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Au cours de la dernière décennie, le buzz a pris le pouvoir. Depuis le début des années 2010, et l’apparition de Meltybuzz, Buzzfeed, et autres 9gag, nous assistons à la fin de l’information pertinente, jugée « ennuyeuse », par opposition à l’information « croustillante ». Après la pirouette Séguela il y a quelques semaines, état des lieux.

On observe que la magnitude de l’information est de moins en moins liée à sa pertinence. Souvent, plus l’info est relayée, moins elle est utile au citoyen pour envisager le monde de plus en plus complexe dans lequel il évolue ; ça devient « viral », donc on valide en conférence de rédaction. L’expression fait d’ailleurs penser à une maladie.

Pour qu’une information soit lue, ou absorbée par le plus grand nombre, faut-il qu’elle soit toujours croustillante ?

On peut définir le buzz comme une espèce d’onomatopée numérique, courte et souvent dénuée de sens, cherchant à imiter le bruit d’un insecte volant, une mouche ou un moustique, la plupart du temps. Il possède une connotation assez négative. Le buzz, facile à lire et comprendre, permet de choquer ses semblables à peu de frais autour d’un menu Big Mac. Pour qu’une information soit lue, absorbée par le plus grand nombre, faut-il qu’elle soit toujours croustillante ?

La prise du pouvoir du buzz

Aujourd’hui, même les quotidiens français dits « de référence » ont cédé à la facilité. Libération, le Figaro ou Le Monde proposent ainsi la vidéo du jour ou la photo buzz, qui provient presque toujours des profondeurs d’Internet. De la bouche de certains pigistes, c’est bien la politique du clic qui prévaut. L’information relève de la gageure. Cette semaine, c’était la vidéo d’un jeune garçon ruinant une toile de maître dans un musée à Taiwan. Pour le Figaro, un lanceur de poids ivre qui règle son taxi avec sa médaille d’or. A sa décharge, il était Polonais. Mais passons. L’info ne sert à rien, elle est néant, dans un état d’inexistence de la chose elle-même par l’absence de contenu informationnel. L’info disparait car son contenu n’est plus en lien avec ce qu’on attend d’une information.

Au moins, avec VICE, on est transparent. On se situe dans l’info sensationnelle et on ne s’en cache pas. On peut reprocher à VICE son approche, mais on ne peut pas dire qu’on est pris au dépourvu. Ainsi, les tueurs en série cannibales côtoient sans broncher les autostoppeurs transsexuels.

En revanche, pour Le Monde, ça sent la fin de règne. Le quotidien est aux abois et recherche sans doute de nouveaux moyens d’augmenter son audience. Ainsi, la fin de non-recevoir de Michel Houellebecq la semaine dernière a fait jaser la rédaction. Devant son refus, jamais avare de réactions vulgaires, Le Monde s’est fendu d’un article relatant ce rejet. Avides de déclarations qu’ils utiliseront à des fins racoleuses, ils ont été remis à leur place par l’écrivain. C’est Ariane Chemin qui a pris la tête de la croisade contre Michel. Si l’on parle de racolage, il est ici nécessaire de rappeler les faits d’arme de la journaliste. La Femme fatale, publié en 2007, avait vu Ségolène Royal porter plainte pour atteinte à la vie privée, Les Strauss-Kahn, publié en 2012, dont le titre se suffit à lui-même. Le seul problème, c’est que Michel sait lire. Il a sans doute eu raison de refuser cette interview.

Et si des auteurs comme Houellebecq éconduisent le quotidien de référence, il se voit obligé de recourir à d’autres manigances pour retrouver un peu d’audience. Le Buzz est là, tapi dans l’ombre, à attendre, et n’a plus qu’à récupérer la mise.

Les funestes conséquences sur les populations

Avant on pouvait faire la différence entre Voici et le Point ou l’Express. Mais quand l’Express devient Voici, la confusion est totale.

Il faut s’interroger sur le public et les conséquences sur celui-ci, notamment les jeunes générations. Au début du XXIème siècle, il fallait se contenter du journal de 20h pour les moins curieux d’entre nous. Les magazines jeunesses étaient là pour les plus curieux. On se souvient de nos parents et de leurs abonnements à Mon quotidien, Okapi, J’aime lire ou Science et vie junior. Tout cela semble bien loin.

