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Malgré des conditions effroyables, l’armée française combat au Mali afin de déloger les djihadistes retranchés dans les zones arides du désert. Retour sur une mission périlleuse qui repousse les limites du «kill and destroy».

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A quoi pense un soldat français dans l’Adrar des Ifoghas? 250 000 km² de caillasse sous les semelles, entrecoupé d’oueds aussi secs qu’ils peuvent devenir violemment meurtriers à la moindre averse. Des sommets de quelques centaines de mètres, usés par toute la vieillesse du monde. Ces reliefs recèlent quelques trésors de l’humanité: sculptures rupestres des anciennes civilisations du Sahara, quand le désert était plus hospitalier et verdoyant. Les premières traces de l’alphabet berbère, avant l’invasion islamique du haut Moyen-Âge. Peu probable que les rebelles et/ou islamistes que la France pourchasse aient à cœur de préserver ce patrimoine. Aussi étonnant que cela puisse paraître, eux se battent pour ces plateaux ravinés et arides.

 

Depuis fin février, l’armée française a lancé l’opération Panthère. 350km au Nord de Gao, loin du Mali densément peuplé, « ce territoire sera complètement visité d’ici trois semaines » promet le ministre français de la Défense. Elle remonte depuis les hauteurs de Tigharghra vers Boghassa et Tinzawatene, à la frontière algérienne. A défaut de drones, ce sont les troupes qui vont déloger l’ennemi. Et puis, les drones ne prennent pas de précieux otages, ni ne libèrent de précieux otages. Alors, couverte par l’aviation, c’est l’armée de terre au front. Elle y croise la mort, celle que l’on inflige, celle que l’on subit. Le 6 mars, le sort a frappé Wilfried Pingaud. Si les adversaires se battent au nom d’un Dieu meurtrier et déloyal, sa pensée effleure aussi les troupes françaises. Dieu est partout où le silence nous regarde.

 

Le soleil, des pierres et des soldats

 

Ce sont des soldats comme ceux du 1er régiment de chasseurs parachutistes. Des véhicules blindés, comme VAT pour la communication ou quelques modèle Top, prélevés sur le front afghan. En remontant de Kidal, le serval français a sorti ses griffes. Sur son flanc droit, ce sont les FATIM. Forces Armées Tchadiennes d’Intervention au Mali. Des fous. 1987, victoire sur les Libyens de Kadhafi pour la Bande d’Aozou, le massif du Tibesti, au Nord. L’Adrar des Ifoghas, à côté c’est le Club Med de Saint-Louis du Sénégal. Puis dans les années 2000 les incursions depuis le Darfour. Repoussées au sol, pietinées par l’aviation française. Base de Fort Lamy, fondée en 1900. Le Tchadiens au Mali? Pour les têtes brûlées. Et pour l’argent. Ça paie bien. Au Tchad, le lac se dessèche. Inexorablement, des fils de pêcheurs ou de paysans se retrouvent avec une poignée de sable dans le creux de la main. Alors l’armée, c’est un boulot et une dignité retrouvée.

Déjà des dizaines tués au combat. Un monument à Gao, un à Kidal. In memoriam. Quelques noms: Nousradine Ith Ali, Saleh Bachar Kougouye, Nemba Jecoye Norbert. Il faut des noms et des pierres tombales pour comprendre que la guerre tue.

 

Début mars, les nuits étaient encore fraîches: 10 degrés; 30 le jour. Famas en bandoulière, sac à dos lesté, ça avançait sans peine. 10 mars. Il y a deux étés dans le Sahel, entrecoupés par la saison des pluies quand un peu d’instabilité équatoriale remonte vers le Nord. Le premier été, c’est maintenant et il fait 45 le jour. 25 au petit matin. Tu marches, tu dors pas. Tu marches, tu dors pas. T’as soif, tu bois, mais c’est comme si ça sortait direct. Dans les années 1900, la France avait monté des régiments à dos de dromadaire, les Méharistes. Sarouels, burnous, légers comme de la mousseline sur les bras et les jambes. La piétaille, des Bleus. Les Touaregs. En tenue traditionnelle. Si l’histoire ne se répète pas, elle bégaie.

 

La logistique suit, et même le New York Times a reconnu le tour de force de l’armée française. Tenir ensemble une profondeur de mille kilomètres, en dix jours, en relative improvisation. Le 11 janvier, le contenu d’une lettre de François Hollande à Dioncounda Traoré est révélé. Le président malien se voit opposer un refus d’intervenir immédiatement. La France n’envisage pas l’actuation de la résolution 2085 de l’ONU avant l’automne. L’Azawad peut rester aux mains des rebelles, au delà de la ligne Diabaly-Konna.

