Il y a quelques jours, un sondage paru dans le Figaro faisait état du racisme ambiant en France. Les biais de ce sondage sont nombreux. Des réponses telles que « il est plus difficile d’être musulman qu’il y a trente ans (61%) ou d’origine maghrébine (56%) ou plus facile d’être noir aujourd’hui (61%) (…) » laissent perplexe devant tant d’imprécisions. L’idée qu’il « serait plus facile d’être noir » ne se base sur pas grand-chose, sinon un ressenti chargé de tous les préjugés possibles et imaginables. Au-delà ce « coup » anecdotique, il s’agit de revenir sur les errements qui ont eu lieu au cours des dix dernières années sur le thème de la « diversité », pour peu que ce mot ait encore un sens.
Dans cette nouvelle configuration, très française, on distribue les bons et mauvais points. On se fait le porte-parole des victimes, comme si le fait d’être Noir, Arabe, Métis, Asiatique nous mettait automatiquement dans la case martyr. On nous énonce des verdicts définitifs, sans penser aux conséquences. Les victimes étaient jadis ignorées. Elles sont à présent portées au pinacle et chacun veut sa part pour revendiquer des créances sur la société, avec pour figures de proue les associations. Tout le monde se presse pour revendiquer son diplôme ès victime.
De la déshumanisation par le verbe
Dans ce jeux de dupes, on aime à critiquer la « bien pensance » ou la « xénophobie » de ses adversaires. Le « penser bien », le « penser cool » contre le « racisme », la « réaction ».
A l’opposé, on se fait aussi le prophète d’une France qui serait livrée à la sauvagerie de certains, visant les individus d’origine immigrée, vus comme primitifs, incapables de se civiliser au sein de la société française. Ceux-ci sont déshumanisés par le verbe. Agissant en pompier pyromane, lançant des idées reçues, faciles à absorber pour le quidam, existant déjà dans l’imaginaire collectif français, ils s’affrontent dans les nombreux Colisées médiatiques (TV, radio, journaux, réseaux sociaux, etc). La provocation répond à la provocation, dans une bataille puérile, souvent ridicule, dont peu d’entre eux mesurent les conséquences. La confrontation par médias interposés est devenue un fonds de commerce. Chaque semaine voit apparaître une nouvelle forme de racisme, comme un accessoire de mode, qui sera remplacé aussi vite qu’il était apparu. Dans ce torrent, les associations naviguent à vue, attrapant le moindre élément pouvant les faire exister aux yeux des Français. Autour d’elles, un aréopage d’intellectuels, essayant de se faire une place dans cette jungle hostile.
Dans ce jeux de dupes, on aime à critiquer la « bien pensance » ou la « xénophobie » de ses adversaires. Le « penser bien » contre le « racisme ». On remarque que c’est surtout une bataille de mots, la victoire revenant à celui qui trouvera le terme le plus médiatiquement rémunérateur. C’est l’affrontement de deux populismes. L’un se nourrit d’une peur de l’étranger et de la différence. Le second joue sur la rancœur d’une partie de la population, qui ressent une certaine indignité, réelle ou fantasmée, une difficulté à se réaliser au sein de la société française, pour des raisons complexes et très diverses. Au lieu d’avoir le courage de proposer des pistes pour rendre aux citoyens ce sentiment de contribuer à un ensemble qui les dépasse, les aidant à se sentir appartenir à une France unie, apte à choisir une destinée vertueuse, on préfère se perdre en raccourcis outranciers.
La force du préjugé
En voulant combattre les stéréotypes, on en construit de nouveaux. On constitue des groupes ethniques ad hoc par le discours pour les besoins d’une cause, dont on a du mal à comprendre les objectifs.
Si on vous répète pendant des dizaines d’années que vous ne réussissez pas parce que vous êtes victimes d’un système qui vous oppresse, vous commencez à y croire, et à blâmer le monde entier, sans vous posez la moindre question. Il est en effet plus facile de trouver des boucs-émissaires (la police raciste, les professeurs racistes, la société raciste, le racisme institutionnalisé) que de réfléchir. La généralisation n’est jamais une bonne chose. Celle-ci mène au préjugé, qui lui-même est la source de tout racisme, en tout cas dans son acception moderne, c’est-à-dire la nouvelle définition que lui ont donné ses défenseurs. Le système médiatique actuel produit des représentants de la diversité, qui luttent contre des entités, désignées comme « racistes », mais qui n’ont rien en commun, pêle-mêle : Zemmour, Guaino, l’UMP, le FN, Lorant Deutsch, plus récemment Manuel Valls, pour ne citer qu’eux. Le mot est décliné sans fin, lui enlevant tout contenu. Il devient omnibus, ne voulant plus rien dire, rejoignant la cohorte des mots-valises, si chers à nos journalistes français. Mais la violence verbale entre les deux factions est arrivée à un paroxysme difficilement supportable.
Le mot fait exister une idée, un concept, très utile si on veut se rendre visible auprès des médias. Grâce au discours performatif du CRAN, il existerait maintenant une communauté noire structurée en France. On essentialise une communauté, en disant explicitement que la couleur de peau est l’élément primordial à prendre en compte, faisant abstraction des particularités propres à chacun. En voulant combattre les stéréotypes, on en construit de nouveaux. On constitue des groupes ethniques ad hoc par le discours pour les besoins d’une cause, dont on a du mal à comprendre les objectifs. On veut une France post-raciale, mais on ne parle que de cela. Barack Obama avait réussi la prouesse symbolique de rassembler l’Amérique pendant un court instant. Les Blancs, les Noirs, les Hispaniques avaient en effet voté en masse pour lui en 2008. Tout cela parait bien loin.