Aujourd’hui, Internet écrase tout, avec les réseaux sociaux comme arme de prédilection. Il s’est imposé comme référence ultime. On doit parler du « commun ». Or, le commun semble se résumer à une suite d’informations glauques et sans intérêt. Il n’est en effet pas rare de voir des chapô mentionnant le fait que l’information en question « a ému l’Internet » (sic). Nous sommes donc forcés d’évoquer le sujet. L’ultra démocratie a gagné : l’info pour tous. Si celle-ci est pour tous, elle n’est pour personne, car dénuée de qualité, de rigueur, donc d’effort pour la comprendre de la part du lecteur/internaute. Internet les a rendus ainsi, inaptes à la réflexion. Ainsi, Internet postule que les gens sont idiots et les nourris en conséquence.

L’information pertinente, celle qui aide les gens à faire des choix dans la cité devient une abstraction. Le nivellement du contenu entraîne l’écrasement de l’intérêt général. Il n’y a qu’à regarder la manière avec laquelle sont traités nos hommes et femmes politiques. Pour les jeunes générations, c’est inquiétant. Avant on pouvait faire la différence entre Voici et le Point ou l’Express. Mais quand l’Express devient Voici, la confusion est totale.

L’info pour soi, par soi

Tout est buzz. Dès lors, chacun retrouve son propre chez-soi dans un éloge permanent de la médiocrité.

De cette situation, une subjectivité absolue naît d’une certaine arrogance où seules les informations faciles à ingurgiter sont admissibles. On partait du général pour aller vers le subjectif, et ainsi reconnaître que des gens différents avaient des points communs. C’est à présent l’inverse, l’horizon indépassable est soi-même.

On fait de l’info, non pas pour la recherche de la vérité, mais en vue d’intérêts particuliers, immédiats. On fouille Twitter – décharge à ciel ouvert du net – à la recherche de déclarations faisant le scandale. On n’offre aux yeux du lecteur, spectateur, que sa propre contingence subjective. Il n’y a plus aucune exigence de contenu. Le Lay et son temps de cerveau disponible était un pionnier.

Du fait divers, dont Bourdieu avait dénoncé les effets néfastes, on est passé au Buzz, qui est exponentiel. Tout est buzz. Dès lors, chacun retrouve son propre chez-soi dans un éloge permanent de la médiocrité.

On constate une incapacité à s’élever au sentiment et à la représentation de ce que constitue le monde. Le monde est devenu une suite d’informations sans cohérence. Dans ce maelstrom d’informations indigestes, mais bizarrement si faciles à digérer, ce monde est laid. Mais parce qu’une majorité silencieuse laisse une minorité dépravée et vulgaire les mener.

La fausse république des commentaires

Avec les commentaires, une majorité silencieuse laisse une minorité dépravée et vulgaire les mener.

On finit toujours par ramener l’information à soi, notamment via les fameux « commentaires ». Pire, on finit par s’empoigner. C’est la guerre des commentaires, derrière le confort de son écran. Le paradoxe est que les sites d’information les retirent. Ce qui montre bien que la « démocratie digitale » fonctionne difficilement, sans doute parce-que la majorité des individus qui se livrent à ce passe-temps sont d’éternels insatisfaits. Mais les grands médias tels que Le New York Times ou Bloomberg ont déjà commencé à prendre la mesure du phénomène, avec des stratégies gagnantes. Ainsi Marie Dollé, reponsable stratégie contenu digital chez Kantar Media, parie sur un saut qualificatif des commentaires via une mutualisation des contenus vers un support unique, pouvant permettre une responsabilisation des internautes.

Reste que la route est longue. Ainsi, le jugement demeure trop souvent la première affaire, par le biais de ce commentaire, le fameux bras armé de la démocratie digitale. Effleurant frénétiquement son smartphone, on commente partout, dans le métro, dans son lit, dans sa cuisine, sur tout et n’importe quoi. Il n’y a plus de hiérarchie. La différence entre un avis sur Amazon concernant un aspirateur et la mise en place de la loi Macron s’estompe.

Le pire exemple reste sans doute les matinales des radios françaises. On croit être dans le lieu privilégié du dialogue démocratique : c’est tout l’inverse qui se produit. Entre la lecture de tweets et les appels d’auditeurs, les radios se servent des individus pour faire de l’audience, mettant en scène des oppositions stériles, encore une fois destinées à attirer l’auditeur. Si ces radios prétendent que ce procédé visant à donner son avis sur tout et n’importe quoi rapproche les individus, cela montre qu’ils n’en ont jamais été aussi éloignés. On en vient à regretter le Schmilblic de Guy Lux.

Les velléités des grands médias de laisser l’homme de la rue s’exprimer semblent incomplètes et peu crédibles, tant l’époque est au survol des contenus plus qu’à leur réelle compréhension. Il faut redonner au citoyen les moyens de réfléchir, de saisir les enjeux de ce monde qui, bien souvent, se passe de commentaires.


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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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