 

Mais le MUJAO attaque au sud. Imprudence? Mauvaise interprétation de la tiédeur française? Konna puis Diabaly tombent. Bamako est à deux jours de 4×4. La France riposte le jour même. Une Gazelle est abattue: hélicoptère sans blindage. Si la reconquête est un succès, ce n’est pas grâce au matériel, rationné et vieillissant. 19 mars: le livre blanc sur la defense, dejà deux fois reporté, promet « un tsunami » devastateur (indiscretions receuillies par La Tribune, 18 février), des « projections apocalyptiques » (Le Point, 13 mars). La France quémande auprès de ses alliés, Obama envisage de faire payer la location de transporteurs et ravitailleurs aériens. Trente ans d’incurie politique, et puis l’improvisation au sommet de l’Etat: le chef de guerre n’est pas celui visé dans la constitution. Chef de la cellule communication de l’état-major de l’armée, le colonel Thierry Burkhard en rôle de vedette. C’est l’armée aux commandes, et contrairement à l’Afghanistan, elle a les mains libres. Briller à Tombouctou, comme un air de 1894. Le colonel Bonnier y perdit la vie, l’histoire retiendra alors le commandant Joffre, futur Maréchal et boucher de Verdun.

 

10 mars, 45 degrés à Matam, Sénégal. 44 à Niamey, Niger. La région est en feu.

 

Jusque là, tout va bien. La France seule, sans l’OTAN ni les inopportuns casques bleus philippins ou bangladais -ceux qui en Haïti ont apporté le choléra, c’est dire si on peut s’en passer au Mali-. Ni l’Union Européenne, incapable le 11 mars dernier de fournir 30 petits soldats en couverture de la mission de formateurs de l’armée malienne. Avec un commandement politique a minima: oubliées les frustrations afghanes. Mais si le militaire sait gagner la guerre, la paix se gagne en politique. La France sait-elle comment négocier sa sortie? Le Ministre de la Défense Le Drian envisage encore trois semaines d’engagement. Mais le président Traoré saura-t-il mettre un terme à la guerre civile qui gronde encore sous le brasier politique malien? Et qui aura la légitimité, l’envie et les arguments pour inclure la population du Nord-Mali?

 

Le Drian l’annonce: avril, ne te découvre pas d’un fil. Alors les troupes à la maison, au frais et en chandail. Partir sur une victoire, c’est bon pour le moral. Il faudra revenir? Depuis cent ans la France vient et revient dans la région. Rester, ça n’a pas vraiment marché. Et si l’opération Serval redore l’image de la France, il n’est pas à s’hasarder de vanter les côtés positifs de la colonisation. Autant essayer autre chose: se faire appeler, mater, repartir.

On sait toujours comment se termine une traque à l’homme, fût-il possédé par un Islam sous ketamine, drogue des gamins-soldats. La religion est l’opium des peuples, mais l’opium tout court ça marche aussi, les combattants sont drogués aux produits de synthèse. On rapporte de Gao qu’un islamiste éventré continuait de tirer les tripes allègrement à l’air. Pourchasser une hydre, on ne sait jamais quand ça se termine. C’est au chasseur de donner le tempo.

 

« A Dieu Vat » dans l’Aïr

 

Vidéo: Matthieu Mabin, France24

Ces hommes combattent dans l’Adrar des Ifoghas. Ce sont les camarades du sergent-chef Harold Vormezeele, mort au combat le 19 février. 2ème régiment étranger de parachutistes. Début mars. Ce n’est encore pas aujourd’hui que l’on retrouvera Omar Ould Hamada (MUJAO), ni Mokhtar Belmokhtar. Les Tchadiens tiennent ce dernier pour mort. Peut-être.

 

Al-Qaïda au Maghreb Islamique, Ansar Dine, MUJAO: les pourchasser serait vain. Tout comme la Mafia italienne, ils ne sont pas en marge de la société. Ils en sont l’émanation extrême. Du musulman pieux au terroriste et/ou l’islamiste -les deux ne se recoupent pas toujours-, c’est un continuum du blanc au noir passant par d’infinies nuances de gris. Séparer le bon grain de l’ivraie? Autant nettoyer les écuries d’Augias. Quand le serpent sort sa tête, l’écraser aussitôt. Mais sous le rocher, le circonscrire et l’y laisser.

 

Aujourd’hui, les Ifoghas. Plus à l’Est de l’Adrar, il y a sûrement d’autres caches. Les islamistes les vident, une partie se retrouve au Sud, sur la boucle du fleuve Niger. La densité humaine est la meilleure des cachettes. Déjà des attentats-suicides déchirent les marchés aux légumes.

Une partie, surtout Aqmi, remonte l’Algerie où, de l’oasis de Ghardaïa au massif de l’Aurès, l’organisation terroriste dispose de solides place-fortes. Ceux qui ont des accointances avec les services algériens passent entre les mailles du filet.

