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The Voice, c’est le programme phare de TF1, tant au niveau des audiences que des répercussions sur les réseaux sociaux. Mais si l’émission peut faire connaître certains talents, elle n’en reste pas moins une émission qui aborde la musique de manière biaisée.

Les samedis soirs d’hiver sur TF1 deviennent immuables : Jenifer porte un décolleté plongeant, Florent Pagny arbore un boa constrictor sur le dos et Mika fait chavirer la ménagère avec son accent pimenté. Et le public, comme à la plus belle époque de « La Fureur », pousse les meubles devant son poste et reprend en chœur les chansons interprétées par les candidats. Si The Voice demeure une émission excellemment produite, agréable à regarder et très bien animée par un Nikos Aliagas parfait en maître de cérémonie, elle n’en constitue pas moins une approche partiale de la musique, basée essentiellement sur la performance vocale. On crie dans The Voice, on s’époumone avec un orchestre, mais on y chante peu.

The Voice face à la dictature d’Amel Bent

On crie dans The Voice, on s’époumone avec un orchestre, mais on y chante peu.

Le programme subit le contrecoup d’une décennie de dictature de chanteuses à voix, de Céline Dion à Lara Fabian en passant par Amel Bent, avec la complicité des grandes stations musicales qui passent à longueur d’ondes ces tortures sonores pour amadouer un public post-adolescent. Si les « talents » rejoignent des écuries, ils n’y apprennent rien d’autre qu’à chanter en respectant plus ou moins une note, dans l’unique but d’assurer un show télévisé. 

Or chanter, ce n’est pas seulement crier dans un micro comme la première starlette de R&B venue, ce n’est pas uniquement s’égosiller sur du Chimène Badi. The Voice n’apprend pas à composer, ni à écrire un texte, ni à l’interpréter. Brassens, Gainsbourg ou Renaud n’auraient jamais passé le premier tour de cette compétition. Pas assez américanisés. Trop « excluants ». Trop cultivés. Trop poètes. The Voice est un élevage en batterie de clones vocaux qui ont trop écouté NRJ et qui n’ont pas assez lu Charles Baudelaire.

Comment la génération zapping tuera la chanson

Toute cette tradition de chanteurs « à texte » – adjectif inventé comme si le texte était une option – n’est plus qu’un souvenir pour toute une génération matérialisée et digitale.

« La chanson est un art mineur » murmurait Serge Gainsbourg entre deux Gitanes, mais il en a fait un art majeur, à force de travail et d’obstination. Il connaissait autant Chopin que Bob Dylan, comme Brassens récitait Villon. Toute cette tradition de chanteurs « à texte » – adjectif inventé comme si le texte était une option – n’est plus qu’un souvenir pour toute une génération matérialisée et digitale. 

Après le sacre de l’enfant-roi, vient celui de l’adolescent-roi à qui l’on ne demande plus de s’intéresser à son héritage culturel. Cette génération zapping, figée dans l’instantanéité, ne consomme plus quand elle n’aime plus, alors il faut la satisfaire immédiatement. Ne pas lui imposer des paroles qui font référence à Nerval. Ne pas lui faire écouter trop d’allitérations. 

Certes, il s’agit d’un programme de divertissement. Mais tout n’est plus que divertissement. L’industrie du spectacle doit vendre des disques et TF1 vend du « Temps de cerveau disponible ». Alors chaque samedi soir, pendant que Jenifer soigne son décolleté, Nonce Paolini se faufile dans les dédales du cimetière Montparnasse et s’assure que le tombeau de Serge Gainsbourg est bien fermé. Au nom d’Amel Bent.

Julien de Rubempré

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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