Il y a presque deux ans que j’ai écrit, dans cette revue, le début d’une rencontre imaginaire avec mon illustre modèle, Paul Léautaud.
Je n’ai jamais pris le temps de poursuivre la discussion entamée ce jour-là avec l’écrivain de Fontenay. Mais j’avais envie de la poursuivre avec vous, chers lecteurs. Je vais donc consacrer deux livraisons de ma gazette à vous raconter la vie de ce petit écrivain, amoureux des bêtes. C’est peut-être le seul point commun qu’il ait, d’ailleurs, avec un auguste Emile Zola !
Commençons par les présentations. Paul Léautaud est né à Paris en 1872. Il vient d’un milieu d’artistes puisque son père, Firmin Léautaud, exerce le métier de souffleur à la Comédie Française. Ce coureur de jupons – c’est ainsi que le présente Léautaud – fréquentait ainsi de nombreuses actrices et la mère de Paul Léautaud, une certaine Jeanne Forestier, était une d’entre elles. Elle abandonnera d’ailleurs le père et le fils quelques mois après la naissance de ce dernier pour épouser un riche marchand suisse. Paul Léautaud, âgé d’une vingtaine d’années, essaiera de reprendre contact avec sa mère, mais les liens, ambigus, se distendront très vite pour laisser place à l’oubli. Sans rentrer dans de vaines considérations psychanalytiques, il y a fort à parier que la solitude du petit garçon a fortement influencé le caractère de l’adulte qui éprouvera toujours une méfiance vis-à-vis des hommes et qui comblera son besoin d’amour par l’accueil des bêtes abandonnées, car si Léautaud fut abandonné par sa mère, il le fut aussi par son père, qui se préoccupait davantage de ses conquêtes féminines que de l’éducation du petit Paul. C’est sa bonne, Marie Pezé, la seule femme que Léautaud ait véritablement aimée, qui s’occupera de son éducation, l’emmenant dans sa piaule, au sixième étage de la maison, lorsque Firmin Léautaud revenait le soir avec une nouvelle « maman ».
Comme tous les jeunes gens de son âge, il rêve et écrit.
Il quitte l’école communale après son certificat d’étude et commence à travailler dans une étude de notaires comme clerc. Il partage une petite chambre du quartier latin avec un compagnon d’infortune, le futur écrivain Adolphe Van Bever, co-auteur d’une anthologie, Les poètes d’aujourd’hui. Comme tous les jeunes gens de son âge, il rêve et écrit. Un de ses textes est publié dans l’illustre revue du Mercure de France, installée dans le 6e arrondissement de Paris et tenue par l’inoxydable Alfred Vallette. Paul Léautaud donnera quelques textes à cette revue, tout en continuant à travailler comme clerc de notaire. Il connaîtra la misère à cette époque car ses faibles revenus lui permettent bien rarement de manger à sa faim. Sa situation s’améliore un peu lorsque Vallette lui propose de prendre la critique théâtrale. C’est le début d’une longue et régulière collaboration avec le Mercure. En 1908, Léautaud quitte son emploi de clerc de notaire pour entrer comme employé au Mercure de France au service des abonnements. Il aura désormais une double casquette : critique théâtral et employé ! Il verra ainsi défiler dans son bureau toute la vie littéraire de l’époque, ce qui donnera naissance à son énorme Journal littéraire qui fourmille d’anecdotes toutes plus amusantes les unes que les autres car certains écrivains, ignorant que ce modeste employé assis dans un coin de la rédaction est le redoutable critique que tout le monde craint, se livrent sans détour à ce petit homme à l’air espiègle et innocent.
Paul Léautaud, pourtant parisien de naissance, a très vite abandonné l’idée de vivre dans la capitale. La raison en est double : premièrement il ne supporte plus le bruit et l’agitation ; il ne supporte plus d’entendre en permanence ses voisins crier ou jouer du piano. Mais, par-dessus tout, il éprouve le besoin d’être entouré de bêtes, lui qui a vécu chez son père avec une dizaine de chiens. Il se plaint sans arrêt du manque de place et il ira même jusqu’à louer un appartement en rez-de-chaussée pour pouvoir passer par la fenêtre, lorsqu’il ramène un chien errant, afin que la concierge ne le voie pas rentrer dans l’immeuble avec une nouvelle bestiole. Il n’aura d’ailleurs à cette époque qu’un chat, Boule dont je vous reparlerai dans une prochaine livraison de la Gazette.
Il déménage, autour de 1911, dans une ville de la banlieue parisienne, Fontenay-aux-Roses, alors desservie par le train, car il doit se rendre tous les matins à son bureau du Mercure. Il loue une vaste maison entourée d’un jardin qui va devenir, petit-à-petit, le domaine de tous les animaux que Léautaud recueillera dans différents endroits de Paris. Et ce jardin deviendra aussi leur cimetière, puisque Léautaud enterrera toutes ses bêtes dans cet espace. Quant à la maison, elle deviendra le domaine et le terrain de jeu des bêtes qui y vaquaient à leur gré…