Une autre partie file vers le Fezzan libyen via les pistes -et les sources- du Hoggar. En Libye, c’est l’anarchie. Et le triangle riche en oasis du Fezzan, au croisement des frontières algériennes et nigériennes, est un havre de paix digne de l’île de Tortuga à la grande époque de la piraterie.

 

Ceux qui n’ont pas d’accord avec les algériens, ne veulent pas se risquer au Mali, ou poursuivent de plus larges ambitions sahéliennes fileront à l’Est, dans l’Aïr. De l’Adrar à la ville minière d’Arlit, ce sont 500 km sans eau ou presque. Mais en dépit de l’importance stratégique des mines d’uranium, notamment à Imouraren, en bordure Sud-Ouest de l’Aïr, c’est un solide bastion de la rébellion Touareg. Après trois ans d’escarmouches, en 2010 Iferouane dépose les armes. À 80 km au Nord-Est d’Arlit, le guerrier fatigué y trouve gîte et couverts. Les rebelles promettent le calme, le gouvernement de ne pas trop s’immiscer dans les affaires locales, tout en redistribuant une petite part de la rente minière.

 

Dès lors, à quoi bon s’acharner à leur suite? Début janvier, le ministre de la Défense Le Drian a évoqué une « guerre contre les islamistes ». Très vite, François Hollande en a appelé à un plus sobre « respect de l’intégrité territoriale du Mali ». Car si la France a pour objectif de « casser les reins aux jihadistes », selon les propos du chef d’état-major, l’amiral Guillaud, alors il lui faudra rester épauler les forces de l’Union Africaine (MISMA, Mission Internationale au Mali sous conduite Africaine). Installer une base, nettoyer les pistes d’atterrissage de Kidal et de Tessalit, aujourd’hui siège de l’état-major. Nouer des alliances avec les tribus, seules à même de durablement observer la population.

Mais si la France a pour objectif de laisser au Mali le soin de relancer son processus de recomposition nationale, alors elle peut partir au plus vite, en laissant derrière elle des instructeurs militaires, au sein d’une mission européenne plus large. Le « nation-building » piloté de l’extérieur n’a pas connu de grands succès au XXIe siècle.

 

Le sort des otages

 

Le Sahara est un océan, avec ses archipels, ses oasis et ses montagnes. Les caravanes sont ses bateaux, les Touaregs sont ses marins.

 

Avec leurs compagnons de route islamistes ils sont en haute mer. Pourquoi se battre autour de quelques cailloux et quelques dunes? Comme des pirates, pour circuler sans entraves. Comme des pirates, pour sanctuariser ses repaires. Comme des pirates, pour garder en lieu sûr son butin. Et comme des pirates, ils prennent des otages à monnayer.

Sept otages sont aux mains de différents groupes de ravisseurs. Les familles sont légitimement inquiétes: quelles marges de négociations y-a-t-il quand vous pourchassez vos interlocuteurs?

 

Contacté par nos soins, Abu Djaffar, ancien diplomate, spécialiste des questions de terrorisme et de guérillas, nous répond sans détours: « Presqu’aucune. le message est le suivant: libérez-les pour votre bien avant qu’il ne soit trop tard ». Sur place, les équipes ont un mot d’ordre simple: capturer ou abattre. Alors que par le passé la France était réputée payeuse d’otages, c’est un vrai revirement de stratégie, pour le bien des prises d’otages que la France n’aura plus à subir. « En 2010, des otages au Mali et en Mauritanie -déjà avec Mokhtar Belmokhtar- avaient été relâchés sous pression ». Un soupirail d’espoir, d’autant que la rançon est toujours possible, et l’intervention armée rééquilibre les menaces.

 

Peut-on envisager une coopération des différents groupes par delà les frontières, permettant de relier le d’otages du Mali à ceux du Cameroun? Abu Jaffar ne peut pas donner d’éléments en ce sens, qui pourraient donner de fausses informations aux familles : « Si il n’y a pas de collaboration étroite, il y a convergence de buts, de moyens et de cibles; les jihads s’alimentent, ce sont des groupes qui divergent dans leur buts locaux, mais convergent dans leurs buts à l’échelle continentale ».

 

En attendant des nouvelles que l’on espère bonnes, les rassemblements en mémoire des soldats tombés se succèdent pont Alexandre III, à Paris. Mercredi 13 mars, dans la douceur d’un Paris enneigé, c’est pour le brigadier-chef Wilfried Pingaud que s’est réunie une petite foule de soixante personnes.

Louis-Alexandre Alciator

Louis-Alexandre Alciator

Louis-Alexandre Alciator. En ces lieux, je suis l'un des seconds du premier. 30 ans. Écrit, et se fait parfois payer. Environnement, relations internationales. Optimiste crépusculaire. Bon vivant, mais rabat-joie.

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