La victoire d’Emmanuel Macron consacre une recomposition sans précédent du paysage politique français.
Pour la première fois, les Français ont élu hier un homme sans parti. Un électron libre, certes ministre de François Hollande après avoir été son conseiller, mais dont il se sera finalement émancipé assez tôt. Un homme jeune et neuf aussi, un réformateur issu de la société civile, ce qui n’a pas peu contribué à son avénement, mais qui au vu de la forte poussée des extrêmes et la recomposition du paysage politique en quatre grandes tendances ne devrait a priori pas bénéficier du traditionnel état de grâce (encore que son prédécesseur fut lui aussi plongé très tôt dans le grand bain de la contestation).
En attendant les élections législatives, qui étant donné le caractère légitimiste de nos concitoyens devraient donner au nouveau locataire de l’Elysée une majorité, fût-elle relative, il est d’ores et déjà possible de tirer des enseignements du scrutin présidentiel absolument hors norme qui vient de s’achever.
Le Justin Trudeau français
Rien n’y a donc fait. Les critiques quant à son inexpérience, au manque de clarté de son programme, à la vacuité de ses discours et à son appartenance à l’administration Hollande auront rebondi sur Emmanuel Macron. Incarnation du renouveau, le « Justin Trudeau français », redoutable en communication et qui a déjà montré qu’il maîtrisait son image, avait certes un boulevard au centre. Il a en effet profité de l’éviction d’Alain Juppé, ex-favori des primaires « avalé » par la bulle François Fillon, lequel a ensuite pédalé et rétropédalé dans la semoule, embourbé qu’il était dans une succession de révélations fatales pour celui qui s’était jusqu’alors posé en champion de la probité et de l’intégrité.
A gauche, Benoît Hamon, porteur d’un héritage beaucoup trop lourd à assumer, n’avait pour sa part aucune chance de l’emporter, sauf en faisant alliance avec Jean-Luc Mélenchon, tribun rouge, orateur hors norme et qui, sans pour autant accéder au second tour, aura soulevé des millions de nos concitoyens enclins à l’insoumission.
Il en a découlé un espace énorme au centre, dans une France qui a prouvé qu’elle n’est ni la Grande-Bretagne, ni les Etats-Unis. Une France certes tentée par les extrêmes, par le fait de donner un grand coup de pied dans la fourmilière après des décennies d’échecs, reculades et autres fiascos politiques de partis traditionnels aujourd’hui exsangues, mais qui aura in fine opté pour la jeunesse polie, propre sur elle, mais aussi ambitieuse et conquérante. Pour une forme de sagesse.
Emmanuel Macron a parfois patiné, notamment durant l’entre-deux-tours, mais il a pu, certes sensiblement moins que Jacques Chirac il y a quinze ans, bénéficier du « front républicain », unité politique à la façade quelque peu lézardée par endroits, mais encore suffisamment solide pour faire pièce aux ambitions présidentielles d’un front national qui n’échappera pas, lui non plus, à l’inventaire de la défaite.
Nouvelles droite et extrême-droite
Par-delà la prestation affligeante de Marine Le Pen lors du triste débat de l’entre-deux-tours, la stratégie de la dédiabolisation n’a il est vrai jamais fait l’unanimité et il n’aura pas fallu attendre bien longtemps pour que les langues se délient. Quoique plutôt présentable et talentueux, Florian Philippot apparaît aujourd’hui sur la sellette. Le fait est que la sortie de l’euro qu’il préconisait, socle d’un programme économique trop singulier, irréaliste et somme toute illisible en considérant les propos alambiqués et atermoiements de Marine Le Pen pendant le débat de l’entre-deux-tours, a certainement effrayé une partie de la droite.
Le ralliement de Nicolas Dupont-Aignan, qui a désarçonné bien des électeurs de « Debout la France » (moins d’un tiers d’entre eux l’ont suivi dans son virage à droite à en croire un sondage Ipsos), est également à prendre en compte. Plus forte que jamais, mais pas au point d’accéder à l’Elysée et encore très ringardisée, l’extrême-droite va-t-elle en finir avec la rhétorique victimaire, les diatribes contre le système, le monde de la finance et les médias mainstream acquis audit système ? Va-t-elle se résigner à l’économie de marché, au risque de décevoir une partie importante de cet électorat populaire que convoite aussi Jean-Luc Mélenchon ? A ce stade, une « souverainisation » voire une gaullisation du parti semble l’option la plus pertinente pour incarner une opposition à la fois forte et crédible au tropisme européen que défend(rait) le nouveau président de la République.
