A l’occasion de l’acte 18 des Gilets jaunes (GJ) à Paris, on découvre avec effroi la violence (magasins pillés, restaurants saccagés, kiosques incendiés…) alors qu’on avait l’impression qu’elle avait progressivement disparu ou était en passe de l’être dans nos sociétés occidentales.
Depuis la fin du communisme, la chute du mur de Berlin et la disparition des affres de la colonisation et de l’apartheid, tout semblait nous conduire vers une ère d’apaisement généralisé .
Le rideau du monde ancien semblait être définitivement tombé et avec lui la violence, qui constituait son plus horrible oripeau. Et pour justifier cela, François Furet n’avait-il pas déclaré « la révolution (française) est terminée. » ?
D’ailleurs les grandes figures ( Le Che, Malcom X, Sartre…) ayant soutenu une certaine violence avaient disparu en même temps qu’elle.
Résultat, depuis une quarantaine d’années, la violence devient en quelque sorte le mal absolu qu’il faut à tout prix juguler. Le recours à la force n’étant plus considéré comme le moyen le plus approprié ni le plus adapté pour régler nos conflits.
Seuls le compromis et la recherche de consensus deviennent les voies royales du vivre ensemble.
Une ombre toutefois au tableau, c’est la violence extrême qui a été banalisée depuis quelque temps par l’état islamique Daech. Cette mouvance extrémiste inspire, en effet, les auteurs de certains attentats spectaculaires qui ont lieu trop souvent encore sur notre sol.
Mais ce nouveau mal, a germé hors de nos frontières et il faut espérer, depuis les récents échecs militaires de l’état islamique, qu’il s’atténuera et à terme disparaîtra définitivement chez nous ?
L’autre violence, beaucoup plus sournoise et dangereuse ?
En effet pour en revenir aux GJ, certains se posent aussi la question de savoir si ce mouvement n’a pas dévoilé en réalité en la combattant, par ses actions agressives, une autre violence beaucoup plus sournoise qui gangrènerait plus gravement encore notre société ?
Et donc la violence développée par les GJ ne serait en définitive que le prix à payer pour s’opposer à une autre violence beaucoup plus mortifère ?
Cette analyse est reprise par certains intellectuels et économistes. Ils font fait porter l’origine de toute vraie violence à celle développée initialement par le phénomène de la mondialisation initiée par le libéralisme économique.
Cette forme économique dite aussi « violence muette » a conduit à « une exploitation renforcée, des inégalités sans cesse aggravées, des démocraties malades, des discriminations en tous domaines. Elle a remodelé le procès de travail, et son code, dans le sens d’une individualisation systématisée (cf. les nouveaux « contrats de mission » et la « flexisécurité »)….
La violence « muette » emporte également des conséquences sociales « bavardes », avec les révoltes des « quartiers » (comme on dit « territoires », pour la Palestine), les suicides de jeunes, de cadres d’entreprise, de policiers, -sur leurs lieux de travail, – lesquels s’ajoutent aux accidents du travail beaucoup plus nombreux (mais moins évoqués que ceux de la route ou du tabac, imputables aux seuls individus) et ouvertement criminelles, avec la montée de toutes les formes de violence, dont certaines sont nouvelles, comme le harcèlement moral. »
A la lumière de cette nouvelle mise en perspective de la « vraie » violence , les GJ deviendraient, ce qu’ils n’ont jamais cessé d’être, à savoir d’authentiques défenseurs d’une France qui souffre, en s’opposant aux destructions de toute sorte ( le service public, la France périphérique, le pouvoir d’achat…) !
La responsabilité de Macron
Avocat et promoteur de ce nouveau monde mondialisé, le président Macron porte à cet égard une lourde responsabilité. Même récemment il n’a pas hésité, grâce au vote de sa majorité parlementaire, à donner des gages supplémentaires permettant d’accentuer encore un processus déjà bien enclenché .
