Ces réflexions sont appuyées notamment sur la lecture des ouvrages de Christophe Guilluy (Fractures françaises, Flammarion, coll. Champs Essais, 2013 ; La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires, Flammarion, 2014), Philippe Nemo (La France aveuglée par le socialisme, Texquis, 2014), François-Xavier Bellamy (Les déshérités ou l’urgence de transmettre, Plon, 2014), Laurent Bouvet (L’insécurité culturelle, Fayard, 2015) et Laurent Obertone (La France Big Brother, Ring, 2015).
« Qu’est ce que la France de 1840 ? Un pays exclusivement occupé d’intérêts matériels, sans patriotisme, sans conscience, où le pouvoir est sans force, où l’élection, fruit du libre-arbitre et de la liberté politique, n’élève que des médiocrités, où la force brutale est devenue nécessaire contre les violences populaires, et où la discussion, étendue aux moindre choses, étouffe toute action du corps politique ; où l’argent domine toute les questions, et où l’individualisme, produit horrible de la division à l’infini des héritages qui supprime la famille, dévorera tout, même la nation, que l’égoïsme livrera quelque jour à l’invasion. » – Honoré de Balzac.
Le constat de Balzac est criant d’actualité. Remplacez 1840 par 2015, vous le vérifierez, c’est surprenant ! Depuis la mort de Pompidou, l’abstention ne cesse de progresser, à de rares exceptions près. Avec la révolution libérale des années 1980, consécutive aux chocs pétroliers et consacrée par la chute du bloc communiste, puis avec la révolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC : téléphonie mobile, Internet, réseaux dits sociaux…), la réalité du pouvoir en Occident semble passée entre les mains libres de tout contrôle démocratique des magnats de la finance et des NTIC.
Sur le plan social, la France et les Français sont constamment criminalisés, réduits à la colonisation et à Vichy, donc forcément coupables, devant se repentir et réparer.
Sur le plan politique, la France s’est métamorphosée : avec la signature du Traité de Maastricht (1992), elle est passée du statut d’État-Nation souverain à celui d’État soumis au marché souverain mondialisé. La structure technocratique de l’Union Européenne apparaît à la France périphérique majoritaire (Christophe Guilluy) comme un ogre de contraintes administratives, économiques ou environnementales à cent lieues de la réalité et de leurs préoccupations quotidiennes, au service exclusif de ses grands groupes industriels et financiers. La négation de la souveraineté du peuple français est consacrée par le Parlement qui entérine par le Traité de Lisbonne (2009) le Traité constitutionnel rejeté par une majorité de Français lors du référendum de 2005. Dès lors, le peu de confiance qui subsistait envers les élus et la politique s’est brisé, accentué par une dépression économique liées aux fautes, voire aux fraudes des banques sauvées – et même, semble-t-il, enrichies pour certaines – grâce à l’impôt.
De la France criminelle au pédagogisme
Sur le plan social, la France et les Français sont constamment criminalisés, réduits à la colonisation et à Vichy, donc forcément coupables, devant se repentir et réparer. Cette faute morale, politique et historique est rendue possible par la dégradation de l’enseignement sous l’impulsion de la gauche (mais jamais remis en question par une droite victime consentante d’un gramscisme bien compris de ses adversaires). Les méthodes dites pédagogistes (globale et semi-globale) sont manifestement une catastrophe, de véritables usines à dyslexiques. De plus en plus d’enfants ne savent pas lire correctement, ils déchiffrent à peine, quand ils le peuvent (voir classement PISA et les autres).
La conséquence politique de cela est le délitement du peuple français qui se reconnaît de moins en moins dans une Nation à laquelle toute une frange de la population refuse d’appartenir.
La diabolisation voulue et pratiquée de la transmission (cf Bellamy), c’est-à-dire du maintien d’une hiérarchie entre l’enseignant et l’apprenant, a conduit à ce système de non-éducation ridicule dans lequel l’enfant doit découvrir par lui-même, alors que son cerveau n’est pas encore formé, et qu’il n’a acquis ni la culture ni l’expérience nécessaire à cette appréhension du monde par lui-même. Ces générations sacrifiées sur l’autel de la connerie rousseauisto-bourdieusienne deviennent in fine des citoyens atrophiés, qui ne disposent pas des éléments de culture et de compréhension indispensables au plein et libre exercice de leurs droits politiques. Et ceci est le résultat d’une politique voulue et assumée par ceux qui encore aujourd’hui tiennent l’Éducation nationale (cf Philippe Nemo). Pour vous en convaincre, jetez un œil sur les propositions de Madame Najat Vallaud-Belkacem, actuelle titulaire du fauteuil de la rue de Grenelle. La conséquence politique de cela est le délitement du peuple français qui se reconnaît de moins en moins dans une Nation à laquelle toute une frange de la population refuse d’appartenir.
