Partagez sur "« Remake is business », ou comment la novation disparaît du cinéma"
“Everything old is new again”. Partons de ces prémices anglophones pour nous pencher sur une tendance massive dans le cinéma outre-atlantique. Nous vous en parlions il y a déjà longtemps dans nos colonnes, le remake est un procédé qui s’inscrit dans le temps long, qu’une certaine forme d’imitation se révèle consubstantielle à l’histoire de l’art. Quand cette imitation prend la forme d’une pâle copie ou d’une incapacité à penser le cinéma hors d’une vision mercantile, l’égarement n’est jamais bien loin.
C’est en écoutant Max Landis, jeune scénariste du film Chronicle que cet article m’est venu. Il est aussi pour les connaisseurs, le rejeton de John Landis, à qui l’on doit Un fauteuil pour deux, The Blues Brothers et le clip Thriller. Une sommité diront certains. Le jeune homme possède une imagination à la dose gênante, c’est un esprit tenace.
L’agonie des créations originales
Les scénaristes deviennent de vulgaires « adaptateurs », moines copistes, chargés de recopier un canevas déjà cousu.
Max nous dit la chose suivante : les idées originales au cinéma ont fait long feu. Aujourd’hui, les décideurs de l’empire cinématographique américain préfèrent se reposer essentiellement sur des œuvres déjà créées pour produire des films. Par conséquent, les scénaristes deviennent de vulgaires « adaptateurs », moines copistes, chargés de recopier un canevas déjà cousu. Ces paroles prennent une résonance particulière alors que la sortie du nouveau Star Wars envahit les mondes réel et numérique. Par ailleurs, on peut aussi citer nos fameux Minions, sous fifres du gentil méchant Gru, qui ont eu leur film, pour le plus grand bonheur des enfants et des studios. Le jackpot est à portée de main, puisqu’on multiplie le rendement de la place par deux, pour un film somme toute assez plat et sans surprise. Les enfants se rendant en masse dans les salles, accompagnés de leurs parents. Ces mêmes bambins demandent sans doute en ce moment des peluches et autres produits dérivés au père Noël.
Ainsi, sur les 30 premiers films de l’année 2015 en terme de recette, on s’aperçoit que 25 d’entre eux sont des suites, des remakes, adaptations de livre, comics ou autres, ou œuvres inspirées de faits réels. Cela alimenterait la thèse de Max, qu’effectivement, les studios ne veulent plus prendre de risques avec des idées originales. L’aboutissement devient le retour sur investissement, non plus la reconnaissance de ses pairs, du public ou de la critique. Tout cela devient secondaire. Les remakes, adaptations de livres, séries, jeu vidéo, jeu de société, biopic, les adaptations inspirées de faits réels ont depuis longtemps éclipsé les créations originales.
Dans le même temps, on remarque que de plus en plus de films sont distribués mais ils ne sont pas vus. Autrement dit, il est devenu plus facile d’avoir son film distribué et diffusé par des biais nouveaux : Pay per view, Netflix, Amazon, Hulu, Dailymotion, Youtube, etc… Ce qui ne signifie pas forcément qu’ils seront vus par un large public. Avec cette offre pléthorique, c’est l’inverse qui se passe, on est dans l’éparpillement. D’où l’importance croissante de l’outil promotionnel.
La production plutôt que la création
Précisément, tout devient produit, et, peu à peu, l’insouciance d’aller « se faire une toile » disparait, tant on a déjà une idée si précise de ce qu’on va aller voir.
Max aborde malicieusement la question du placement de produit, et la volonté de ne plus prendre de risque. Le placement de produit apparait dans tous les films populaires. On a d’ailleurs décrit certains films comme une publicité d’une heure trente. Souvenons-nous des Stagiaires, où l’on retrouvait Owen Wilson et Vince Vaughn. Google le Léviathan avait son film. Même si le succès ne fut pas exactement au rendez-vous, reste que certains conglomérats utilisent le cinéma comme véhicule privilégié de leurs produits. Il faudrait ainsi être aveugle ou vivre sur Mars pour ne pas voir la machine promotionnelle autour du dernier James Bond. Sony en profite pour caser ses mobiles, que par ailleurs plus grand monde ne semble vouloir acheter. La station de métro Franklin Roosevelt avait servi de vaisseau amiral pour cette promotion. Impossible de l’éviter, nous sommes les réceptacles béats de non plus de l’œuvre, mais de la production. Précisément, tout devient produit, et, peu à peu, l’insouciance d’aller « se faire une toile » disparait, tant on a déjà une idée si précise de ce qu’on va aller voir. Il faut comprendre que plus on est familiarisé avec un élément, ici le cinéma, plus on est susceptible d’aller le voir. Comme si on n’avait plus le choix, comme si on devait aller voir ce dernier James Bond. Et on finit par déplacer sa carcasse, car tout le monde en parle.
On souhaite protéger son investissement en créant des zones tampon afin de sécuriser l’ensemble, la promotion en fait partie. Le problème c’est que, peu importe ce qu’on fait, à la fin, cela n’a plus aucune importance. Aujourd’hui, même les producteurs les plus expérimentés ne savent pas ce qui fera le succès d’un film. Car même si on met en place toutes les sécurités possibles, personne n’est à l’abri d’un échec : John Carter s’en souvient encore.
Le règne de la promotion
Cela a deux conséquences. D’une part, les boites de production ne veulent plus prendre aucun risque avec des films sans précédent familier, c’est-à-dire sans une base culturelle déjà connue du grand public (livre, série, comics à succès). D’autre part, elles dépensent de plus en plus dans la promotion d’un film. Ainsi le budget alloué au marketing a été multiplié par 3 au cours des dix dernières années. Il peut représenter jusqu’à la moitié du budget de production. Si Spectre avait un budget de 245 millions de dollars, il faut ajouter à cela les coûts promotionnels qui s’élèvent à 100 millions de dollars.
Il y a un démantèlement des idées, puis une recomposition bâtarde s’opère. Lorsque les producteurs reçoivent le script, il est retravaillé, lissé, afin de ne s’aliéner aucune partie de l’audience.
Cela a une incidence sur le scénario. Il y a un démantèlement des idées, puis une recomposition bâtarde s’opère. Concrètement, lorsque les producteurs reçoivent le script, il est retravaillé, lissé, afin de ne s’aliéner aucune partie de l’audience. On ajoute du placement de produits, afin de s’attacher quelques sponsors prestigieux, on incorpore un enfant, et les jeunes gens se déplaceront peut-être en masse. Ces décisions, on le voit, ne sont aucunement basées sur une quelconque volonté de rendre l’œuvre meilleure, mais d’augmenter le potentiel public dans les salles et donc les revenus. Cela traduit un mépris total pour l’œuvre. Imagine-t-on un instant recopier un livre sur un support différent, en retirant des pans importants de l’histoire ?
On se rend compte que, finalement, ça n’est plus l’œuvre elle-même qui importe, mais tout ce que l’on fait autour d’elle. L’écume des choses. Comme si on avait un artiste, ou une création culturelle, sans talent, sans titre, sans histoire, et que les gens venaient par milliers le voir sous prétexte que sa promotion était bien menée. C’est aujourd’hui le buzz et le marketing qui ont pris le pouvoir sur l’imagination, pour un règne qui s’annonce sans partage.