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À quoi tient un chef-d’œuvre, finalement ? Quels sont les éléments qui nous font dire que oui, nous venons bel et bien d’en voir un ? Dresse t-on une liste exhaustive de qualités comme on dresse une liste de compétences sur un curriculum vitae, pour départager ? Est-ce un film ne souffrant d’aucune contestation, impeccable de l’ouverture au générique de fin ? Un film parfait en somme… Encore faut-il que cette notion existe.

Certains films majeurs de l’Histoire peuvent concourir à cette dénomination, mais Three Billboards: Les Panneaux de la vengeance, malgré d’indéniables points forts, m’apparaît trop éloigné d’une hypothétique perfection.

Il accuse en effet de regrettables erreurs de parcours. Ces moments où l’on tique, déçu de l’orientation bancale soudaine. Trop de facilités d’écriture, trop de rencontres fortuites. Le réalisateur a en outre cette fâcheuse tendance à appuyer le propos, au détour de scènes tragi-comiques, qui regardées avec le recul de l’après-séance, ne se marient pas si bien à l’ensemble. Pire, elles cassent une progression rigoureuse.

Est-ce dommage ? Oui. Grave ? Non … Mais nous y reviendrons.

 La violence comme leitmotiv 

Car Three Billboards Outside Ebbing, Missouri (en version originale), dégagé de ces fâcheux défauts, jouit d’une justesse rare. Un état de grâce trouvé notamment dans l’écriture de ses personnages, tous plus formidables les uns que les autres. Parce qu’ils ne campent pas un manichéisme à tous crins, tendance parfois trop répandue à Hollywood. Ils sont au contraire ici d’une ambivalence époustouflante. Capables, comme dans la «réalité» d’éprouver simultanément deux sentiments opposés, de passer d’une humeur anodine à la violence le plus crue en une fraction de seconde.

« De l’ambivalence pour les protagonistes du film naît dans notre esprit une perte de repères tout à fait intéressante ».

La violence. Sans conteste le sujet de fond du film. Celui-ci la dissèque comme ce qu’elle est fondamentalement: un accès autant fulgurant que brutal, avec la réaction en chaîne inéluctable qu’elle provoque ensuite. Mais cette violence, aussi soudaine soit-elle, est à chaque fois contre-balancée par une autre scène où l’empathie vient nous étreindre, où le personnage, si humain dans ses faiblesses, ses remord ainsi que sa tendresse – elle, souvent maladroite – déclenche chez nous une compassion immédiate, presque coupable. De l’ambivalence pour les protagonistes du film naît dans notre esprit une perte de repères tout à fait intéressante. Three Billboards: Les Panneaux de la vengeance démontre une brillante étude de caractères.

 Un univers isolé

Martin McDonagh, le réalisateur du film, afin d’animer au mieux sa galerie de personnage choisit de raconter son histoire dans ce qu’on appelle vulgairement l’Amérique Profonde. Non pas celle des grands espaces de l’Ouest, cadre classique du Western, mais le Midwest, région encore plus mystérieuse peut-être pour notre regard d’européen.

« Three Billboards: Les panneaux de la vengeance élabore un cadre tangible, profondément incarné où il développe une histoire crédible, faite de misère sociale et de velléités vengeresses, à l’ombre du monde ».

Three Billboards: Les Panneaux de la vengeance prend place dans une petite bourgade du Missouri: Ebbing, enclavée entre les montagnes en plein milieu des États-unis. La mise en scène du film n’aura de cesse que de conforter cette sensation d’univers isolé, tournant en vase clos. L’intérieur de la vallée vit selon ses propres codes. Ses petits commerces, son commissariat, son école, sa chapelle et ses routes décaties pour faire circuler sa population, cachée de la «civilisation» extérieure. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’héroïne du film décide d’afficher son message controversé sur trois panneaux abandonnés dans une route où plus personne ne passe depuis qu’une autoroute, plus moderne et fréquentée, a été construite.

Three Billboards: Les panneaux de la vengeance élabore un cadre tangible, profondément incarné où il développe une histoire crédible, faite de misère sociale et de velléités vengeresses, à l’ombre du monde.

Vous l’aurez compris, le film touche au sublime. Martin McDonagh en appelle aussi bien à John Steinbeck qu’aux Frères Cohen. Il réussit à renouveler un genre vieux comme l’Amérique. Il lui donnerait presque une nouvelle dimension, hybride, pataugeant dans le pur western et le polar noir des années 30. Un résultant étonnant. Une gageure rondement bien menée !

Il ne faut certainement pas s’arrêter sur les quelques anicroches mentionnées en début de ce texte. Il fallait s’en débarrasser pour dire à quel point Three Billboards: Les Panneaux de la vengeance s’avère non pas mécaniquement parfait, mais exceptionnel, car lui aussi ambivalent, lui aussi attachant, dans cette vie d’Hommes boiteux que le réalisateur écossais met en branle. Car au bout du compte, les films les plus réussis ne sont-ils pas ceux qui brillent par leurs faiblesses ?

Rémi Champagne

Rémi Champagne

Né quelque part en Belgique. Culturellement nécessiteux et sournoisement incrédule devant les soubresauts du monde. Avec le rock'n'roll et le foot dans le rétro, toujours.

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