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A travers une biographie exceptionnelle d’émotion et de détails aussi savoureux qu’étonnants, Fred Hermel revient sur dix-huit années de conversations, de confidences et d’entretiens avec celui qui est et restera le plus grand joueur de l’histoire du football français et probablement du monde entier. Un Zidane tantôt déconcertant, souvent étonnant et toujours aussi attachant qui demeure un monument unique de l’histoire de notre pays.

Dans un texte consacré à saint Augustin, l’historien de la philosophie Lucien Jerphagnon déclare : « Tout hagiographe a dans son cœur un Alexandre Dumas qui sommeille ». Le livre de Fred Hermel comporte bel et bien les signes d’une hagiographie puisqu’il s’agit de revenir sur la vie et l’ascension de l’idole de tout un pays jusqu’au sommet du monde. Un homme devenu santo subito après deux coups de boule dans les cages de Claudio Taffarel un soir de juillet 1998, alors que la France ressemblait encore à un pays uni, sous les regards bienveillants d’un Jacques Chirac cohabitant avec Lionel Jospin. La vie de Zidane aurait aussi pu être contée par l’auteur du Comte de Monte-Cristo pour décrire l’épopée du chevalier au fier panache qui a conquis la France, l’Italie, l’Espagne, l’Europe et le sommet du monde footballistique, entouré de ses fidèles mousquetaires prêts à tout en vertu du serment d’allégeance qu’ils ont prêté.

Fred Hermel, l’homme du cultissime hola chicos dans L’After foot, nous offre un récit à son image : chaleureux, tendre, sincère et honnête. L’homme assume l’admiration pour son sujet, le journaliste ne peut être pris en défaut sur la connaissance de son dossier et l’auteur compose avec ses souvenirs et un style empreint d’une douceur teintée de mélancolie. Hermel n’élude aucune question fâcheuse (argent, famille, caractère) afin de dresser le portrait d’un homme qui a toujours préféré les valeurs et la dignité de ses parents plutôt que les artifices mondains. Il s’étend également sur le troisième coup de boule, celui balancé dans la poitrine de Materazzi lors de la prolongation de la finale de la Coupe du monde 2006, alors que Zizou était au fait de sa gloire. Humain, trop humain aurait écrit Nietzsche. « Une criante revendication à ce droit inaliénable de pouvoir être comme les autres, pétri de défauts et fragilités, sensible et impétueux. Et, finalement, dépourvu et seul face à la provocation haineuse, face au vice calculé », note Fred Hermel.

Zidane. Le mystère Zidane. Si la gloire de 1998, rehaussée par le prestige de l’Euro 2000, le consacre sur l’Olympe du ballon rond, sa sortie en 2006 est toutefois là pour rappeler le tragique de l’existence des héros. Tel Achille, le prétendu guerrier invulnérable, qui après une querelle avec Agamemnon quitte la guerre de Troie, Zidane avait annoncé sa retraite internationale avant de revenir sur le champ de batailles pour offrir un récital entouré de ses Myrmidons. Las, sa faiblesse de mortel ne résidait pas dans le talon mais dans l’acier de son caractère. La poitrine de Marco Materazzi s’en souvient encore. Le seul défaut du livre réside dans l’oubli d’un mot. Un seul. La Grâce. Surtout lorsqu’il est question du mysticisme de Zidane ou de son charisme qui pouvait irradier tout un terrain de football.

Zizou, un roman français

L’auteur n’a de cesse de le rappeler : Zinédine Yazid Zidane est avant tout le fils de Smaïl et Malika. Il est l’enfant d’une famille besogneuse attachée au respect. La simplicité du père, humble collectionneur des articles de journaux sur son fils ou simple monsieur qui venait le voir s’entraîner lorsque ce dernier jouait au Real Madrid, touche le lecteur en plein coeur. La vie et l’oeuvre de Zidane font d’ailleurs mentir Stendhal qui, dans De L’Amour, explique : « On peut tout acquérir dans la solitude, hormis du caractère ». Le génie du numéro 5 légendaire des merengues témoigne de l’inverse.

