Partagez sur "Pourquoi la croissance dans la Zone Euro n’est pas près de revenir"
La zone euro est devenue un trou noir économique incapable de retrouver son niveau d’avant crise. Certains journalistes et autres commentateurs autorisés plus ou moins avertis, ainsi que les ravis du monde économique, annoncent régulièrement que la sortie de crise est au coin de la rue (comme le président américain Hoover dans les années 30 ) à la moindre lueur fugace. C’est ne rien comprendre aux mécanismes économiques. En effet, la zone euro s’embourbe dans la désinflation et peut-être même la déflation (ce qui est déjà le cas en Italie).
La baisse de l’inflation peut avoir des effets bénéfiques à courts termes: les salaires nominaux (ceux inscrits sur les bulletins de paie) étant rigides (puisque négociés annuellement…), ils diminuent peu. L’inflation, elle, baisse, et pouvoir d’achat stagne alors qu’il baissait jusqu’à présent, voire augmente temporairement. Ceci conduit à un accroissement de la consommation (ce qui explique en partie en France la « surprise » du 3ème trimestre concernant les chiffres de la croissance).
Cependant, à long terme, les effets d’une inflation durablement faible ou négative sont délétères.
Maurice Allais et Knut Wicksell avaient démontré que pour atteindre l’optimalité, le taux de croissance, doit égaliser les taux d’intérêt. En effet, le taux de croissance du PIB correspond au rendement moyen de l’économie. Les entrepreneurs vont donc regarder ce paramètre pour savoir si l’environnement est favorable (et s’il y aura de potentiels retours sur investissement). Les taux d’intérêt, eux, représentent le coût de l’emprunt et donc de l’investissement. Schématiquement, si le coût de l’emprunt est supérieur au rendement que l’on peut attendre, l’investisseur n’investira pas.
Le taux de croissance du PIB est une valeur corrigée de l’inflation. Il doit être comparé au taux d’intérêt réel qui est aussi une valeur corrigée de l’inflation équivalent au taux nominal moins l’inflation.
Taux d’intérêt réel = Taux nominal – inflation
Si l’inflation diminue, le taux d’intérêt réel augmente
Dans l’exemple ci-dessous, on voit que le taux d’intérêt réel en Italie et en Espagne est largement supérieur au taux de croissance depuis la crise, l’écart s’accentuant.
On a donc Taux de croissance < Taux d’intérêt réel. Cette inégalité désincite l’investissement et ampute la productivité future et donc la reprise.
Pire encore, certains estiment que le taux d’intérêt qui relancerait l’investissement (appelé « taux d’intérêt réel naturel ») est probablement négatif. Dit autrement, la déflation ou l’inflation très faible empêchent d’avoir des taux d’intérêt réels négatifs. Or, de tels taux seraient nécessaires pour relancer l’investissement, alors que la situation actuelle encourage l’épargne (en effet, le taux d’intérêt est à la fois un coût pour celui qui emprunte, mais aussi une rémunération pour celui qui prête, ou épargne), ce qui se voit à l’excédent de la balance extérieure de la zone euro, témoignant d’un excès d’épargne.
Par exemple, si à l’instant t, le taux nominal = 2 et que l’inflation = 3, le taux réel est négatif ( -1 ). Mais si désormais, le taux nominal vaut toujours 2, mais que l’inflation vaut 0, le taux réel est positif, empêchant le rééquilibre en faveur de l’investissement.
Par ailleurs, le coût réel de l’emprunt (taux réel) étant trop cher pour le rendement que l’on peut espérer (croissance réelle), les entreprises n’ont plus recours au crédit. Ce ne sont pas tant les banques (qui sont inondées de liquidités par la BCE) qui refusent de prêter aux entreprises, que ces dernières qui rechignent à demander des prêts.
L’institut Coe-Rexecode révélait en 2013 qu’une « large majorité des trésoriers de grandes entreprises et d’ETI juge aisée la situation de leur trésorerie d’exploitation. L’enquête de juillet poursuit l’amélioration tendancielle observée depuis l’été 2013 ».
Ainsi, 89% des nouveaux crédits à l’investissement demandés par les petites et moyennes entreprises sont octroyés par les banques.
Ceci montre que la décision d’investissement des entreprises n’est pas liée aux conditions de crédits, mais à leurs anticipations, et à la situation économique présente. Euler-Hermes concluait que “80% des entreprises citent l’anticipation de l’activité future comme principal déterminant de leurs décisions d’investissement, loin devant les conditions de financement (10%) ou les aides publiques (10%).”
Prévisions de croissance pour la zone euro
Un indicateur permet pourtant d’anticiper à un an quel sera l’ordre de grandeur de la croissance de la zone euro. En effet, en zone euro (uniquement), la variation de la masse monétaire M1 est significativement corrélée à la croissance de la zone euro.
La masse monétaire M1 est une mesure utilisée par les banques centrales. Elle correspond à :
- Une partie de la base monétaire (ou M0): c’est à dire l’ensemble des billets d’euro en circulation.
- Des dépôts à vue auprès des banques commerciales.
On note dans le graphique ci-dessous que l’allure de la courbe de M1 est proche de celle du PIB de la zone euro mais avec un décalage de 4 trimestres.
Lorsque l’on calcule la corrélation (avec un écart de 4 trimestres) entre la variation de M1 et la croissance du PIB, on obtient un résultat assez satisfaisant (environ 0,85), en retirant les trimestres faisant suite à l’éclatement de la bulle des sub-primes.
En mettant en parallèle le modèle obtenu avec la croissance effective du PIB, on note que les courbes se confondent globalement.
On peut donc, (sauf événements perturbateurs non-prévisible) estimer, un an auparavant, l’ordre de grandeur de la croissance de la zone euro.
Les prévisions de croissance jusqu’au 3ème trimestre de 2015 sont du même ordre que celles de 2014. Il ne devrait donc pas y avoir de reprise en zone euro comme on l’entraperçoit aux Etats-Unis.
On le voit donc, la déflation dans la zone Euro n’est qu’une question de mois. Mario Draghi tente tant bien que mal de donner un peu d’air à une économie européenne aux abois par le rachat massif d’actifs. Cependant, on reste très sceptique quant aux résultats car la confiance n’est pas là, et une période déflationniste de longue durée est à prévoir.