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Durant les chaudes heures de l’été 2017 Sylvain Tesson a offert sa parole aux auditeurs de France Inter. Un été avec Homère est devenu un livre aux Éditions des Équateurs.

Sylvain Tesson est un fils de, mais alors qu’il n’a pas cinquante ans, il parvient à se faire un prénom. L’écrivain voyageur le plus libre de notre pays hérite aussi d’Homère tant il permet à ses lecteurs de saisir toute la complexité des deux épopées antiques. Le poète est la source de tout et Tesson, l’aède contemporain, nous chante les forces et les faiblesses des héros. L’aède aère la civilisation actuelle en mettant en avant toute l’épaisseur des œuvres d’Homère. Tout y est : source, graines, semailles. Tout éclot simplement grâce au ravivage de la flamme. Sylvain Tesson est un enflammé qui prouve que l’Odyssée  et l’Iliade contiennent l’ensemble de l’être humain : l’origine, le divers, l’héroïsme, l’introspection. Notre temps apparaît  bien sombre et suspicieux  ; « Bientôt les spécialistes de l’Antiquité se demanderont si Homère était un écrivain transgenre » (p.21). 

« Si ce livre permet de rappeler que l’auteur de l’Odyssée est encore lu aujourd’hui et qu’il le sera encore dans mille ans, Sylvain Tesson aura réussi son office. »

La dernière réforme du collège a mis un petit coup d’arrêt à l’enseignement des langues antiques. Dès lors, des chapitres de latin ont fait leur apparition dans les manuels de français. L’ouvrage de Sylvain Tesson cherche avant tout à mettre en avant la nécessité de la connaissance de ces deux épopées à notre époque. « Ce que disent Achille, Hector et Ulysse nous éclaire davantage que les analyses des experts, ces techniciens de l’incompréhensible qui masquent leur ignorance dans le brouillard de la complexité ». (p. 117). Notre temps est au transhumanisme, à l’antispécisme, au cisgenre. « Homère lui, se contente d’exhumer les invariants de l’âme » (p. 117). Si ce livre permet de rappeler que l’auteur de l’Odyssée  est encore lu aujourd’hui et qu’il le sera encore dans mille ans, Sylvain Tesson aura réussi son office. 

« Puisque Homère est à la source de notre culture, il convient d’y puiser des guides pour les temps à venir. »

Les deux poèmes homériques sont à l’origine des « Nous » occidentaux. Si les peuples de l’Europe, entendons par là celle qui va de l’Atlantique jusqu’à l’Oural, ont un point commun : il se nomme Homère, était aveugle et presque intégralement à la source de notre culture partagée. Tesson s’ajoute à la longue liste des quelques auteurs, qu’il cite, ayant porté un intérêt au poète : Platon, Virgile, Marcel Conche, Racine ou encore Mary Shelley. Du côté de l’Oural la filiation entre Homère et Tolstoï a été mis en avant par Georges Steiner. Ainsi, puisque Homère est à la source de notre culture, il convient d’y puiser des guides pour les temps à venir. Dans son chapitre « Aimer les îles », Sylvain Tesson développe l’enseignement qu’il perçoit dans la géographie îlienne. Les nombreuses îles que visitent Ulysse et ses camarades sur la route d’Ithaque ne sont pas liées, elles co-existent. « Les îles ne communiquent pas {…}. La diversité impose que chacun conserve sa singularité. Maintenez la distance si vous tenez à le survie du divers ! ». (p. 42). 

« Pour ne pas se dissoudre, chaque culture doit conserver sa singularité.  Homère pourrait difficilement être plus actuel. »

Il s’agit d’ailleurs d’un enseignement similaire à celui qu’avait  mis en avant Claude Levi Strauss  dans Race et Culture en 1971 « Pour développer des différences, pour que les seuils permettant de distinguer une culture des voisines deviennent suffisamment tranchés, les conditions sont grosso modo les mêmes que celles qui favorisent la différenciation biologique entre les populations : isolement relatif pendant un temps prolongé, échanges limités, qu’ils soient d’ordre culturels ou génétiques. » Pour ne pas se dissoudre, chaque culture doit conserver sa singularité.  Homère pourrait difficilement être plus actuel. Aussi, Sylvain Tesson présente les deux poèmes grecs comme des guides pour l’existence de l’homme. Ulysse, dans L’Odyssée, ou les héros Achille, Hector et les autres dans L’Iliade,  ne perdent jamais de vu l’éthique épique : « Le principal danger consiste à oublier son but, à se déprendre de soi-même(…) Se renier, indignité suprème » (p. 78). Le personnage homérique sait qui il est, d’où il vient et ou il va. Ainsi, ce qui a des racines, « ce qui est planté ne ment pas ». (p.114). 

Sylvain Tesson, le maître d’œuvres

L’émission de radio à l’origine de ce petit livre  est parfois intéressante mais souvent prétentieuse et manquant cruellement de naturel. Les précédents intervenants, sur Victor Hugo, sur Montaigne ou sur Machiavel ont alterné entre leçons dogmatiques dignes d’un cours d’université et lectures de fiches préparées par des spécialistes. Sylvain Tesson est le premier véritable auteur de littérature à s’emparer de cette émission, et cela se ressent. Bien sûr, l’auteur de Sur les chemins noirs,  et de Berezina n’est pas un spécialiste  ni d’Homère, ni de l’Antiquité. Cependant, sa sensibilité au monde est assez développée pour comprendre véritablement le voyage d’Ulysse ou les combats sur la plaine de Troie.

« La puissance d’Homère est remise en avant par la beauté de la langue de Tesson. »

L’Iliade et l’Odyssée chantent l’héroïsme et le dépassement (p. 121). L’héroïsme et le dépassement ne sont-ils pas dans une mesure différente deux des ingrédients les plus importants de la vie de Sylvain Tesson ? Notre époque de spécialistes s’endort bien souvent dans les débats vains et inutiles, plutôt que dans la lecture de la substance des œuvres. Tesson traitant d’Homère, quoi de plus naturel après tout ! L’émission de radio et les textes écrits pour cette occasion furent d’une grande qualité. La transformation de ces chroniques orales en textes écrits pour ce livre donne une épaisseur supplémentaire au sujet : la puissance d’Homère est remise en avant par la beauté de la langue de Tesson. Il ne s’agit pas du premier historien venu mais bien de l’un des auteurs les plus importants de la littérature française actuelle. Enfin, les Éditions des Équateurs font encore une fois un travail formidable pour transformer ce petit opuscule en succès de librairie. Le papier brille par sa qualité, le choix des polices est original et l’utilisation de la couleur  lors de l’impression nous rappelle que la littérature est aussi une affaire de beauté. Quand un livre bien écrit est bien édité, pourquoi bouder son plaisir ?

Qu’à cela ne tienne, nous allons relire l’Odyssée. 

 

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Christophe Berurier

Christophe Berurier est professeur. Il aime les mots et le vélo.

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