Au vu de mes investigations passées grâce à mon excellente connexion Internet, créer une succursale en Côte d’Ivoire nécessite de voir un notaire. Je rédige mes statuts, compile les différents documents administratifs demandés, et contacte le notaire d’un ami qui me donne RDV pour le lundi 15h00 dans son bureau, situé en face d’un célèbre assureur de la place.
A ma grande habitude, suspectant quelques célèbres embouteillages, j’arrive 10 bonnes minutes en avance et me gare devant l’assureur. Je regarde bien autour de moi. En face, c’est de l’autre côté de la rue. Je traverse la voie, demande au gardien de l’immeuble où se situe le cabinet du notaire. Celui-ci se trouve à une dizaine de mètres, à l’angle de la rue. Je passe devant un gardien endormi et monte les marches. Au 1er étage, j’écris mon nom dans le registre des visiteurs. La porte s’ouvre et la secrétaire m’invite à m’asseoir dans la salle d’attente. Un jeune homme bien élevé vient me saluer et se présente comme clerc de notaire.
Il allume la climatisation, la télévision et me propose un café que j’accepte volontiers. Je déguste mon premier expresso depuis mon arrivée en Côte d’Ivoire quand il m’indique que la notaire est au Congrés des notaires à Bassam et qu’elle ne sera pas là avant la fin de la journée. Etonné de ne pas avoir rendez-vous avec un homme, je demande le nom du notaire avant de comprendre que je me suis trompé de porte. Je pose ma tasse vide, je remercie le clerc à peau noire, je passe devant le registre à peau de crocodile puis devant le gardien à peine reveillé. Il est 15h00. Je ne suis pas encore en retard. Je traverse la rue et demande à un autre gardien où se situe le cabinet de mon notaire.
Il m’indique la porte qui se situe tout juste devant le nez de ma voiture. Il fallait comprendre que « en face » signifiait « à côté ». Je monte les marches. Cette fois, pas de registre mais une secrétaire à l’ordinateur éteint qui passe son temps à naviguer sur un téléphone portable d’avant-guerre. Elle m’invite à m’asseoir. Pas de café. Mais un homme en costume cravate s’entretient avec deux femmes non loin de moi. Je patiente une dizaine de minutes jusqu’à la sortie des deux femmes et m’adresse à l’homme. « Vous êtes le notaire ? » L’homme me répond par la négative, le notaire ne devrait plus tarder. Trois quarts d’heure plus tard, je quitte la pièce, salue le téléphone de la secrétaire en laissant une vieille carte de visite et un mot : « je pensais qu’un notaire notait l’heure. salutations. » La semaine fut dense et la création de la succursale prend chaque jour un peu de retard. Je me débats toujours avec mon escroc de transitaire en France pour obtenir une date de livraison de mes affaires et de ma voiture.
Chaque jour est un espoir le matin et une désillusion le soir. Le samedi 01 février devait être le jour J avant d’apprendre qu’un scanner de dernière minute avait été demandé par les services de douane. Le lundi matin, j’apprends une grève illimitée des douaniers. Le mardi matin, le téléphone sonne à 7h45 pour me demander de m’apprêter… L’attente est interminable jusqu’à 15h00 où le contenaire se gare devant ma porte, bloquant toute la rue et entraînant les railleries des voisins. Le débarquement a ainsi lieu un 04 février et les colis envahissent mon salon par vague de deux à trois cartons. Sont déclarées manquantes ma table à manger et ma chaise de bureau mais l’essentiel est là. On va enfin pouvoir s’installer correctement même si manger sur une table de pique nique nous rappelle la vie préhistorique qu’on a vécu le mois de janvier.
Je reprends plus sereinement mes investigations : comment créer une entreprise ? Je fais ainsi connaissance avec l’organisme de création et d’aide aux entreprises, le CEPICI. Les 16 étapes à accomplir par le créateur d’entreprise semblent être un long et douloureux calvaire mais seulement 48h00 semblent suffire pour créer une SARL ! J’appelle… Je rappelle.Quand quelqu’un a décroché, ma voix s’est mise à trembler. Je tombe toutefois sur une dame très gentille qui m’ indique la liste des pièces à fournir à… un notaire. Elle me donne alors le numéro de la Chambre des Notaires. Là, je tombe à nouveau sur une dame très gentille qui me donne aussitôt rendez-vous pour le lendemain matin devant le grand centre commercial du coin.
La Chambre des Notaires se déplace ! Drôle d’endroit pour un rendez-vous mais j’accepte. Le lendemain matin, je découvre cette dame au ventre très arrondi qui me confie que c’est son dernier jour avant son congé maternité. Je prie pour qu’elle n’accouche pas sur le siège passsager. Elle m’amène à proximité chez un jeune notaire avec qui elle doit régler quelques dernières affaires. Le notaire n’arrive qu’avec 20 minutes de retard, embrasse ses deux secrétaires en les surnommant respectivement « ma chérie » et « ma cocotte ». Nous discutons sur les détails de la succursale quand vient le moment où l’on doit parler « chiffres ». A sa première demande, j’ai dégluti longuement, écarquillé grand les yeux et très certainement perdu mon léger bronzage. Quand nous nous sommes arrêtés sur une somme plus raisonnable, j’ai eu le sentiment de faire une bonne affaire mais je n’oubliais pas le proverbe de Boris Vian ; « il y a deux manières d’enculer les mouches : avec ou sans leur consentement ». Au royaume où le proverbe africain est roi, un peu de Boris Vian ne fait jamais de mal. J’ai ainsi passé quelques coups de fil pour confirmer que le prix fixé par l’homme de profession libérale était acceptable. Le deal est le suivant : je paye, il fait les formalités et m’appelle pour me remettre mon registre du commerce. On sera tout de même loin des 48h00 espérées. Pendant ce temps, la connexion Internet d’Orange me lâche de nouveau. Une mauvaise habitude ? Je reprends mes appels au service clients. Un technicien doit passer. Au bout de 4 jours de coupure, je me rends chez un autre opérateur et prends une seconde box. Sur les 180 villas de la résidence, je suis fier de voir qu’il y a désormais deux accès WIFI (les miens) de disponible… jusqu’à ce qu’une panne de courant vienne me rappeler qu’on peut bien doubler tout ce qu’on veut, on n’est jamais à l’abri !
En attendant, je continue à m’inquiéter pour ma voiture toujours absente. Je ne vous fais pas l’obligeance de lire ma plainte adressée au Procureur de la République pour escroquerie, abus de confiance et vol de véhicule mais pour résumer : je n’ai aucun papier qui prouve le départ / l’arrivée de mon Picasso sur Abidjan et le mandataire est toujours injoignable au motif qu’il amènerait des véhicules par la route… peut-être le mien.
Mais bon, toutes ces histoires ne m’ont pas empêché de fêter la Saint Valentin (ou PSG-Valenciennes) en invitant mes beaux-parents à la maison (mon beau-père est aussi fan du PSG que moi) et je viens tout juste d’obtenir mon registre du commerce des mains de mon notaire ! Celui-ci m’a emmené en brousse ce samedi manger au Maquis Makenzy à Kobakro. Au menu, viande d’agouti, poulet, rat, hérisson, escargot, perdrix, pangolin. Et il fallait le prévoir, j’ai fait une superbe intoxication alimentaire à la viande de hérisson. Bien reposé aujourd’hui, je vais donc pouvoir envisager les étapes suivantes : demander un titre de séjour et m’inscrire à la Caisse Nationale de Prévoyance et de Santé.
Mais ça… ça vaut bien une autre tribulation.