l’Irak, dans les montagnes du Sinjar et qui ont dû quitter précipitamment leur pays en août 2014 suite aux persécutions perpétrées par Daech.

Les organisations internationales ont commencé à parler des yézidis et du génocide à partir de cette même date.

En quelques jours, on a recensé 1500 tués en majorité des femmes, des enfants et des vieillards qui ont été découverts dans des dizaines de charniers autour de Sinjar.

200 000 personnes ont fui vers la zone autonome du Kurdistan irakien. Kheder fait partie de ceux qui ont eu la vie sauve en quittant leur région d’origine.

A Dohuk, troisième ville du Kurdistan irakien, on a recensé entrée 5000 et 6000 femmes capturées et réduites à l’état d’esclaves sexuelles.

 

Pourquoi cette haine belliqueuse vis-à-vis des Yézidis ?

Les musulmans orthodoxes les accusent de vénérer un ange déchu, le diable, Satan.

En réalité, il s’agit d’une fausse lecture.

Selon la tradition, si les yézidis vénèrent un archange dénommé Malek Taous, qui a effectivement désobéi Dieu,  on oublie seulement de dire qu’il a été ensuite aussitôt pardonné par lui.

Mieux encore puisque Dieu l’a même chargé d’organiser le monde matériel avec l’aide d’autres anges.

En fait cette religion yézidie est très particulière.

Première religion monothéiste avant les religions du Livre, elle avait été réformée au XII ° s., s’inspirant beaucoup du judaïsme et du christianisme.

Mais ses véritables racines plantent dans les anciennes civilisations mésopotamiennes préislamiques.

(la mazdéisme de l’Iran antique, le culte de Mithra né en Perse et le zoroastrisme monothéiste prophétique par Zarothoustra )

L’Etat islamique ne les considère pas comme une religion du Livre, étant les disciples du diable, et propose leur éradication pure et simple , d’où le terme de génocide – employée depuis août 2014.

Heureusement pour Kheder et sa famille qui ont pu en réchapper et ont pu obtenir un visa pour la France !

Sa peinture, comment la caractériser ?
1. Elle est le témoin de la violence subie par son peuple

Cette violence est révélée dans ses toiles à travers des visages mortifiées par l’angoisse et la peur.

Un monde sans joie sous le signe d’un expressionnisme sans concession ( très proche de l’expressionnisme allemand des années 20 avec Otto Dix et Georges Grosz ).

Sur une palette de peintre, on peut y voir notamment une personne qui pousse un cri et qui fait penser au cri de Munch (artiste norvégien).

En effet comme pour Munch, Kheder utilise la technique de l’ondoiement chromatique pour construire la tête de son personnage, ce qui a l’avantage de provoquer le sentiment de panique du Cri.

Il réussit à concentrer dans cette figure humaine toutes les sensations d’épouvante et d’horreur.

D’ailleurs hormis ce personnage qui pousse un cri, on découvre également les mêmes sentiments d’effroi dans beaucoup de ses représentations humaines.

Il réussit à les révéler en mettant en évidence certains caractères physiques communs : bouches ouvertes, visages étirées, froissés ou comme meurtris par la souffrance.

2.  Mais sa peinture prône un autre chemin

En effet l’artiste ne se complait pas à traduire une souffrance mortifère.

Kheder en digne représentant de cette communauté yézidie qui est essentiellement non belliqueuse et bienveillante avec les autres, propose en fait une autre lecture.

A ce titre, il ne stigmatise pas les individus de l’Etat islamique en tant que tels, mais désigne plutôt la part d’ombre, la ténèbre présente en chacun d’entre nous. Derrière Daech, c’est l’humanité toute entière qui est mise en accusation.

Reprenant le Psaume 139, 12 « La ténèbre n’est point ténèbre devant toi et la nuit comme le jour illumine ? »

Ce verset 12 donne lieu, en effet, à une lecture éclairante de l’oeuvre de ce peintre. Les ténèbres ou la nuit peuvent représenter une situation où Dieu semble absent comme dans toutes les toiles de Kheder où l’on ne verrait que des scènes d’horreur.

Or, le travail de cet artiste, à l’image de ce verset,  est aussi source d’espérance :
même au plus profond des ténèbres, quand tout est sombre devant moi, quand je ne vois plus de chemin possible, quand Dieu semble s’être absenté en abandonnant les yézidis aux mains de Daech , Sa Présence secrète peut de manière paradoxale rayonner, et alors les ténèbres s’illuminent!

Comparable à un peintre gnostique, sa quête de la lumière est effectivement bien présente dans certaines toiles.

Comme par exemple dans une toile, où l’on peut voir un homme qui chemine tout seul, en direction d’un horizon qui laisse entrevoir de la lumière.

On peut commenter cette oeuvre en reprenant le dernier verset du Psaume 139 (v.24) :

« Vois que mon chemin ne soit fatal, conduis-moi sur le chemin d’éternité. »

De même on peut également comprendre son besoin de pratiquer l’abstraction, que l’on découvre aussi dans certaines de ses toiles. Cela lui permet d’évacuer une figuration violente…afin de retrouver une sorte d’apaisement.

3.  ses toiles, comme de véritables paraboles du monde

C’est pourquoi, interpréter uniquement son oeuvre sur le plan de son vécu de réfugié et de victime d’un génocide reste toujours réducteur.

Par l’horreur des scènes de crimes de guerre qu’il offre à voir par sa peinture, il fait surgir le monde et l’anti-monde, le noble et l’ignoble, les ténèbres et la lumière.

Dépassant alors le simple cadre d’une histoire personnelle, ses oeuvres deviennent de véritables paraboles du monde.

L’espoir est toujours présent dans son oeuvre et pour le croyant, Dieu est toujours là où on ne l’attend pas, comme une présence affectueuse et protectrice digne d’une mère.

Pour conclure, les versets 7 à 10 du même psaume 139 l’attestent d’ailleurs magnifiquement:

 

v. 7« Où irai-je loin de ton esprit,

où fuirai-je loin de ta face ? »

v. 8 « Si j’escalade les cieux, tu es là,

qu’au shéol je me couche, te voici. »

v. 9 « Je prends les ailes de l’aurore,

je me loge au plus loin de la mer, »

v.10 « même là, ta main me conduit,

ta droite me saisit »

EXPOSITION « LE CRI DE KHEDER » DU 26 mars au 29 avril 2018 – TEMPLE NEUF, place du Temple Neuf – 67000 STRASBOURG 

Christian Schmitt,
www.espacetrevisse.com

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Christian Schmitt

Critique d'art. Auteur de "l'univers de J.L. Trévisse, artiste peintre" (ed. Lelivredart 2008) et de trois autres ouvrages sur les vitraux réalisés par des artistes contemporains aux ed. des Paraiges: Jean Cocteau (2012), Jacques Villon (2014) et Roger Bissière (2016). A retrouver sur : http://www.espacetrevisse.com

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