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Reprenant une revendication ancienne de pléthores de militants écologistes, les autorités allemandes exigent l’arrêt de la centrale de Fessenheim dans les plus brefs délais. Rien ne dit cependant que Paris sera en mesure de satisfaire leur requête, même s’il s’agissait d’une promesse de campagne de François Hollande.

Doyenne des centrales nucléaires françaises, Fessenheim (Haut-Rhin) déchaîne les passions depuis de longues années. La structure alsacienne, située à proximité immédiate de la Suisse et de l’Allemagne, cristallise les peurs et fait encore plus parler d’elle depuis la catastrophe de Fukushima, survenue il y a cinq ans presque jour pour jour et qui a rappelé à la face du monde que l’exploitation de l’énergie atomique n’était pas sans risque.

« Prise en étau, Fessenheim, bientôt quarante ans de bons et loyaux services, a pour ainsi dire l’obligation de continuer à fonctionner. Il en va de l’approvisionnement énergétique d’une partie de l’Est de la France, de l’Allemagne et de la Suisse ».

Sans précédent depuis celui de Tchernobyl, dont on commémorera cette année le trentième anniversaire, ce drame n’avait pas laissé Angela Merkel indifférente. La chancelière a-t-elle réagi sous le coup de l’émotion, motivée en premier lieu par de piteuses considérations politiciennes, et sans mesurer pleinement les répercussions économiques et énergétiques d’une décision aussi radicale ? Toujours est-il que, dans un contexte de gouvernement de coalition et plus particulièrement d’essor politique des « Grünen », les Verts allemands, la chancelière allemande estimait nécessaire de s’attirer les bonnes grâces de ces derniers, quitte à courroucer les géants énergétiques RWE et E.ON, à plus forte raison quand on connaît la défiance historique de l’opinion publique d’outre-Rhin à l’endroit du nucléaire. Aussi a-t-elle annoncé en mai 2011 le démantèlement de la totalité des installations atomiques allemandes à l’horizon 2022, un ambitieux dessein qui n’a depuis jamais été remis en cause.

La Suisse lui ayant emboîté le pas, la centrale de Fessenheim se doit d’être regardée autrement qu’à travers le seul prisme de son ancienneté et de ses défaillances. En choisissant d’abandonner progressivement, mais sûrement le nucléaire civil – au profit, soit écrit en passant, de centrales à charbon qui par essence favorisent l’effet de serre -, nos voisins allemands et helvètes l’ont en effet rendue indispensable. Prise en étau, Fessenheim, bientôt quarante ans de bons et loyaux services, a pour ainsi dire l’obligation de continuer à fonctionner. Il en va de l’approvisionnement énergétique d’une partie de l’Est de la France, de l’Allemagne et de la Suisse.

Partant, la promesse de l’ex-candidat et futur président de la République française François Hollande paraissait déjà difficile à tenir. Quatre ans plus tard, par-delà la loi sur la transition énergétique, le succès de la Cop 21 et le retour des écologistes au gouvernement, cet engagement pourtant répété à l’envi durant la dernière campagne présidentielle, un peu moins depuis, relève du fantasme aux yeux de pléthore d’observateurs.

« Il ne suffit pas de tourner un bouton »

Il était il est vrai sans compter la toute-puissance du lobby nucléaire, presque intouchable en France depuis un demi-siècle, tout juste malmené par l’accident de Fukushima et qui a pour lui de représenter un formidable vivier d’emplois dans nos frontières. Ce dernier argument avait d’ailleurs été régulièrement brandi par Nicolas Sarkozy, candidat à sa réélection et qui s’était rendu à Fessenheim lors de la campagne précitée. En bon VRP de l’atome civil, en chantre de la « realpolitik » énergétique, le chef de l’Etat sortant avait pris le contrepied de son futur vainqueur en torpillant le rêve vert. Et Nicolas Sarkozy de tourner en dérision l’hypothèse d’une catastrophe comparable à celle de Fukushima en France, arguant que le Rhin n’avait pas vocation à susciter un tsunami…

Pas faux, mais Fessenheim a été construite sur une faille sismique et a depuis, ce qui est assez logique au regard de son grand âge, connu plusieurs incidents. Survenu en avril 2014, l’un d’entre eux a été classé au niveau 1 sur l’échelle internationale des événements nucléaires, qui va de 0 à 7, par l’ASN (Autorité de sûreté du nucléaire) (), le gendarme français de l’atome civil. Sauf que l’Allemagne soutient mordicus depuis plusieurs jours que ce dernier l’a minimisé et que l’un des deux réacteurs de la centrale était tout simplement… incontrôlable pendant plusieurs minutes.

Emmanuelle Cosse : « Le calendrier [de la fermeture de Fessenheim], c’est celui que m’a répété à plusieurs reprises le président de la République, c’est 2016 »

De quoi raviver la colère – certes à peine enfouie – des écologistes et semer le trouble quant à la fiabilité de la structure, néanmoins en cours de modernisation, alors même que la ministre de l’Environnement Ségolène Royal s’est dite favorable, sur le principe, à un allongement de dix ans de la durée de vie des réacteurs nucléaires français, au nombre de cinquante-huit. L’ASN statuera en dernier ressort et son aval n’est pas acquis, mais l’autorité n’a jusqu’ici jamais pris de décision spectaculaire contre le nucléaire et ses défenseurs. A sa décharge, comment compenser la contribution du nucléaire dans un pays dont 75% de l’électricité provient de cette source d’énergie « de masse », sachant que les centrales à charbon ne sont pas ce qui se fait de mieux en matière de protection de l’environnement et que les éoliennes et autres panneaux solaires sont loin de soutenir la comparaison tant en termes de production que de rendement ? Une réalité face à laquelle les « alternucléaires » bottent généralement en touche.

« Le calendrier [de la fermeture de Fessenheim], c’est celui que m’a répété à plusieurs reprises le président de la République, c’est 2016 », a quoi qu’il en soit déclaré lundi matin la toute nouvelle ministre du Logement Emmanuelle Cosse, ci-devant secrétaire nationale d’EELV. « Le président de la République s’est engagé à fermer Fessenheim d’ici la fin 2016. C’est ça, la date », a-t-elle insisté, assurant par ailleurs que « le processus est assez simple pour arrêter un réacteur ».

Des propos presque caricaturaux et qui contrastent avec ceux prononcés par Ségolène Royal, laquelle avait expliqué l’an passé que « pour fermer deux réacteurs comme ceux de Fessenheim, il ne suffit pas de tourner un bouton » et demandé en octobre à EDF d’entamer la procédure de fermeture de Fessenheim d’ici « fin juin 2016 », en vue d’une fermeture effective… en 2018.

Vu la haute estime que voue la droite traditionnelle au nucléaire et les tergiversations de Marine Le Pen sur le sujet, celle-ci pourrait être reportée sine die si la gauche devait échouer à se maintenir au pouvoir, ce qui à la lecture des sondages apparaît hautement plausible. A croire que la sécurité des populations, potentiellement menacée par une structure sinon exsangue, en tout cas vieillissante, peut bien souffrir quelques approximations, effets d’annonce, démentis et autres cacophonies gouvernementales…

Guillaume Duhamel

Guillaume Duhamel

Journaliste financier originellement spécialisé dans le sport et l'écologie. Féru de politique, de géopolitique, de balle jaune et de ballon rond. Info plutôt qu'intox et intérêt marqué pour l'investigation, bien qu'elle soit en voie de disparition.

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