Réclamée de longue date par l’opposition, la démission de Christiane Taubira, emblématique et controversée ministre de la Justice, consacre le virage sécuritaire d’un gouvernement qui apparaît de moins en moins socialiste.
Enfin ! Droite et extrême-droite n’ont pas caché leur satisfaction après l’annonce du départ de Christiane Taubira, qu’elles ciblaient de concert depuis trois ans et demi. Les attaques ont fusé et parfois été d’une redoutable bassesse, ce qui a donné à la Guyanaise l’occasion de faire étalage d’une combativité assez peu vue jusqu’alors à ce niveau de l’Etat, laquelle est presque devenue une marque de fabrique. Quand elle a été attaquée pour sa couleur de peau, celle qui a contribué à creuser la tombe de Lionel Jospin en briguant la magistrature suprême en 2002, ajoutant ainsi à la division de la gauche, a su répondre à ses détracteurs. Leur inélégance, pour ne pas dire leur bêtise crasse, lui a indéniablement servi, aussi sûrement qu’elle a redonné corps à la cause de l’antiracisme.
« Parce qu’elle est une femme, Noire qui plus est, et qu’elle n’a pas la langue dans sa poche, Christiane Taubira attire comme un aimant tous les identitaires et racistes de la Toile », a rappelé Le Point ce mercredi. Pourtant peu suspect de complaisance à son endroit, l’hebdomadaire a évoqué « une mauvaise foi criante » de la droite, qui a accusé la ministre de tous les maux : « laxisme, volonté de vider les prisons, désamour pour les victimes ».
« Parce qu’elle est une femme, Noire, et qu’elle n’a pas la langue dans sa poche, Christiane Taubira attire comme un aimant tous les identitaires et racistes de la Toile »
Au grand dam de Frigide Barjot et consorts, Christiane Taubira a aussi porté la réforme du mariage pour tous, grand œuvre social de l’administration Hollande, la défendant bec et ongles à grands renforts d’envolées lyriques quand l’opposition, résolue sur le sujet, se posait en ultime rempart de valeurs traditionnelles qui auraient été dévoyées, sacrifiées sur l’autel d’une homophilie dangereusement décomplexée.
Ce fut l’apogée d’une ministre constamment décriée et qui, avec le recul, n’aura pas résisté à la réponse élyséenne aux attentats du 13 novembre, coincée entre l’Etat d’urgence et la volonté farouche de déchoir les binationaux terroristes de leur nationalité française. Objet de sentiments radicaux chez ses concitoyens, souvent épinglée pour son laxisme, cette adversaire des peines plancher n’a jamais – rendons à César ce qui lui appartient – hésité à faire entendre sa voix et à manifester sa désapprobation vis-à-vis de certaines décisions de son camp, suscitant régulièrement l’ire de Manuel Valls et à un degré moindre d’Emmanuel Macron, les deux fers de lance d’une social-démocratie qui n’en est encore qu’à ses balbutiements dans cette France encore très marquée par les idéologies et clivages traditionnels.
Christiane Taubira et les désaveux en série
Le gouvernement n’a ces dernières semaines eu de cesse de l’éconduire pour acculer à la démission celle qui fut jusqu’à il n’y a pas si longtemps la grande dépositaire du sacro-saint vivre ensemble.
De plus en plus encensée à gauche à mesure que le gouvernement se ralliait à la fermeté, perçue par certains comme un symbole de résistance, un pilier de la tolérance et de la liberté face à la droitisation du régime, Christiane Taubira rend donc son tablier, asphyxiée, essorée, laminée et finalement incapable d’avoir su imposer ses conceptions.
L’aggravation de la menace terroriste n’est pas de son seul fait, mais sa propension à privilégier l’éducation, la réinsertion et la pédagogie sont apparus insupportables à une opinion de plus en plus avide de répression, à mesure que la liste des victimes de l’islamisme s’allongeait. Devenu dans ce contexte suffocant plus soucieux de labourer les terres des Républicains que de ménager les susceptibilités de la « vieille gauche », écologistes, mélenchonistes et autres frondeurs, le gouvernement n’a ces dernières semaines eu de cesse de l’éconduire pour acculer à la démission celle qui fut jusqu’à il n’y a pas si longtemps la grande dépositaire du sacro-saint vivre ensemble.
Par-delà cette posture, Christiane Taubira, la femme dont le seul « boss » est sa conscience, dixit le New York Times, a dû avaler quantité de couleuvres, de l’abandon de la PMA à la susnommée déchéance de nationalité en passant par le refus final d’amnistier les syndicats, le renforcement de la loi renseignement, la loi Macron jetant les bases de l’ouverture du travail du dimanche et le report sine die de sa réforme du droit des mineurs. La Guyanaise avait donc largement de quoi claquer la porte et retrouver son indépendance bien plus tôt. Elle aura désormais tout loisir d’expliquer pourquoi elle a persisté, au risque de paraître cramponnée à son maroquin ministériel.
Personnalité clivante et volontiers provocatrice, capable de se mettre à dos toutes les professions juridiques tout en se muant en icône LGBT, Christiane Taubira demeure une énigme et ses intentions sont floues. Peut-elle refaire le coup de 2002, avec une aura aujourd’hui singulièrement renforcée, quoi qu’on pense d’elle, une belle cote de popularité à gauche et des velléités indépendantistes troquées contre une image de vitupérante pacifiste ? L’oxymore personnifié va-t-il prendre ses distances avec le milieu politique, qui ne l’aura guère ménagé ?
Qui sait si elle a déjà quelque idée quant à la suite des événements. Et si cet ancien soutien du margoulin Tapie (elle était en quatrième position sur sa liste lors des élections européennes de 1994), après avoir voté l’investiture d’Edouard Balladur en 1993, ne surprendra pas une nouvelle fois son monde…