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Depuis le séisme Weinstein et la prise en main de ces enjeux par les « réseaux asociaux », tout a été dit ou presque sur le harcèlement. Nous nous contenterons de réfléchir sur le sujet avec du recul, même si la démarche questionnant la manière d’agir contre le harcèlement sera interprétée comme un encouragement. Comme si le « pour » et le « contre » devenaient les éléments d’une algèbre binaire qui couperait la population en deux factions univoquement déclarées. État des lieux.

Nous assistons depuis une dizaine d’années en France, sous l’influence anglo-saxonne, à la pénalisation des rapports humains. Tout est ramené à l’individu. Il est devenu impossible de sortir de soi. L’écriture inclusive en est un des corollaires. Cette écriture individualise plus qu’elle n’inclut. Ici, c’est le rapport homme/femme qui est sur la sellette. Comme disait Muray, « L’envie de pénal a remplacé l’envie de pénis ». On ne peut que constater la validité de cette acception tant les « porcs » ont poussé comme des champignons sur les écrans de smartphones et autres tablettes numériques des jeunes urbaines.

« On n’évoque ainsi que rarement le cauchemar quotidien vécu par les Égyptiennes au Caire ».

Le tribunal Twitter a donc fait vaciller les plus grands : Dustin Hoffman, Kevin Spacey, Charlie Rose, Louis C.K., John Lasseter. Il a suffi de quelques tweets pour que la sentence tombe, implacable. Si ces agissements restent inadmissibles, les situations doivent être contextualisées pour être comprises. Il nous faut discriminer les comportements dans le temps, l’espace et la circonstance. On n’évoque ainsi que rarement le cauchemar quotidien vécu par les Égyptiennes au Caire. Souvent, ce ne sont pas les hommes que l’on blâme, on présuppose que ce sont les conditions de vie difficiles, leur niveau d’étude qui provoquent ces comportements chez eux. C’est bien connu, seul l’homme occidental est responsable de ses actes.

La robotisation de l’Homme

« Ajoutons à cela les sites qui « match » les profils selon des algorithmes et nous observons sans mot dire que le big data règle à présent la plupart des demandes d’affection« .

Il semble compliqué de penser tous les faits et gestes en fonction d’une doxa sociétale établie par un féminisme conservateur, oxymore fédératif. Ces choses à faire et à ne pas faire, l’homme, s’il parle à une femme, n’y pense pas consciemment. Pas même la femme en question. Dans la vie, personne ne sait vraiment ce qu’il veut. Cela change sans cesse. On ne peut résumer l’existence à un tableau Excel.

Cependant, cette vie a été tellement décortiquée, analysée, optimisée – pour preuve l’essor fulgurant des coachs en séduction – qu’on a déshumanisé les affections humaines. Les lieux de « rencontre » sont devenus des lieux d’affrontement. Ajoutons à cela les sites qui « matchent » les profils selon des algorithmes et nous observons sans mot dire que le big data règle à présent la plupart des demandes d’affection.

L’agitation autour du harcèlement peut être en partie liée à cela. D’une part, on a un refus d’une part grandissante de la population masculine de prendre conscience qu’elle voit la femme uniquement comme un objet de désir. Le harcèlement est une frustration masculine qui voit l’essentialisation des femmes et de leurs comportements, dans une simplification absurde des rapports humains. D’autre part, on observe qu’une partie de la population féminine tend à résumer tout comportement non prédictible à leur égard comme du harcèlement. Pour le dire simplement, un regard, un bonjour un peu suggestif, une déclaration sur la tenue vestimentaire pourront être considérés comme des agressions.

Le harcèlement, résultat d’une société hyper individualisée

La décence n’est plus de mise car la notion d’individualité a pris le dessus, écrasant toute velléité de simplicité sociale collective. On n’envisage plus l’autre.

La société française, et plus largement occidentale s’est fracturée. Il n’y a plus de hiérarchie des valeurs. La décence n’est plus de mise car la notion d’individualité a pris le dessus, écrasant toute velléité de simplicité sociale collective. On n’envisage plus l’autre. On a complexifié à l’envi des rapports humains, cette complexité prenant la forme d’une détérioration pour voir arriver ce type de loi.  Or, outre l’absence de considération dans le dépôt de plainte, la plupart du temps, le viol n’est pas considéré comme un crime, qui serait du ressort des cours d’assise, une grande partie des affaires étant examinée par les tribunaux correctionnels comme des délits. Ne pourrait-on pas commencer par réformer notre système judiciaire pour permettre une véritable sanction des crimes les plus graves ? La France est vue par beaucoup comme un pays permissif : plus il y a de lois, moins elles sont appliquées.