Sur FB, voici ce qui est dit et partagé par beaucoup d’internautes:
« L’incendie du Fouquet’s et le saccage des Champs Élysées, servant d’écran de fumée sur lequel focalise les médias, dans une logique de « stratégie du choc » pour sidérer la population, nous fait oublier que: Le 15 mars 2019 à 6h15 du matin, a eu lieu un événement qui restera dans l’Histoire. Un moment clé du quinquennat Macron. Une honte intégrale.L’Assemblée Nationale a voté d’un seul coup la privatisation des Aéroports de Paris, de la Française des Jeux et d’Engie, la suppression des tarifs réglementés du gaz et la modification des seuils sociaux ! Pour ce vote majeur, ils étaient… 45 sur 577. Soit 7% des effectifs. 532 absents ! »
De son côté, Frédéric Lordon, qui a refusé de participer au grand débat des intellectuels le 18 mars, a aussi abondé dans le même sens, mettant en exergue la responsabilité particulière du chef de l’Etat:
« Vous détruisez le travail, vous détruisez les territoires, vous détruisez les vies et vous détruisez la planète ! Si vous vous n’avez plus aucune légitimité, le peuple lui a entièrement celle de résister à sa propre démolition. Craignez même que dans l’élan de sa fureur, il ne lui vienne à l’idée de démolir ses démolisseurs… Et comme en arriver là n’est souhaitable pour personne, il reste une solution simple, logique, et qui préserve l’intégrité de tous : monsieur Macron il faut partir ! monsieur Macron rendez les clés ! »
Violence sur les personnes, violence sur les biens
Or, les violences policières qui touchent les GJ sont systématiquement niées par le gouvernement.
Pour Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, professeur à Sciences Po Grenoble et auteur de De la police en démocratie, il y a effectivement eu déni de ces violences policières.
«On peut parler d’un déni dans un premier temps, puis d’une minoration de la part du gouvernement, et du ministre de l’Intérieur en particulier», constate-t-il.( https://www.slate.fr/story/173193/violences-policieres-gilets-jaunes-gouvernement-ministere-interieur-deni)
Plus loin, il analyse comme suit l’attitude du ministre de l’Intérieur:
«C’est son travail de défendre les fonctionnaires de police. Tous les ministres font cela. Ils ont deux publics: leurs fonctionnaires et les usagers du service, les citoyens. Mais la particularité de Christophe Castaner, c’est l’asymétrie. Qu’il parle aux policiers, c’est logique, mais c’est l’absence de considération pour les victimes, l’absence d’empathie, qui est frappante»
En fait ce manque d’empathie pour les victimes est commune à tous les membres de l’exécutif et principalement le président de la République et son premier ministre.
Selon un décompte des blessés, il y aurait depuis le 17 novembre 2000 blessés, dont 22 éborgnés et presque autant de mutilés aux mains et aux pieds.On dénombre aussi plus de 13 000 tirs de LBD ayant causé les mutilations précitées.
Selon le journal 20 minutes du 14 janvier 2019:
« En un mois de manifestations en France, il y a eu plus de blessés chez les gilets jaunes que sur l’ensemble des militaires français engagés dans des conflits à l’étranger sur les 50 dernières années !!! »
Le 13 décembre 2018, Jean-Luc Mélenchon avait demandé une minute de silence à l’Assemblée Nationale.
« Sur tous les bancs, les députés se sont levés pour observer cette minute de silence. Un moment émouvant salué par Jean-Luc Mélenchon qui a déclaré, à la reprise de son discours : « Merci collègues, la patrie est témoin de son unité ». Beaucoup ont en revanche noté, sur les réseaux sociaux, que les membres du gouvernement étaient restés assis. Une maladresse qui ne devrait pas arranger les rapports, déjà tendus, entre le gouvernement et les gilets jaunes… »
Plus qu’une maladresse, cela dénote aussi et surtout un certain mépris de classe vis-à-vis de gens qui ne sont rien aux yeux de notre président.
Enfin pour parler de violence, il faut faire la différence entre la violence envers les biens et celle envers des personnes. On ne peut pas tout amalgamer dans ce mot un peu vague de « violences ».
Le « Fouquet’s » en flammes comptera toujours moins qu’un blessé qu’il soit gilet jaune ou policier !
Certes, notre société a besoin de ce genre d’images pour faire de l’audience, pour capter l’attention. Or mettre le projecteur sur ces violences, c’est ne pas le mettre sur la vraie violence institutionnelle, structurelle du monde de la finance et de tous ceux qui sont à son service.
Christian Schmitt