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L’Hermine est sorti sur nos écrans en novembre 2015 et l’actrice Sidse Babett Knudsen, fut primée pour le César du meilleur second rôle féminin. Il narre l’histoire de Michel Racine, joué par Fabrice Luchini, président de la cour d’assises d’une ville de province et qui, lors du procès d’un jeune homme accusé par sa femme d’avoir tué leur enfant, retrouve parmi les jurés une femme qu’il a jadis aimée.

Dès les premières minutes, le spectateur est pris au dépourvu. La toile de fond n’est pas celle que l’on pense. Si l’histoire d’amour entre un homme et une femme apparaît comme la trame principale du film, il n’en est rien. Le cinéaste pose sa caméra dans le tribunal pour ne presque plus la quitter. Et au spectateur de voir, de scruter, d’analyser les moindres faits et gestes de tous les participants. Le cadre est planté : une salle austère, une lumière blafarde,  un personnel du ministère de la Justice dénué de toute aura, des accusés accablés par leur statut social. Ici, point d’effets de manche, l’on baigne dans le réalisme le plus âpre et nous sommes dès lors confrontés à la misère, au meurtre sordide, à la banalité du mal.  Devant nous se joue un drame social en trois actes et dont l’issue est incertaine.

On est loin de l’image d’Épinal de l’avocat pourfendeur de la justice ou celle encore d’Ally McBeal en jupe courte éclairée par les lumières criardes des spots.

L’Hermine, c’est avant tout un lieu, Boulogne-sur-Mer. Le réalisateur a choisi de s’éloigner de la capitale parisienne, loin de sa justice spectacle, et de ses grands orateurs médiatisés. La province offre en effet un cadre plus intimiste, un effet de réel qui donne au film toute sa splendeur. L’Hermine, ce sont aussi des avocats. Le film les décrit comme des ectoplasmes, le plus souvent muets, les yeux rivés sur leur téléphone portable. On est loin de l’image d’Épinal de l’avocat pourfendeur de la justice ou celle encore d’Ally McBeal en jupe courte éclairée par les lumières criardes des spots. Les jurés apparaissent enfin, tous plus humains les uns que les autres. Le scénariste prend le soin d’organiser une présentation de chacun autour d’un verre après la première journée du procès, comme pour mieux délimiter leurs milieux sociaux et, pour certains d’entre eux, leurs religions. Ainsi, l’échange violent entre deux jurés de confession musulmane soulève les différentes pratiques de l’islam. La parenthèse se referme aussi vite qu’elle s’est ouverte.

Le réalisateur Christian Vincent filme le quotidien de Fabrice Luchini sans s’attarder sur sa personnalité. Nous apprenons uniquement de la bouche de ses confrères  qu’il est considéré comme un être acariâtre, détesté du barreau, et affublé du doux nom de  « président à deux chiffres », en raison des peines exemplaires qu’il inflige aux accusés. Côté vie privé, Michel Racine vit séparé de sa femme, et passe ses journées entre le tribunal de grande instance et l’hôtel où il réside, accompagné de sa valise à roulettes qu’il traîne partout tel un escargot. Depuis combien de temps est-il célibataire ? Pourquoi  s’est-il séparé de sa femme ? Nous ne le saurons jamais. La froideur du personnage et son antipathie supposée laissent le spectateur perplexe.

La cour qu’entreprend de faire Michel Racine incarne pleinement le nom du dramaturge français qu’il porte.

Et pourtant. Tout bascule le jour où Michel Racine croise à nouveau la route de Dittte parmi les jurés. Dès lors l’évolution de leur histoire suivra celle de l’instruction. Le film alterne ainsi entre une histoire d’amour naissante et le récit judiciaire d’une rare sobriété et d’une justesse proche d’un roman Balzacien. Le spectateur, immergé dans un documentaire semblable à 10e chambre, instants d’audience du cinéaste Raymond Depardon découvre au fur et à mesure le personnage de Fabrice Luchini qui apparaît de prime abord sous les traits d’un homme désabusé et sur qui le réel n’a plus d’emprise. Sa renaissance coïncide alors avec leurs retrouvailles. En tête-à-tête, il use et abuse de méthodes dignes du passé : tour à tour démodées, surannées, n’hésitant pas même à lui écrire des lettres ou encore à clamer haut et fort son amour pour elle. La cour qu’entreprend de faire Michel Racine incarne pleinement le nom du dramaturge français qu’il porte. Leurs rendez-vous sont enfin le symbole du conflit générationnel entre cet homme de l’ancien temps et de la fille de Ditte, incarnée par Eva Lallier, et qui ne daigne l’écouter quand il récite un poème devant elle, préférant répondre à son téléphone portable.

L’Hermine aurait mérité de gagner le César du meilleur long métrage tant il rappelle les films de Claude Sautet, ces tranches de vie, cette évocation du quotidien où un simple geste, un regard suffisent au bonheur des personnages. Une oeuvre aux multiples facettes, dans laquelle  les non-dits et la décence de Fabrice  Luchini  cohabitent avec la laideur de son univers professionnel.  La victoire d’un homme du passé sur le monde qui l‘entoure.

 

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Andrés Rib

Ancien de la Sorbonne. Professeur de Lettres. Aime le Balto, et la Philo.

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