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L’école, cette institution si particulière, pour le Français moyen, pleine de promesses et de frustrations en tout genre. Petit, on y allait à reculons, adulte, on n’en est jamais vraiment parti.

Qui n’a pas ce souvenir de l’enfant harnaché aux bras de sa mère, refusant de la quitter pour plonger dans cet inconnu, peuplé de semblables, têtes blondes, brunes, plus rarement rousses ? Qui n’a pas en mémoire ce passage, difficile, entre la 3ème et la fameuse Seconde Générale, où tout à coup, on se rendait compte qu’il ne fallait pas simplement recopier un tableau noir, mais écouter, puis « prendre en note » les mots du professeur ?

Tout cela induisait une nécessité d’exigence, de remise en question permanente, de progression dans la façon de saisir ce trésor, le savoir humain.

A vrai dire, je ne me suis pas vraiment penché en détail sur le projet de loi de notre ministre de l’Éducation Nationale. Cependant, et devant les réactions quasi unanimes hostiles à cette loi, une chose frappe. Cette dernière est le pur produit d’un système éducatif méritocratique – loin d’être parfait entendons-nous bien– qui a permis à une jeune femme prometteuse, intelligente, d’atteindre les plus hautes fonctions de l’État. Elle est le produit de cette exigence française. Alors on ne comprend pas. Véritablement, on ne comprend pas pourquoi elle semble la refuser aux jeunes générations.

L’exigence, le nouveau mal français

L’exigence de caractère est donc une dimension essentielle de l’école, aujourd’hui en voie de disparition.

Car cette exigence, ce respect de la hiérarchie, de la connaissance est devenu un mot interdit. Je ne suis pas enseignant, mais, modestement, j’ai pu en observer un aréopage varié, eu égard à mon parcours universitaire. Voyez-vous, les « profs » ont toujours des histoires à raconter. Cependant, celles-ci sont de moins en moins heureuses. On se plaint souvent, beaucoup, de l’attitude de certains élèves, de leur absence de curiosité à l’égard du savoir, ou de tout ce qui concerne de près ou de loin l’école. Peut-être est-ce le caractère pessimiste de notre peuple me direz-vous.

Mais parlons de mon cas particulier, car c’est la nouvelle mode, apparemment, de parler de soi dans le monde des journalistes, dont je ne serai sans doute jamais. Nul besoin pour moi, donc, de déchirer une quelconque carte. Pratique me direz-vous.

Ainsi, enfant très turbulent pendant mes jeunes années, ma mère me racontait sans cesse cette histoire. Fraîchement débarqué de la maternelle, où mes exploits avaient fait de moi une légende auprès du corps encadrant, je me dirigeais chez les « grands », les « sachant lire ». J’étais devenu le seul chérubin à m’enfuir de l’établissement. On me retrouva assis sur un tabouret en hauteur au café du coin, à quelques centaines de mètres.

J’arrivais donc en cours préparatoire. Dans la salle de classe, Daniel et Valérie me tenant la main, je commençais doucement à ressentir cette appétence pour la lecture à haute voix. Cependant, mon tempérament fougueux n’avait pas disparu. Un matin, attendant de rentrer en classe, un élève m’invective. Je me vois donc dans l’obligation de le pousser du haut de l’escalier. C’est le moment choisi par la maîtresse pour nous intimer l’ordre d’entrer. C’était un flagrant délit.

Je crois qu’elle attendait ce genre de péripétie pour me donner une leçon, consistant ici à me corriger devant tous mes camarades à l’aide d’une « fessée ». Je me souviens avoir beaucoup pleuré.

Cette expérience, une parmi d’autres, quoique brutale, barbare diront certains, m’a appris que certains comportements, même s’ils sont « compréhensibles pour un jeune de mon âge », ne sont pas pour autant admissibles en société. Si ces comportements agressifs, relevant de l’arbitraire affectif le plus absolu, ne sont pas à un moment, circonscris, la société ne pourra pas les envisager une fois les chérubins devenus adultes.

L’exigence de caractère est donc une dimension essentielle de l’école, aujourd’hui en voie de disparition.

N’en finissons pas avec la curiosité

N’en déplaise au patriarche Michel Serres, le Web est devenu une immense digression : on vient pour une bibliographie sur Sartre et on finit par regarder une vidéo sur Youtube.

Aujourd’hui, on a l’impression que l’école leur refuse la curiosité, pire, veut la faire disparaître. Et même si cela peut faire de moi un rabat-joie, vieux con, rabougri de 27 ans, l’émergence de la folie Internet n’a pas fait que du bien à nos élèves. Entre les copier-coller pris sur Google, et les rédactions « wikipédiées », peut-on réellement se dire qu’on découvre, quand on ne fait que survoler ?

Si l’on survole, cela veut dire que l’on ne plonge pas. Pour sentir la chaleur, il faut aller au soleil. Le savoir n’est pas différent. Si l’on veut espérer comprendre la Révolution Française ou la prose d’un Spleen de Paris, on se doit d’aller au-delà de l’article Wikipédia (l’exigence). On peut chercher sans fin sur le Web, faut-il encore savoir ce qu’on cherche. N’en déplaise au patriarche Michel Serres, le Web est devenu une immense digression : on vient pour une bibliographie sur Sartre et on finit par regarder une vidéo sur Youtube.

Durant ma scolarité, j’ai étudié le latin ET le grec (« Vade retro satanas ! »). De ces deux enseignements, je vous l’avoue, je n’ai pas retenu grand-chose, si ce n’est un certain amour de la langue française, de la culture latine et grecque, de notre culture, notre civilisation. Ça n’est pas rien. Cette mythologie, où les Hommes se confondent avec les dieux, ces histoires extraordinaires, ce Dionysos, sorti de la cuisse d’un Zeus coureur de jupons. Les douze travaux d’Hercules, l’Odyssée d’Homère, le Triumvirat, tant de mots qui évoquent pour beaucoup le prestige d’une époque majestueuse.

Majestueux, aussi, sont les monuments du génie français qui ont écrit à son sujet. On ne peut que vous recommander l’ouvrage de Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, qui a ouvert la voie à l’étude historique de l’Antiquité, dans un chef d’œuvre de style et de subtilité. Pour cela, je remercie mes professeurs de latin et de grec. Ils ont été des guides providentiels d’une fabuleuse aventure,  mobilisant leur autorité de créateurs de possible, d’historiens formidables. Ils ont contribué à forger en moi un appétit pour les histoires. Évidemment, certains esprits étriqués pourraient reprocher à cette époque antique d’être trop entachée de merveilleux. Sans doute n’ont-ils pas tort. Reste qu’elle m’a permis de rêver, de m’évader vers des contrées exotiques.

Finalement, personne ne sait vraiment ce dont sera fait l’avenir de nos enfants, peut-être que je me trompe en disant qu’ils ont perdu en singularité, en exigence. Pour l’instant en tout cas, devant les ravisseurs de savoir, nous sommes inquiets de voir une génération entière de jeunes gens chassée aux marges de l’entendement et de l’érudition.

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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