Dans le cas français, les apôtres de ces deux dogmes, pas si opposés que cela dans leur forme, ont un raisonnement mono-causal qui les amène souvent à trouver une explication unique à ce qu’ils observent dans les situations de la vie courante. Ainsi, s’ils perçoivent bien ce qui arrive, ils attribuent à leur expérience un sens qui reste le même, malgré la multiplicité des occurrences et des contenus. C’est ainsi que les partisans de la diversité parviennent à attribuer des causes relevant du racisme à chaque problème rencontré. De l’autre côté du miroir, les mêmes, qui cette fois, sans recul critique, généralisent à une population des faits reprochés à des sujets isolés, mettant de côté la composante sociale ou les particularités liées aux décisions individuelles. On ne sait pas s’ils le font de manière cynique, connaissant la complexité de la situation, ou s’ils sont sincères dans leur démarche, ce qui en passant serait pire.
Diallo vs Zemmour : l’art de la caricature
Généraliser de la sorte pour exister médiatiquement est contre-productif et dangereux pour la cohésion de la société.
Ainsi, Rokhaya Diallo est un exemple éloquent de cette tendance. Ironie de l’Histoire, elle s’est faite connaître grâce à son pire ennemi, Eric Zemmour. D’une part, elle cite des propos de personnes, qui sont clairement des caricatures, simplifiant à l’envie une question qui devrait être traitée avec sérieux. D’autre part, elle extrapole son cas personnel à la population française. Selon elle, la France est structurellement raciste. Mlle Diallo et consorts sont donc une minorité dans la minorité, transfigurée par le discours en majorité : une gageure. Pour les besoins de la cause, on confond aussi le contenu avec le contenant. Lorsqu’on dit une blague raciste, c’est la blague qui est raciste, pas celui qui la déclare. Sinon, Pierre Desproges, Elie Semoun, Jean-Marie Bigard, Fabrice Eboué, Coluche seraient des racistes patentés. Ce n’est pas le cas. C’est justement par le rire que les barrières, les stéréotypes sont renvoyés à leur bêtise originelle.
Veut-on apaiser les esprits, par une réflexion sur le long terme, en prenant le temps de méditer ces enjeux très sensibles ? Il semblerait qu’on ait choisi la solution de facilité, consistant à s’invectiver, de manière parfois violente, sans améliorer la situation, au contraire. C’est dommage. Nous sommes à présent dans une France divisée, faites de factions médiatiques, qui se regardent en chien de faïence. En bas, les citoyens observent, incrédules, ces gesticulations dérisoires, qui semblent à des années-lumière de la réalité qu’ils vivent quotidiennement. La France ne se résume pas en effet à une bataille avec d’un côté les partisans de Zemmour et de l’autre ceux de Mlle Diallo.
Généraliser de la sorte pour exister médiatiquement est contre-productif et dangereux pour la cohésion de la société.
Mais depuis dix ans, la France coloniale est devenue la grille d’analyse qui expliquerait toutes les difficultés actuelles. Pour ces défenseurs, c’est d’ailleurs à cause de la colonisation que les petits enfants d’immigrés réussissent moins bien scolairement. Cela permet au passage de pulvériser d’un revers l’intégration des enfants d’immigrés, dans les années 1960, 1970, 1980, qui subissaient un racisme bien réel lui, atroce et n’étaient « défendus » par aucune association. Mais la crise est passée par là, et a malheureusement amené avec elle les divagations de gens se renvoyant la balle, ne rendant pas service à ceux qu’ils sont censés représenter. A ce dévoiement de l’Histoire de France répond une explication tout aussi désordonnée, qui ferait des populations d’origine immigrée l’épicentre des difficultés sociales et économiques de notre pays. Les deux camps ont en commun l’art de la caricature, très commode, et malheureusement nécessaire pour obtenir l’onction du système médiatique. Celui-ci est toujours prompt à accueillir de nouveaux arrivants, pourvu qu’ils parlent de plus en plus forts, pour dire de moins en moins de choses.
Diviser pour mieux dominer
Nos combattants de la sémantique restent prisonniers d’une temporalité immédiate, les amenant à altérer une réalité par les mots, pour se faire une place dans un panthéon médiatique qui tombe en ruine.
Ces deux camps idéologiques sont ainsi devenus les deux faces d’une même pièce. Ils se complètent, car se nourrissent sur la même bête, le « Non-Blanc », transformée en victime essentialisée ou en source des maux de la société française, utilisant les mêmes préjugés simplistes. Ils ne sont jamais rassasiés. La situation s’est détériorée depuis dix ans et l’abîme n’a pas cessé de grandir parmi les Français. Les « Indivisibles » ont donc contribué à diviser la société, avec le camp adverse comme allié objectif. Entre une xénophobie assumée et une sacralisation des origines, tout cela laisse un goût amer. Espérons que la pluie du temps lavera ces tâches, qui ne font pas honneur à notre Histoire. Nos combattants de la sémantique restent prisonniers d’une temporalité immédiate, les amenant à altérer une réalité par les mots, pour se faire une place dans un panthéon médiatique qui tombe en ruine.
Nous aurions sans doute dû nous en tenir à ce que disait Térence, l’esclave devenu poète, il y a 2 000 ans, « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».