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Réflexions sur la liberté et les racines inspirées par la lecture de deux essais, Radicalisons-nous ! La politique par la racine, de Gaultier Bès (éditions à la Limite, 2017) et Pour la liberté. Répondre au terrorisme sans perdre la raison, de François Sureau (éditions Taillandier, 2017), ainsi que par certains événements plus ou moins regrettables et récents.

« Après les attentats du Bataclan, le mari d’une victime a publié une lettre où il disait, vous vous en souvenez, « Vous n’aurez pas ma haine. » Le Législateur, quant à lui, paraît publier à chaque loi une lettre ouverte à Daesh où il lui proclame : « Vous n’aurez pas notre haine, mais tenez, vous pouvez avoir nos libertés » » – François Sureau, op. cit.

« Dire des Français qu’ils reçoivent, en tant que peuple comme en tant que personnes, de leurs racines historiques une part non-négligeable de leur identité commune, ce n’est pas leur prescrire un destin végétal[1], mais prendre en compte tous les déterminismes qui les constituent et les unissent, et les distinguent des autres, à commencer par la langue, les coutumes, le territoire, toutes ces réalités mouvantes que l’histoire façonne au fil des siècles… » – Gaultier Bès, op. cit.

Homme, toujours tu chériras la liberté ! Rien n’est plus en danger aujourd’hui en France que la liberté. Tout est prétexte à la réduire, le plus souvent insidieusement (comme le démontre Sureau dans ses plaidoiries), parfois outrageusement. Retour d’une loi des suspects qui ne dit pas son nom sous prétexte de lutte contre le terrorisme ou les violences faites aux femmes ; fin de la présomption d’innocence de facto avec la jetée en pâture à la vindicte populacière de « porcs » présumés qui n’en peuvent mais ; et cerise sur le gâteau, le défenseur des droits qui propose l’inversion de la charge de la preuve[2] en une matière où il est quasiment impossible à l’accusé de prouver sa bonne foi. Ce qui reviendrait, en d’autres termes, si par malheur le Parlement venait à entendre M. Toubon, à autoriser la condamnation sur simple dénonciation de toute personne accusée par une femme de harcèlement ou d’agression sexuelle, sans que cette dernière n’ait la moindre obligation d’apporter une quelconque preuve de ce qu’elle avance.

« L’exagération pour complaire au sentimentalisme exacerbé par les réseaux dits sociaux et la communication à outrance n’a jamais constitué une réponse raisonnable à des problèmes pourtant bien réels ».

Il ne s’agit même plus de dénoncer les risques de dérives que la proposition de M. Toubon engendre, mais de dénoncer la proposition de M. Toubon en elle-même comme un risque extrêmement virulent pour la liberté, la justice et la démocratie. Et M. Toubon est trop intelligent pour lui faire l’injure de croire qu’il n’est pas pleinement conscient de ce qu’il propose. L’exagération pour complaire au sentimentalisme exacerbé par les réseaux dits sociaux et la communication à outrance n’a jamais constitué une réponse raisonnable à des problèmes pourtant bien réels.

François Sureau et la fuite en avant sécuritaire

L’essai de François Sureau regroupe trois plaidoiries prononcées devant le Conseil constitutionnel à la demande de la Ligue des Droits de l’Homme (qui pour une fois était dans son rôle) sur des dispositions prises dans le cadre des lois antiterroristes et sur l’état d’urgence votées après les attentats islamistes du Bataclan. Dans ces trois plaidoiries, Sureau montre comment le gouvernement, soutenu par le Parlement dans l’ensemble de son spectre, a essayé de contraindre la liberté d’expression et d’information, de rogner la liberté d’aller et venir, de criminaliser « l’intention » d’une personne suspectée de terrorisme.

La justice démocratique, essentiellement, ne condamne que pour des actes commis. Condamner sur une « intention » qui ne peut être que présumée, cela porte un nom, c’est du totalitarisme. Ce totalitarisme mou du politiquement correct, de l’infantilisation à outrance et de la transparence idolâtrée est en passe – le Conseil constitutionnel a heureusement donné gain de cause à la Ligue des Droits de l’Homme défendue par maître Sureau – de devenir dur : le gouvernement de M. Valls l’a fait voter avec l’appui de la gauche comme de la droite, et nous devons être reconnaissants à la Ligue et au Conseil constitutionnel pour nous préserver (mais pour combien de temps ?) de cette fuite en avant sécuritaire qui ne permet en rien d’améliorer la sécurité des Français, mais qui assassine concrètement leur liberté.

La liberté d’être soi

Une autre liberté est grandement menacée aujourd’hui en France, celle d’être soi, de savoir qui l’on est et d’où l’on vient, bref, la liberté d’avoir une identité et des racines. Nul besoin de revenir sur le révisionnisme historique, les anachronismes et la communication ultra-émotionnelle dont usent sans vergogne les idéologues du multiculturalisme comme de l’identitarisme[3]. Peut-être que la réponse à ce besoin d’identité et de racines, fondamental chez l’être humain, est à chercher dans la radicalité, au sens étymologique du terme.