Bien d’autres raisons expliquent la crise de confiance en France actuellement, mais elles nous apparaissent consécutives à celles que nous avons rapidement évoquées. Face à ces constatations, la question de la pertinence du suffrage universel direct se pose. La permanence d’une (très) forte abstention délégitime de facto les scrutins qui n’ont plus de représentatifs que le nom. Le corps électoral n’a par ailleurs pas, ou alors très marginalement, de prise démocratique sur les grandes décisions économiques et financières qui impactent le quotidien et les choix politiques de l’UE, retranscrits en droit français par la suite. Enfin, la destruction du savoir et des capacités d’analyse des jeunes générations soulève le problème de l’aptitude à exercer le vote en connaissance de cause, libre de toute manipulation ou démagogie. Dans ce cadre, le suffrage universel direct apparaît comme une survivance, une scorie de ce qui fut une démocratie de fait, et qui n’est plus qu’une démocratie de papier. Les risques : primo, une confiscation de la politique par les élites (économiques, financières, énarques…) via le rétablissement d’un suffrage censitaire fondé sur les compétences (peu probable, nous ne l’imaginons pas en France) ; secundo, le ras-le-bol se fera sentir dans la rue, comme cela a déjà commencé avec le mouvement des Bonnets rouges, ce qui peut se traduire par une multiplication des contestations sociales plus ou moins virulentes, ou par une révolte violente ; tertio, l’arrivée au pouvoir légalement par les urnes de formations politiques dites populistes, et ici le plus probable est une victoire dans une élection majeure du Front national dans un avenir relativement proche si aucun réveil démocratique (remettre de la démocratie dans les rouages de la République et de l’Europe) n’intervient.
En conclusion, nous nous permettons de suggérer quelques axes de réflexion pour sortir la France du marasme démocratique dans lequel elle s’enfonce jour après jour, et redonner au suffrage universel direct, la moins mauvaise des solutions à nos yeux, ses lettres de noblesse.
Imposer le respect de l’intérêt général et de la volonté du peuple issue des urnes au domaine économique est une impérieuse nécessité.
D’abord sur le plan de l’enseignement : revenir aux Humanités pour former des citoyens libres. L’éducation revenant à la famille, la fonction essentielle de l’école, son devoir, est de réapprendre à lire, écrire et compter ; développer la culture générale dès le plus jeune âge, de manière adaptée : Littérature, Histoire, géographie, philosophie, sciences, arts… et développer les capacités d’analyse et exercer le libre-arbitre.
Ensuite, clarifier le cadre de l’exercice de la démocratie en ne conservant que 4 échelons : un échelon local, un intermédiaire, l’État et l’Union Européenne (économie et gain d’efficacité sur le mille-feuille administratif actuel) ; en définissant précisément les compétences de chaque échelon de sorte qu’il n’y ait pas de doublons ; en imposant aux élus et aux administrations le respect de la volonté du peuple issue des urnes ; et en restreignant la fonction publique aux seules fonctions régaliennes, le reste étant contrats de droit privé avec mission de service public.
Enfin, redonner un cadre humain à l’économie en constatant avec Tocqueville que le libéralisme n’est pas la loi de la jungle. Imposer le respect de l’intérêt général et de la volonté du peuple issue des urnes au domaine économique est une impérieuse nécessité (il n’y a aucune raison qu’il échappe au contrôle démocratique), de même que d’imposer le respect des personnes et de la hiérarchie des mérites. Dans ce cadre, une liberté économique totale semble efficiente.
À ces conditions, l’institution démocratique, en danger d’être confisquée par les élites économiques et financières bien plus que par un retour hypothétique des années 1930 (auquel par ailleurs nous ne croyons pas), pourrait reprendre du poil de la bête et être pérennisée.