Du côté des Républicains, c’est l’hallali. L’élection présidentielle était en effet jouée d’avance, le rejet de François Hollande et de tout ce qui le concernait de près ou de loin était tel que la droite traditionnelle aurait dû revenir aux affaires. Elle s’est pourtant cassée les dents sur un néophyte, le benjamin du scrutin, jamais élu jusqu’ici, un minot souvent considéré comme une authentique créature du président sortant. Le coup est évidemment très dur, bien plus que ne l’était l’échec beaucoup plus attendu de Nicolas Sarkozy il y a 5 ans, et le climat est à la division dans les rangs de l’ex-UMP, entre ceux qui rallient déjà Emmanuel Macron, par conviction, pragmatisme ou opportunisme, ceux qui sont tentés de se « dupont-aignaniser » et ceux qui veulent à tout prix sauver ce qui peut l’être de ce parti aujourd’hui aux abois, à un degré moindre néanmoins que le Parti socialiste.
Les élections législatives devraient de surcroît offrir un peu plus de 200 sièges aux Républicains, plutôt bien implantés localement et qui peuvent s’appuyer sur un mode de scrutin qui tend à les avantager. Pour autant, la stratégie de fond paraît à revoir et on voit mal le « LR » d’avant la présidentielle continuer comme si rien de décevant ne venait de se produire… Des défections sont à prévoir, voire des exclusions, et un rapprochement avec « En Marche ! » ne saurait être exclu à terme, même s’il n’est pas franchement la tendance dominante et est même formellement rejeté – pour le moment – par une large majorité de caciques du parti. On assisterait auquel cas, par extension, à un recentrage qui ferait jaser… Plus plausible encore est le scénario d’un schisme idéologique majeur, une scission qui ne ferait toutefois pas les affaires de grand-monde.
Reste aussi à savoir qui aura la lourde tâche de piloter ce parti aujourd’hui claudicant, un enfant du chiraquisme comme François Baroin ou un quadragénaire davantage catalogué traditionnel comme Laurent Wauquiez, sachant que les deux premiers tiennent la corde et que François Fillon, trop soudainement bankable et trop vite aspiré, est bien entendu hors course.
Du neuf avec du vieux ?
En attendant, les spéculations vont bon train quant à l’identité du nouveau Premier ministre. Emmanuel Macron a indiqué avoir déjà fait son choix, mais a gardé le suspense. Les noms d’Anne-Marie Idrac, de Laurence Parisot, de Christine Lagarde, de Richard Ferrand, d’Edouard Philippe, de Xavier Bertrand ou encore de Thierry Breton, prétendants plus ou moins crédibles, ont notamment été évoqués.
Verra-t-on une nouvelle tête à Matignon ? Le successeur de François Hollande peut-il prendre le risque de fortement décevoir en optant pour une figure expérimentée, mais trop connue de ces Français qui ont éliminé successivement Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, Manuel Valls et François Fillon en l’espace de quelques semaines et qui aspirent à un renouvellement en profondeur ? La désignation d’un profane pourrait toutefois porter préjudice au nouveau chef de l’Etat, lequel a également besoin de personnalités familières des rouages du pouvoir pour le seconder.
En Marche ! étant un parti encore très jeune, mais au capital séduction redoutable, encore plus depuis hier, il semble acquis que des « anciens » auront un rôle à jouer dans la nouvelle administration. Reste à savoir s’ils rafleront Matignon, les ministères régaliens ou s’ils seront cantonnés à des postes subalternes, selon une politique de la table rase tentante de prime abord, mais potentiellement risquée lorsque débuteront les choses sérieuses, c’est-à-dire très bientôt.
Une chose est sûre : l’audace restera le maître-mot du scrutin présidentiel. Une audace polyforme, qui a sans doute scellé le sort des partis traditionnels et a placé les extrêmes au centre du jeu politique. Une audace qui a finalement consacré un novice dynamique a priori déterminé à mener une vaste entreprise de dépoussiérage; consistant à la fois à dynamiter les vieux clivages et à promouvoir la société civile.
Il serait en cela en phase avec la majorité de nos concitoyens. La remarque vaut évidemment aussi pour son grand dessein de moralisation de la vie politique tout aussi espéré, sinon davantage.