Au Sahel la France retrouve 4 otages et perd deux journalistes. Les quatre Français, Daniel Larribe, Marc Féret, Thierry Dol et Pierre Legrand, enlevés le 16 septembre 2010 par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) au Niger, ont retrouvé le sol français ce 30 octobre après trois ans de captivité dans le désert. Alors que les conditions de leur libération restent floues, vérité en-deçà du Sahara rimant avec mensonge au-delà, trois jours passent et deux journalistes de RFI sont enlevés à Kidal et retrouvés morts quelques heures après. S’il est trop tôt pour affirmer un lien entre les deux situations, rien de ce qui se passe des Ifoghas à l’Aïr n’est sans rapport.
Du Monde au Quai d’Orsay : Sources contradictoires
C’est tout d’abord la version du Quai d’Orsay contredite par un article du Monde. La France a obtenu sans versement de rançon la libération des otages avec l’aide du Niger et singulièrement d’un proche du président nigérien, lui-même ancien rebelle touareg, Mohamed Akotey. Mais déjà, Laurent Fabius laisse la place aux spéculations: « Pour ce qui est de l’Etat français, aucune rançon n’a été versée ». La porte à un financement par l’entremise d’une entreprise est grande ouverte. Le Monde annonce une somme: 20 millions d’euros. Exit la nouvelle doctrine française en matière de libération d’otages?
Jacques Follorou, spécialisé dans les questions de renseignement extérieur, va plus loin dans les détails. Il va même très loin, quelques heures seulement après la libération des otages, ce qui fait surgir le doute d’une écriture sous dictée, tout du moins d’une version bien ficelée. Le 21 octobre un groupe de 18 Français et Touaregs dirigé par Mohamed Akotey, part de Kidal, chargée de récupérer les otages. Une valise à l’arrière, mais aucun appareillage électronique. Pas de couverture de l’armée, et une vérification par le médiateur au départ. Kidal fonctionne comme une zone neutre entre deux écosystemes, celui du Sahel y rencontre le Sahara. L’armée française se tient à quelque distance. Ici, c’est le Mouvement National de Libération de l’Azawad qui commande.
Le lendemain un article du quotidien Jeune Afrique vient partiellement contredire ce premier récit. La source est proche du président nigérien Mahamadou Issoufou. « En fait de délégation d’envergure, Mohamed Akotey aurait été seul à prendre la route du désert » Jeune Afrique s’attarde à raison sur le profil de ce Touareg, curieusement éludé par l’article du Monde. « Acteur majeur de la première rébellion touarègue des années 1990, il est depuis devenu un notable local. Ancien ministre, il est aujourd’hui le président du Conseil d’administration d’Imouraren SA, la filiale d’Areva qui exploite l’immense mine d’uranium d’Imouraren et surtout un interlocuteur incontournable dans le Sahel ». C’est qu’au Niger, contrairement au Mali, la rébellion a accouché d’un semblant de compromis. Une partie des Touaregs a remisé ses armes à la cave, en échange d’une implication politique, d’une redistribution des revenus des mines, et d’une autonomie qui ne dit pas son nom dans la région d’Arlit.
Un compromis qui ne dit pas son nom
La problématique Touareg engage la stabilité de tous les pays de la région, de la Mauritanie à la Libye, du Mali au Tchad (dans ce dernier pays il ne s’agit pas de Touaregs proprement dit, mais le mode de vie et les affinités culturelles sont proches.) La solution nigérienne est leur hantise, notamment à Bamako. Si le processus démocratique y a été relancé, conduisant à l’élection d’Ibrahim Boubacar Keïta, l’attitude vis-à vis des rebelles de l’Azawad est toujours peu orientée au pardon. Le jour même de l’enlèvement des journalistes d’RFI avaient lieu à Bamako les Assises du Nord. Censées amorcer un processus de développement, le président a tenu à ménager le Sud, en affirmant ne pas vouloir privilégier l’ex région rebelle. Réticences au Sud, franche méfiance au Nord. Interrogé par RFI, un responsable associatif de Gao dénonce l’absence de représentants de l’ancien Azawad, autre que des cooptés par Bamako. Certains se sont même organisés pour prendre d’eux-mêmes un avion pour la capitale, et on ne parle là que de ceux de bonne volonté…
Bamako a aussi soufflé le chaud et le froid, comme avec Iyad ag Ghali. Un temps intègré dans le jeu national des années 90 (il est alors représentant consulaire en Arabie Saoudite), il se retrouve à la tête de l’Azawad, tête ensuite mise à prix pendant l’opération Serval. Divers témoignages l’impliquent dans les tractations autour des otages libérés, sans que l’on sache si c’était avec l’intention de le réintégrer au paysage politique malien, assez partagé sur son retour. Cette intransigeance finit par irriter Paris, dont les soldats garantissent la paix armée sur le terrain, condamnés à rester en l’absence de solution politique. Et pour un coût supérieur à celui éventuellement payé pour une rançon contre otages…
Paris est passé de sauveur de la nation malienne à trouble-fête
Dès l’opération Serval, grâce aux excellents renseignements transmis au Quai d’Orsay, la France a privilégié la fragmentation du fragile front de l’Azawad. Pourchasser Aqmi et le MUJAO, liés au terrorisme international, ménager le MNLA, à dominante indigène, à la revendication plus identitaire que religieuse. Et trouver le Mohamed Akotey des Ifoghas, bien qu’ici il n’y ait pas de rente minière à redistribuer, en lieu et place des trafics transfrontaliers. Peut-être Ambéry ag Rhissa, le porte-parole du MNLA en face duquel les journalistes de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été enlevés, comme un défi.
Leur assassinat, quelques heures plus tard, sur la route au Nord-Est de Kidal, est peut-être le dommage collatéral des efforts français vers une solution négociée au conflit Nord-malien. Les médias se focalisent sur le volet financier alors que l’essentiel est ailleurs. L’implication de Mohamed Akotey, vétéran du Nord Niger, dans le Nord Mali, et les premières rumeurs faisant état de saufs-conduits pour quelques chefs touaregs pointent dans ce sens: la libération des otages fait partie d’une négociation plus vaste, visant à désinternationaliser la problématique Touareg tout en l’intégrant dans les dynamiques politiques propres aux frontières nationales.
Élargir le tableau
L’assassinat des deux journalistes RFI peut alors s’inscrire dans ce cadre, de part le timing dans lequel il intervient. D’autant que la recomposition de la mouvance jihadiste autour de Mokhtar Belmokhtar d’un côté, et la normalisation du MNLA donnent des ambitions aux uns, provoquent des scissions chez les autres. Se déroulent ces jours-ci à Ouagadougou des négociations en ce sens, menées par Bilal ag Acherif, lui même ancien combattant touareg. Sous la houlette du président burkinabé Blaise Compaoré, c’est la mutation en parti politique qui se joue. Mais elle mécontente les indépendantistes: la frange modérée qui goûte peu le passé violent et truand d’Acherif et de Ghali. Et la frange jusqu’au boutiste ne croit pas à une issue par la normalisation.
Toutefois, à défaut d’informations plus nettes, et avant d’engager des responsabilités à tort, il ne faut pas ensabler la possibilité d’une plus triviale rivalité d’homme à homme dans une région aux relations complexes qui ne répondent pas toujours aux grilles de lectures des commentateurs.
Louis-Alexandre Alciator