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Je n’ai plus de télévision depuis quelques mois et, si j’ai conservé internet, c’est pour pouvoir continuer à travailler. On m’a cependant parlé d’une interview du chanteur et compositeur Nicolas Ker dans l’émission de Laurent Ruquier, le samedi soir sur une chaîne du service public et je me suis empressé d’aller voir l’extrait de l’émission où Nicolas Ker répond vaguement aux questions du présentateur, après avoir chuté lourdement sur la marche du plateau.

A la question – un peu maladroite mais franche : « Pourquoi buvez-vous ? », Nicolas Ker a répondu, dans une confusion consonantique et vocalique « Parce que je ne me supporte pas ».

Cela fait bien longtemps que l’on ne voit plus d’écrivains, de chanteurs ou d’artistes dans un état second sur les plateaux de télévision (à vrai dire, cela fait bien longtemps qu’on ne voit plus d’écrivains et d’artistes à la télévision), car le CSA, en maître olympien, veille sur son sérail, tolérant parfois quelques écarts de ses fils pourtant parfaitement dressés. Alors pourquoi avoir conservé ce moment gênant pour les invités mais ô combien révélateur du malaise et de l’hypocrisie qui règnent dans nos sociétés où l’image domine ?

Parce que, derrière l’apparente incohérence du propos d’un homme en état d’ébriété, on entendait toute la misère d’un être que ses ailes de géant empêchent de s’élever. Nicolas Ker n’avait rien à faire sur ce plateau, traînant la jambe et butant dans les fauteuils, car il n’est pas de ce monde et son art, s’il lui permet aujourd’hui de vivre convenablement, n’a pas fait disparaître cette mélancolie qui le possédait sûrement déjà lorsqu’il touchait le RMI et qu’il ne pouvait vivre de sa musique.

A la question – un peu maladroite mais franche : « Pourquoi buvez-vous ? », Nicolas Ker a répondu, dans une confusion consonantique et vocalique « Parce que je ne me supporte pas ». Aucun des invités n’a compris ce qu’il voulait dire. Il a alors répété d’une voix forte et insistante « Parce que je ne ME supporte pas ». Il n’y avait aucune autre explication a donné. Tout était dit.

Nicolas Ker, un exilé parmi les hommes

J’ai personnellement éprouvé non pas un malaise, mais une profonde sympathie – la même qui m’avait alors envahi, lorsque, à dix-sept ans à peine, j’avais lu une vie de Baudelaire.

En réécoutant l’album solitaire de Nicolas Ker, je me suis fait la réflexion que le malaise dont parlent avec délectation les média rapaces, n’était pas causé par l’attitude de l’artiste mais bien par la réaction de tous les autres invités sur le plateau, visiblement désemparés face à un homme qui renonçait à suivre les règles édictées par les sociétés de production et les décideurs technocratiques. J’ai personnellement éprouvé non pas un malaise, mais une profonde sympathie – la même qui m’avait alors envahi, lorsque, à dix-sept ans à peine, j’avais lu une vie de Baudelaire.

Le titre même de l’album Les Faubourgs de l’exil est un hommage baudelairien et une réponse à toutes les vaines questions qu’on pourrait poser. Nicolas Ker est un exilé parmi les hommes, et s’il offre parfois son corps au brûle-gueule de ses semblables, c’est parce qu’il est intimement conscient que ce jeu est vain et que la vérité de son être vit dans sa musique.

Charles Guiral

Charles Guiral

Charles Guiral est professeur de Lettres classiques dans un Lycée de la région bordelaise. Sans aucune autre qualification, il ose s'intéresser aux lettres et à l'art, de façon générale. Les voyages ne l'intéressent pas.

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