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Olivia De Bona symbolise en quelque sorte cette femme qui court avec les loups, pour reprendre le titre du célèbre livre écrit par Clarissa Pinkola Estés et qui est devenu pour cette jeune artiste sa bible de référence.

En effet c’est grâce notamment à cette conteuse et psychanalyste qui a vécu aux Etats-Unis que la démarche artistique de cette créatrice semble s’être orientée définitivement vers la narration et le conte. Concrètement elle n’a pu développer son art que depuis 2005 grâce au collectif du 9° concept dont elle est devenue membre. Mais depuis un an, c’est à l’Atelier du Terrier à Paris dans le 12° arrondissement, qu’elle travaille aux côtés de deux autres membres du même collectif qui sont Théo Lopez et Lapinthur.

Artiste postmoderne de la culture populaire

Comme ses deux amis peintres, elle peut être considérée comme une artiste postmoderne qui a su imposer un style propre. Elle joue avec la narration alors que cette pratique était tant décriée au début du siècle dernier puisque considérée comme une dangereuse « impureté ».

Heureusement c’est grâce au pop art, aux performances et oeuvres féministes – telle que The Dinner Party (le dîner, 1974-1979) de Judy Chicago que le contenu narratif a pu perdurer jusqu’à nos jours. Toutefois l’utilisation de figures populaires telles que le Chaperon rouge, Alice aux pays des merveilles et Peter Pan ne sera possible que par l’action d’Andy Warhol.

Les tenants de la pureté dans l’art (Clément Greenberg notamment) ne purent, en effet, résister plus longtemps à l’appel des sirènes de la culture de masse. Déjà Willem de Kooning avait battu en brèche cette idéologie dominante grâce à Women (Femmes). Mais c’est Warhol, le seul artiste de son temps qui a pu effacer véritablement la frontière entre culture savante et culture populaire.

Sa relation avec la nature sauvage

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La jeune artiste traduit dans cette œuvre l’harmonie de la femme avec la nature dont parle abondamment Clarissa Pinkola Estés.

Cette écrivaine préconise, en effet, de nouer des liens forts avec la nature sauvage pour trouver ensuite le plein épanouissement. Elle dit notamment : « Quand les femmes sont dans la proximité de cette nature, il émane d’elles une lumière. »

Apparemment Olivia De Bona retranscrit dans cette œuvre une scène idyllique digne du cinéma hollywoodien ou des dessins animés de Walt Disney confirmant ainsi la relation privilégiée que la jeune femme entretient avec les différentes espèces animales.

Par le concrétiser par son art, l’artiste maîtrise parfaitement le graphisme avec un souci édifiant du détail. Un travail de belle facture révélant aussi son impressionnante capacité à dégager un réel romantisme presque suranné.

Certes l’expression de la jeune femme peut paraître d’une naïveté déconcertante mais en fait celle-ci baigne déjà dans ce plein épanouissement décrit ultérieurement.

Olivia De Bona précise par ailleurs que cette femme détient ce pouvoir ou cette capacité d’apprivoiser toutes sortes d’animaux mais en sachant dit-elle que « tous les animaux que je dessine sont des interprétations de personnalité masculine… »

Ce faisant, l’artiste rejoint l’analyse du critique d’art Craig Owens pour qui la narration postmoderne est une forme d’allégorie.

Une narration sous forme d’allégorie

Si l’allégorie désigne une figure de style en revanche les personnes ou les événements représentent quant à eux des idées abstraites. Owens élargit cette définition en y incluant la notion de «palimpseste ».

Le palimpseste admet de multiples niveaux de significations et dans le cas de l’œuvre d’Olivia De Bona, le renvoi symbolique de représentations animales vers des interprétations de personnalité masculine donne à ce principe toute sa force.

Ainsi la lisibilité traditionnelle de l’œuvre de l’artiste qui permet de voir une femme sous les traits de Blanche Neige vivant en harmonie avec des animaux ne serait plus la seule lecture possible. 

Owens explique une seconde lecture en ces termes :

« Dans la structure allégorique, un texte est lu à travers un autre, aussi fragmentaire, intermittent ou chaotique leur relation puisse-t-elle être ; l’œuvre allégorique est, par conséquent, le palimpseste. »

Cela confirme par ailleurs ce qui est dit dans son blog sur elle-même:« …(elle) nous maintient entre deux mondes…l’oeuvre d’Olivia de Bona ne s’appréhende pas en un seul regard, en un seul souffle… »

C’est pourquoi l’allégorie a repris une place essentielle dans l’art postmoderne et notamment dans celui d’Olivia De Bona.

Par ailleurs toutes les créations contemporaines renvoient à des significations nouvelles et les ready-mades de Marcel Duchamp aussi bien que les collages de Rauschenberg en sont les exemples les plus révélateurs.

Le rôle du lecteur (ou du spectateur !)

De son côté Roland Barthes « tout en reconnaissant l’illisibilité apparente du récit contemporain, affirme qu’un nouveau principe d’ordre est à chercher non plus dans les intentions du créateur ou dans la relation de l’œuvre à une quelconque réalité, mais du côté du lecteur » (Eleanor Heartney, Art&Aujourd’hui, Phaidon, 2013, p.123)

En jouant sur le caractère fragmentaire des narrations, l’auteur renforcerait le phénomène d’ « arrêt sur image » pour laisser au spectateur le soin d’imaginer ce qui précède ou ce qui suit.