L’homme qui a fait se soulever des centaines de millions de spectateurs, l’homme qui a fait communier plus d’un million de Français sous son portrait projeté sur l’Arc de Triomphe, l’homme qui a gagné jusqu’au respect d’Alfredo di Stefano, n’aime rien mieux que se cacher des flashs et des pique-assiettes pour protéger la sérénité de sa famille. Quelques analystes ont eu coutume de brocarder les millions gagnés par Zidane, ses contrats mirifiques, ses sponsors. Certains polémistes de seconde zone ont même été jusqu’à l’outrance, dont Christophe Alévêque, « comique » heureusement jeté aux oubliettes de l’humour aujourd’hui. Hermel ne l’épargne d’ailleurs pas : « Alévêque s’affiche comme le meneur d’un mouvement de haine ciblée, dans un pays, la France, où l’argent reste sale. Très sale. Surtout quand c’est un ancien pauvre qui le moissonne ».

« De nos jours, les gens savent le prix de tout mais la valeur de rien », se lamentait déjà Oscar Wilde. Ils ignorent le bonheur que ses roulettes et ses passements de jambes ont apporté à la nation, comme ils ne savent rien des valeurs inculquées au jeune Zinédine alors qu’il usait ses baskets sur les terrains de la Castellane. A de nombreuses reprises, Fred Hermel insiste sur l’attachement de Zidane à la chanson française et, plus largement, aux valeurs républicaines. Les enfants Zidane sont inscrits à l’école française de Madrid, il tenait lui-même à venir les chercher en voiture. Il s’assure lui-même qu’ils ne bénéficient d’aucun passe-droit. Zidane fait son devoir de citoyen lorsqu’il y a des élections et a ému son papa lorsque le Président de la République a accroché la Légion d’honneur au revers de sa veste.

« Il est incroyable que la perspective d’avoir un biographe n’ait fait renoncer personne à avoir une vie », notait Cioran dans ses Syllogismes de l’amertume. Parce qu’il a justement été forgé dans l’humilité et la dignité, Zidane a créé son destin parce qu’il n’a jamais pensé mériter d’être l’objet d’une biographie. Ni d’un documentaire. Ni même d’un film à sa gloire. Il y a toujours le regard bienveillant de Smaïl Zidane qui plane et lui rappelle l’immensité du chemin parcouru : « Le joueur devenu star ne pouvait décevoir son père. En fait, Yazid a toujours cherché à conquérir la fierté de celui que la vie a maltraité et qu’il respecte au plus haut point. Presque maladivement. Modèle définitif de ce que se doit d’être un homme digne de ce nom ». En filigranes, un hommage de Frédéric à son père Daniel Hermel, ce « si jeune pour l’éternité » à la mémoire de qui le livre est dédié.

Parce que derrière la biographie de Zidane, se cache aussi celle de Frédéric Hermel. L’auteur ne prend pas le pas sur le sujet, il délivre simplement quelques clefs pour comprendre son attachement à l’ancien meneur de jeu des Bleus. Hermel est né en 1970, Zidane en 1972. L’un est né à Arras et à grandi à Mercatel, l’autre sous le soleil de Marseille. Frédéric est petit-fils de paysans, Zinédine est fils d’un ouvrier dans le BTP. Les deux connaissent les mains sales des travailleurs, comme ils n’ignorent rien des maux de dos ou de la fatigue des humbles qui jamais n’osent se plaindre : « Pas très loin de chez moi, confie Hermel, dans le nord de la France, une vieille expression populaire dit : ‘J’suis d’Armentières, pauvre mais fier’. Cela fonctionne aussi avec l’accent de Marseille ». Deux hommes droits. Deux sanguins. Deux êtres qui n’ont oublié ni leur milieu ni leurs racines. Deux enfants nés presque en même temps au nord et au sud puis réunis, à Madrid. Deux amoureux de la vie décorés par la République. Le livre est le produit de la rencontre entre un minot et un ch’ti. Il est le fruit de deux destins issus d’une génération pour qui être français était un honneur. Il est, par bien des aspects, un symbole de la France que nous chérirons toujours.

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Zidane, de Frédéric Hermel, éditions Flammarion, 288 p.

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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