« Bès file la métaphore de l’arbre avec pertinence, mais ne se contente pas de commenter. Dix propositions concrètes et réalistes viennent conclure son essai ».

Pour avoir des ailes, l’Homme a besoin de racines, pourrait-on dire en paraphrasant le titre d’une émission télévisée. C’est ce que propose Gaultier Bès dans un court et néanmoins stimulant essai intitulé avec un brin de provocation et beaucoup de malice Radicalisons-nous ! La politique par la racine. Bès file la métaphore de l’arbre avec pertinence, mais ne se contente pas de commenter. Dix propositions concrètes et réalistes viennent conclure son essai. C’est à l’échelle locale qu’il propose de retrouver cette liberté fondamentale d’être, de savoir qui l’on est, d’où l’on vient pour décider où l’on va.

Gaultier Bès : « Dans ce jeu de dupes, le citoyen n’est plus qu’un électeur, la démocratie qu’une grande surface. Et l’alternance étouffe l’alternative. »

Commencer par connaître et respecter son environnement, ce qui chez l’auteur passe à la fois par le respect de la vie, des rythmes de la nature et une certaine sobriété quelque peu stoïcienne en opposition radicale avec l’hubris capitaliste financière ultra-individualiste fondée sur la consommation et le jetable. L’Homme est un animal social. Or, l’époque tend à atomiser la société – et l’élection d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République n’est pas rassurante de ce point de vue. Comme le souligne Gaultier Bès, « dans ce jeu de dupes, le citoyen n’est plus qu’un électeur, la démocratie qu’une grande surface. Et l’alternance étouffe l’alternative. » Contrairement à ce qui nous est seriné à longueur d’ondes et de colonnes par l’essentiel des médias, tous d’accord entre eux sur le sujet, l’enracinement n’est pas mortifère, il est libératoire. L’enracinement est liberté. Sans racines, pas d’ouverture à l’autre possible. Sans racines, l’Homme n’est qu’un maillon interchangeable de la globalisation financière qu’on utilise en fonction de sa capacité à engendrer des profits dont il ne verra jamais la couleur.

Panem et circenses

Un revenu minimum universel, du temps de cerveau disponible, ainsi la société crétinisée et atomisée ne bougera pas. Panem et circenses. C’est tout le sens des politiques économiques vantées par Attali et consorts, des politiques éducatives définies par Peillon. Du vide, du creux, du malléable.

« Le système qui, par son oeuvre éducatrice (scolaire et médiatique), se targuait d’engendrer des personnes libres et responsables, pétries des idéaux les plus nobles, s’écroulera donc sous les coups de ce qu’il a lui-même produit, en réalité : un gibier de dictature. »

Mais comme le notait Ingrid Riocreux en conclusion de son essai[4] brillant sur le journalisme actuel, « On a coutume de dire que l’ascenseur social est en panne. Cela signifie que la démocratie est morte, qu’elle a dégénéré en oligarchie. Ceux qui ont le pouvoir le gardent ; ceux qui ne l’ont pas n’ont aucun espoir de l’acquérir. Sous prétexte de tendre la main aux seconds,les premiers leur vendent des entraves séduisantes : à travers les médias serviles, une information « de qualité », à travers une école délétère, une éducation « d’excellence. » (…) « L’illettrisme entraine la violence, et la sécurité appelle la tyrannie. Le système qui, par son oeuvre éducatrice (scolaire et médiatique), se targuait d’engendrer des personnes libres et responsables, pétries des idéaux les plus nobles, s’écroulera donc sous les coups de ce qu’il a lui-même produit, en réalité : un gibier de dictature. »

Plus que jamais la Liberté est un combat d’actualité. Pas de liberté sans racines, pas de liberté sans justice garante des droits. C’est le sens de ces réflexions inspirées par les essais de Sureau et Bès.

 

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[1]L’auteur réagit à un article de Jacques Attali publié le 28/09/2015 sur son blog de L’Express, dans lequel ce dernier écrit : « Nous ne sommes pas des radis. », puis « Quelle absurde métaphore ! Des racines ? Comme si l’idéal des Français était d’être des radis ! Comme s’il fallait rester vivre là où on est né. Comme s’il fallait tout refuser du monde. » (cité par G. Bès, op. cit., p. 26).

[2]http://www.vududroit.com/2017/11/harcelement-macron-tweets

[3]Si vous voulez en rire sans garde-fou, je vous recommande la déjantée Inavouable Histoire de France d’Homo Soralis à Cro-Macron des éminents Norbert Hérisson et Stéphane Burne, breumement illustrée par Marsault (Ring, 2017)

[4]Ingrid Riocreux, La langue des médias. Destruction du langage et fabrication du consentement, L’Artilleur, 2016. Chronique de votre serviteur ici : http://librairtaire.fr/wordpress/?p=3626

 

Le Librairtaire

Le Librairtaire

Historien de formation, Le Librairtaire vit à Cordicopolis. Bibliophage bibliophile, amateur de caves à cigares et à vins. http://librairtaire.fr/wordpress/

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