Ces derniers jours, une vieille dame, des squatteurs et un pont ont beaucoup fait parler d’eux.
On le sait, depuis les monarques bâtisseurs, tout projet de construction ou d’installation est souvent politique. On voit cependant de plus en plus petit. Tout a commencé avec un Pont des Arts, pliant sous le poids de l’Amour. Tel un Atlas épuisé, il fallait tenter quelque chose pour soulager le démiurge vacillant.
C’est un souvenir. Car Paris, comme Rome, c’est la nostalgie de la grandeur.
La solution trouvée, temporaire, ne semble pas plaire à tout le monde. N’aurait-il pas été plus sain d’enlever les cadenas, discrètement, au fur et à mesure, car au fond, l’amour est éphémère, et l’accrocher sur un pont ne le rend pas plus durable. On reste dans le symbole, et personne ne revient pour vérifier s’ils sont toujours là. D’ailleurs comment le pourrait-on, tant les cadenas étaient nombreux ?
C’est un souvenir. Car Paris, comme Rome, c’est la nostalgie de la grandeur. On ne visite pas cette ville pour sa modernité architecturale, New-York suffit amplement. Conserver pour régénérer, encore une idée de vieux con. Rêvons d’un monde où le bon sens et la modération politique seraient de mise, où les aboyeurs professionnels payés par nos impôts seraient inaudibles. Peine perdue.
Le Moi et le Progrès
Malheureusement on préfère s’attaquer au bien d’autrui pour s’affirmer en tant qu’individu, ou détruire une tradition, certes anodine, pour s’affirmer politiquement. Remarquons que moins on compte dans une société, plus on ressent le besoin de s’épancher. La sobriété, une vague idée décatie. Cela peut s’appliquer aux squatteurs ainsi qu’à la maire de Paris, récemment aperçue à Cannes montant les marches (sic). A noter qu’elle n’en est pas à son coup d’essai, les amateurs de sexualité débridée ont ainsi pu apprécié l’œuvre exposée place Vendôme en octobre dernier.
Pour ce pont, on nous parle d’altération temporaire. Entre les moutons de Panurge venu défigurer un bel endroit pour assouvir leur médiocre Moi et une mairie prête à tout pour mettre en évidence ses velléités de progrès et d’ouverture à la modernité, on reste sceptique. La modernité n’est pas en soi critiquable, mais c’est surtout ce qu’elle produit.
L’affront sera, nous dit-on, remplacé par des panneaux vitrés, certes. Mais nos édiles parisiens n’ont pu s’empêcher d’envoyer un message, d’organiser cette « occupation » intempestive, qui oppose plus qu’elle ne rassemble, encore. Ils ont le droit, comme les squatteurs. Le minimum aurait cependant été de rendre l’endroit comme on l’a trouvé, mais, ceci étant de l’ordre du «devoir », on est dans l’abstrait.
Maryvonne face au coup d’éclat permanent
Alors qu’elle ne répondait qu’à un besoin primaire – se loger – l’occupation devient comme par magie politique, car on se sent légitime pour habiller politiquement une occupation injuste pour Maryvonne ou immonde pour le Pont des Arts.
En cela, les squatteurs et la Mairie ne sont plus vraiment de gauche, ne pensant qu’à eux, au coup d’éclat permanent. Une gauche concrète doit participer activement à l’amélioration de notre civilisation, pas à son délitement. Nous restons de grands naïfs au Nouveau Cénacle. Mais quand ces derniers, certes précaires, viennent occuper le logement d’autrui, on est dans le nihilisme le plus total.
L’égalitarisme français semble favoriser celui qui échoue, de son fait ou pas, en lui trouvant des raisons de se comporter ainsi. Les faits sont ainsi et sont têtus. Une femme, retraitée de 83 ans, après la mort de son compagnon, ne pouvant plus vivre chez lui car ses héritiers veulent vendre le bien, doit retourner chez elle, étant propriétaire de son habitation. Ajoutons qu’elle n’est pas à la rue. Dans cette période de transition, elle reste au domicile de son conjoint décédé.
Elle se retrouve face à de jeunes précaires, occupant son domicile sans son accord.
A partir de cette prémisse, la machine s’emballe. Des groupes d’extrême droite prennent fait et cause pour Maryvonne, dont le nom « bien de chez nous » constitue à lui seul un symbole. Le fait divers est instrumentalisé. Cette dernière est considérée par les occupants comme faisant partie des « propriétaires spéculateurs » soutenue par des « fascistes », affiches à l’appui. Certes.
On oppose les « petits » aux « grands », les opprimés face à l’oppresseur. La limite est ténue.