De son côté Olivia De Bona invite parfois le lecteur ou plus tôt le spectateur, à jouer un rôle analogue avec notamment cette œuvre où le personnage principal reste dans l’expectative. Il s’agirait selon l’artiste d’une interprétation du chaperon rouge.

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Mais peu importe qu’il s’agisse ou non du Chaperon rouge  puisqu’on pourrait aussi bien y découvrir une toute autre histoire.

D’abord cette jeune fille est précédée d’un attroupement d’oiseaux volant derrière sa tête et ses épaules.

Ensuite tout l’intérêt de cette histoire c’est que le même personnage soit stoppé dans son déplacement par des animaux bizarres qui ressemblent effectivement à des loups dotés d’une impressionnante dentition. Car ils encerclent ses jambes pour l’empêcher d’avancer.

Cette situation d’« arrêt sur image » provoque en fait le questionnement et amène le spectateur à interagir avec l’œuvre et à l’activer.

L’artiste y voit quant à elle une réflexion sur la jeunesse très pubère d’aujourd’hui !

Mais cette explication ne saurait justifier à elle seule cette situation de blocage installée par la créatrice. A l’évidence elle compte aussi beaucoup sur la participation du spectateur pour l’aider à sortir de cette impasse.

En fait ce principe de participation n’est pas nouveau, car il avait déjà été initié, mais de manière plus totale et plus absolue,   par Marcel Duchamp avec les « témoins oculistes » dans son Grand-Verre :

Leur présence permettait d’indiquer, qu’en définitive, c’est toujours le regardeur qui fait l’œuvre. (voir mon article sur Le Grand Verre : http://lenouveaucenacle.fr/le-grand-verre-de-marcel-duchamp )

Son œuvre nous conduit dans l’hyperréalité

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Plus fondamentalement encore, Olivia De Bona semble nous installer dans un espace hyperréel comme pourrait le qualifier un certain Jean Baudrillard. Car il s’agit le plus souvent d’un lieu dessiné, où le décor n’est pas authentique, où tout est copié car l’ensemble ressemble plutôt à un rêve.

Selon Baudrillard le monde hyperréel nous plonge, en effet, dans un univers de simulations. Nous essayons de produire ce que nous pensons être du réel mais qui n’a jamais été autre chose que des images.

Comme la télé réalité qui nous conduit à vivre selon les images dont elle nous abreuve en permanence. Et toujours dans le seul but de permettre cette confusion entre rêve et réalité.

L’hyperréalité trompe ainsi la conscience en la détachant de tout engagement émotionnel réel.

C’est pourquoi pour Jean Baudrillard, le réel s’effondre dans l’hyperréalisme. Il parle ainsi de simulation par rapport au réel « ce dont il est possible de donner une reproduction équivalente ».

L’homme vit selon lui dans mirage esthétique de la réalité. C’est le cas tout particulièrement pour l’oeuvre intitulée « La Cocotte » où l’artiste Olivia De Bona réalise une image à partir d’une odeur, d’un parfum.

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Selon cette même artiste, « l’image « la Cocote » a été réalisée pour un blog sur le parfum, ils m’ont envoyé un échantillon de parfum sans nom, et à l’odeur, je devais réaliser une image.  L’odeur était très forte, très capiteuse, je suis partie de l’expression « ça cocotte » en imaginant une femme, une « Cocotte », la maîtresse d’un homme marié qui laisserait volontairement traîner l’odeur de son parfum sur la veste de cet homme. »

La représentation imaginée par l’artiste conduit effectivement à installer ce monde hyperréel en troublant la différence entre le réel et l’imaginaire. Au centre de l’œuvre, une femme vit une sorte de rêve extatique dans un décor proprement hallucinatoire. Entouré de végétaux soit exotiques soit extravagants comme ceux ressemblant à des plumes ou ces fleurs grandes ouvertes aux dimensions impressionnantes. Et à ses pieds un serpent aussi énorme qu’inquiétant qui décrit un zigzag.

Derrière elle, se détache une forme masculine costumée avec une tête d’oiseau, le bec ouvert crachant des sortes d’effluves de parfum ? L’artiste réussit dans cette œuvre à fusionner réel et imaginaire dans une totalité saisissante.

Et cette œuvre nous touche particulièrement par la séduction qu’elle dégage en citant à nouveau Baudrillard, pour qui:

« Séduire, c’est mourir comme réalité et se constituer comme leurre. »

Christian Schmitt

www.espacetrevisse.com

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Olivia De Bona

http://oliviadebona.ultra-book.com

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Christian Schmitt

Critique d'art. Auteur de "l'univers de J.L. Trévisse, artiste peintre" (ed. Lelivredart 2008) et de trois autres ouvrages sur les vitraux réalisés par des artistes contemporains aux ed. des Paraiges: Jean Cocteau (2012), Jacques Villon (2014) et Roger Bissière (2016). A retrouver sur : http://www.espacetrevisse.com

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