Ainsi, la conséquence logique de cette hystérie est non seulement la banalisation du phénomène mais surtout la dilution d’actes abominables dans une marée de pratiques certes fort désagréables mais qui ne pourraient être mises au même niveau. On noie le poisson.

Or, et nous pouvons l’observer depuis des siècles, la séduction n’est pas une science exacte. Certains comportements qui auraient pu être « corrigés », au sens d’une réprimande bien sentie de la jeune femme concernée, sont maintenant passibles du pénal. Comme toujours en France, on préfère faire intervenir la loi plutôt que de régler les situations par le discussion. Certaines initiatives pourront faire l’objet d’une comparution devant les tribunaux, dans un pays aux traditions diverses.

Ainsi, en France, si par exemple on demande l’heure dans la rue à une femme, il s’agit probablement de « drague ». En Suède ou en Finlande, il est culturellement admis que c’est probablement pour demander l’heure.

En effet, en terme de mœurs, même si cela est en constante évolution, les filles des pays nordiques apparaissent comme plus accessibles. La discussion avec une inconnue peut se dérouler de manière cordiale sans avoir l’impression de déranger. Il est admis que les hommes de ces pays sont moins dragueurs que les latins et qu’en général, ils attendent longtemps de connaître une fille avant de proposer une quelconque relation.

A l’inverse, chez les Français, il y a presque toujours un contexte de drague sous-jacent faisant que, lorsqu’une fille est abordée, l’homme est forcément à considérer comme un partenaire potentiel qu’il faudrait ou pas « recaler ». Ainsi, en France, si par exemple un homme demande l’heure dans la rue à une femme, il s’agit probablement de « drague ». En Suède ou en Finlande, il est culturellement admis que c’est probablement pour demander l’heure.

De ce point de vue, la France ne sait pas vraiment où donner de la tête, coincée entre deux traditions, latine, plus chaleureuse, et nordique, plus austère, avec une forte pression des corps et des esprits franciliens. La vie urbaine a quelque chose d’oppressant, indépendamment du rapport homme/femme. « L’enfer c’est les autres » disait Sartre. Mais on préfère réfléchir en « mème » et en « gif ». Il est fascinant de constater à quel point les démarches de réflexion à travers les outils de communication se sont réduites à des images. L’image domine la pensée. Les campagnes anti-harcèlement souvent donnent l’impression d’un climat de méfiance généralisé.

Harcèlement : jeter le porc avec l’eau du bain

Les nombreuses occurrences ont colonisé l’esprit et construisent une capacité à penser la rencontre à travers un prisme unique. La rencontre devient avant tout une souffrance, un mauvais moment à passer.

Nietzsche disait dans Le gai savoir que « nous ne sommes pas des grenouilles pensantes, des appareils d’objectivation et d’enregistrement sans entrailles, – il nous faut constamment enfanter nos pensées du fond de nos douleurs ». Or cette pénalisation, cette invasion de la loi dans les recoins des mœurs, dans les fissures des murs affectifs, menace de bétonner les rapports humains. Tout deviendra dur, c’est-à-dire sans interprétations ni marge de manœuvre. Un humain réduit à de la mécanique de précision.  

Aussi la question du harcèlement demeure sans réponse définitive, car trop souvent soumise à la contingence.

Le traitement dogmatique d’une situation empiriquement conditionnée reste préoccupant pour l’existence humaine. Une femme approchée par un homme, dans un bar, dans la rue, dans une soirée, dans le métro, aura, en raison de l’emballement médiatique, à sa disposition une grille d’analyse essentielle, celle du harcèlement. Les nombreuses occurrences ont colonisé l’esprit et construisent une capacité à penser la rencontre à travers un prisme unique.

L’homme a une responsabilité, c’est indéniable. Même si nous, hommes, n’avons jamais été confrontés à ce genre de choses, tout le monde a au moins un témoignage en tête d’un comportement atroce à l’égard d’une amie, d’une connaissance, raconté au détour d’une conversation. Mais il y a des infinités de points de vue. Une expérience de harcèlement ne sera pas forcément traumatisante pour l’une, alors que pour une autre, ce sera le début de la fin. La fragilité ne se décrète pas, de même que la solidité d’esprit et de corps. Les hommes ne sont pas tous des cochons, même si Twitter semble jeter le porc avec l’eau du bain.

Plus que la loi, qui paraît être une mauvaise idée, car elle tend à figer des comportements qui restent changeants, sujet à interprétation pour certains d’entre eux, il nous faut discuter, dire les choses. De nouvelles formes de harcèlement amèneront de nouvelles lois, au sein d’un corps législatif à l’embonpoint déjà fort avancé. Lorsqu’on a des déclarations excessives, cela enfantera des lois qui le seront tout autant.

 

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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