Alors qu’elle ne répondait qu’à un besoin primaire – se loger – l’occupation devient comme par magie politique, car on se sent légitime pour habiller politiquement une occupation injuste pour Maryvonne ou immonde pour le Pont des Arts. Sur une note plus prosaïque (encore un truc de vieux con), chers amis propriétaires, entretenez impérativement votre appartement ou votre maison. Dans le cas contraire, votre domicile pourra être interprété comme un signe d’invitation aux pauvres enfants « trop jeunes pour percevoir le RSA ou le minimum vieillesse », selon les déclarations des dits squatteurs « bien de chez nous ». Il est d’ailleurs intéressant d’observer que, dans la mesure où tous les protagonistes sont des Français blancs, on tombe dans l’opposition fascistes/anti-fascistes. Si cela avait concerné des populations immigrées, on aurait sans doute versé dans la configuration toujours gagnante droite/FN versus PS/MRAP/SOS Racisme/BondyBlog/Indigènes de la République/Les Indivisibles/Les heures les plus sombres. Bienvenue en France.
Le Street Art et l’Histoire
Le graffiti ou le tag est une forme de subversion, d’ailleurs, cela reste puni par la loi. L’inscrire sur l’un des monuments les plus emblématiques de Paris, c’est le dénaturer.
On inverse aussi les hiérarchies. Sans remettre en cause la qualité des artistes, qu’est-ce que le Street Art dans l’histoire de l’art ? Une semaine, une heure, une minute ? Finalement, aujourd’hui en France, tout se vaut artistiquement. L’enlèvement des Sabines de David peut-il être l’égal de la fresque du Pont des Arts ? Entre égalitarisme social et égalitarisme culturel, il n’y a qu’un pas, que la mairie a allègrement franchi. En même temps, on a maintenant un parti qui se dit républicain et un parti qui se dit socialiste : on a pas fait mieux dans l’inversion des hiérarchies depuis le train de vie du paon CGTiste, amis des ouvriers. Et ce n’est qu’un début.
On peut aussi penser (et cela est plutôt rassurant) que si le politique porte cet art aux nues, c’est qu’il est sans doute en fin de cycle. Le graffiti ou le tag est une forme de subversion, d’ailleurs, cela reste puni par la loi. L’inscrire sur l’un des monuments les plus emblématiques de Paris, c’est le dénaturer. Le squat, dans la tradition du joyeux bordel, dans la veine de la Miroiterie, qui a malheureusement fermé ses portes, a son charme et encourage la création. Je me souviens au cours de mes jeunes années d’étudiant en fleur m’être rendu dans cet endroit, où tout le monde s’envisageait en tant qu’égaux. La Miroiterie était un lieu unique de vie culturelle intense, alliant musique, ateliers d’artistes, galerie d’exposition, magasin solidaire. Mais lorsqu’on se permet de vivre dans le bien d’autrui, et qu’on le dégrade par frustration, l’équation ne fonctionne plus.
On a dans les deux cas un point commun : un nihilisme, c’est-à-dire une espèce de religion du présent. Avant il n’y a rien. Après, il n’y a rien. On reste prisonnier de l’instant.
Si l’on se positionne en tant que graffeur et si l’on se veut sincère avec son art, on doit refuser cet égarement. L’art de rue, quand il est récupéré par la doxa, devient nul et non avenu. Ce type d’expression picturale a toujours été à la marge, et le rendre « officiel » s’avère contre-productif. Le terme même de galeriste de Street Art, utilisé pour désigner l’auteur de la fresque, sonne faux.
On a dans les deux cas un point commun : un nihilisme, c’est-à-dire une espèce de religion du présent. Avant il n’y a rien. Après, il n’y a rien. On reste prisonnier de l’instant.
Chez Nietzsche, la signification du nihilisme est que « les valeurs les plus élevées se dévalorisent », s’invalident. Pas seulement la dévaluation effective de celles-ci, mais la perte de la possibilité de valeurs primordiales à suivre en tant que telles.
Ces valeurs procèdent de normes. Avec le nihilisme, c’est la fin du « nomos », aucune loi, aucune hiérarchie ne préside à l’activité humaine. Nous sommes finalement des animaux savants sans autre but que de subsister. On entre dans le « kosmos », l’ordre spontané, découlant uniquement de l’action individuelle des Hommes, non de leur dessein commun.
Il ne fait aucun doute que le travail de Medhi Ben Cheikh doit être salué, comme toute tentative nouvelle d’exprimer le monde. Peut-être d’ailleurs fera-t-il l’objet d’un article de la part de notre critique d’art. Mais l’inscrire sur ce monument, faisant face à l’Institut de France, sonne comme une provocation puérile. Pour les amateurs de graffiti, nous vous recommandons le Portugais Odeith, inventeur du graffiti en 3D. Le résultat est fascinant, si l’on prend en compte le fait qu’il parvient à cette prouesse par la seule application ordonnée de couleurs sur un mur. Autrement dit, le graffiti ou le street art a sa place dans le concert des créations, peut-être moins sur le Pont des Arts, au risque de s’inscrire dans le « kosmos ».
Avec ces deux événements, on observe que, devant ce trop plein de liberté, l’homme ne devient rien d’autre que son propre projet, tout lui est permis, il remplit des tâches sans boussole. Étrangement, ces deux sujets sont le moins susceptibles d’être politisés. Cependant, ils le deviennent systématiquement. Avoir un toit n’est ni de droite ni de gauche, pas plus que les goûts artistiques. Pourtant sur ces éléments, qui ont leur importance, on a encore réussi à diviser les Français, une tradition « bien de chez nous ».
—
Rémi Loriov