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Arturo Schwarz est né à Alexandrie en Egypte le 3 février 1924.

Historien de l’art, essayiste, poète et conférencier, il est l’auteur de travaux importants sur le surréalisme et le dadaïsme. Mais il a également écrit des livres et de nombreux essais sur la Kabbale, l’alchimie tantrique, l’art préhistorique et tribal, art et philosophie de l’Asie.

En 1946, il a été parmi les fondateurs de la section égyptienne de la Quatrième Internationale trotskyste.

Après avoir subi plusieurs arrestations, en mai 1948, il a été transféré de la prison d’Alexandrie Hadra au camp de concentration à Aboukir.

En février 1949, il est expulsé d’Egypte et s’installe en Italie à Milan.

Au mois d’avril 1952, il ouvre une maison d’édition d’arts et publie entre autres des textes de A.Breton, A.Einstein, D .Guerin, M. Nadeau, P. Naville, B.Péret et L.Trotsky.

Il est également libraire et depuis 1954, celle-ci devient une galerie avec les protagonistes du dadaïsme et du surréalisme. Avec les noms les plus importants de l’avant-garde historique : Arp, M.Berman, Brauner, Buchheister, Duchamp, Ernst, Farfa, Golyscheff… Mais il a aussi exposé d’autres artistes d’autres mouvements.

Au cours de l’année 1954, il fait la connaissance à la fois d’André Breton et de Marcel Duchamp.

S’agissant tout particulièrement de Marcel Duchamp, il devient son ami intime et l’un des meilleurs spécialistes de son œuvre.

Ainsi à la sortie de mon livre en 2014 sur les vitraux réalisés par Jacques Villon à la cathédrale de Metz (Les vitraux de Jacques Villon – cathédrale Saint-Etienne de Metz, Ed. des Paraiges) (*), j’ai pu le contacter pour l’informer de mon travail, puisque Jacques Villon – de son vrai nom Gaston Duchamp – est le frère aîné de Marcel Duchamp. (*) http://lenouveaucenacle.fr/jacques-villon-laine-des-duchamp-a-la-cathedrale-de-metz

Ensuite j’ai pu le rencontrer chez lui à Milan le 2 décembre 2014.Cette interview dont je publie quelques extraits pour le Nouveau Cénacle permettra, je l’espère, de rendre encore plus présent et plus proche de nous ce personnage hors norme que fut Marcel Duchamp.

Christian Schmitt (C.S.) :

J’aimerais connaître un peu mieux la personnalité de Marcel Duchamp et comment notamment il vivait sa relation avec ses frères et sœurs dont Suzanne qui semble l’avoir inspiré pour son Grand Verre, La Mariée mise à nu par ses célibataires, même…

Arturo Schwarz  (A.S.):

Mais pas seulement avec Suzanne, il était proche aussi de Jacques (Villon). En fait il était très lié avec l’un et avec l’autre. Avec son frère et sa sœur, il entretenait un lien très fort, je ne parlerai pas d’un sens de la famille, mais plutôt de liens privilégiés.

C.S. : Alors que leur parcours était fort éloigné ?

A.S. : Pas tellement éloigné parce que tous les trois étaient dans le domaine de l’art en dernière analyse.

C.S. : En écrivant mon livre sur les vitraux de Jacques Villon, j’ai découvert qu’il existait au début du XX ° s. deux pôles du cubisme installés sur deux collines, Montmartre d’un côté avec Picasso et Braque et Puteaux de l’autre, avec les frères Duchamp qui avaient une façon différente d’aborder le cubisme.

A.S. : Je crois qu’il y a une très grande différence entre le cubisme et la démarche de Duchamp. En premier lieu, le cubisme voulait être un banc de lecture d’une tradition esthétique. Marcel Duchamp a été beaucoup plus loin, il avait pour ambition l’art même.

C.S. : La rupture a été consommée avec son Nu descendant un escalier.

A.S. : Duchamp a toujours eu une position indépendante, libre de toute attache, d’école. Duchamp était Marcel.

C.S.Marcel était une personne attachante ?

A.S. : Très attachante. Comme personnage, c’était un personnage totalement exceptionnel, très fidèle à ses amitiés, très ouvert et totalement non dogmatique.

Vous pouviez aborder n’importe quel sujet avec lui, il était très ouvert et très encyclopédique.

Très forte connaissance de la vie, des principaux ouvrages de caractère esthétique ou autres.

                                                                                                                                                        schwarz 

C.S. : Les trois frères (Marcel Duchamp, Jacques Villon et Raymond Duchamp-Villon) avaient en commun une vision avant tout cérébrale de l’art.

A.S. : Oui, ils étaient très cultivés.                                                                                                                                                          

C.S. : Mais Jacques était beaucoup plus en retrait, plus discret ?

A.S. : Je l’ai connu également mais il ne m’a pas semblé réservé. Il a poursuivi son propre itinéraire avec la même indépendance que Marcel. Très ouvert avec les personnes qui lui étaient proches.

C.S. : Alors que Marcel a entrepris un parcours qui l’a conduit à révolutionner tout l’art !

A.S. : Il a pris conscience de cela mais n’y attachait aucune importance. Il a poursuivi son propre itinéraire.

C.S. : Avec le recul c’est énorme ce qu’il a apporté : le regardeur qui fait l’art, les ready-mades…?

A.S. : C’est une vraie révolution dans la façon d’imaginer l’art. Il a mis le doute en tout.

C.S. : La première rencontre avec Marcel Duchamp s’est passée quand, au début de votre galerie ?

A.S. : Non pas au départ de ma galerie, cela n’avait rien à voir.

J’allais souvent à New York et lors d’un de mes premiers séjours à NY (en 1954), j’étais allé le voir parce que le personnage m’intéressait énormément, évidemment.

C.S. : Et tout de suite le courant est passé entre lui et vous ?

A.S. : Je pense que oui parce que cela a été le début d’une très grande amitié qui s’est terminée seulement à sa mort en 1968. On continuait à se voir fréquemment quand il était à Paris, en France j’allais le voir à Neuilly où il habitait. Et à New York lorsqu’il était avec Teeny (son épouse depuis 1954 ndlr).

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Marcel Duchamp (à gauche) et Arturo Schwarz (en face, à droite)

C.S. : Parce que vous étiez comme lui un passionné de l’art ? 

A.S. : L’art a toujours fait partie de ma vie. Dès l’âge de 14-15 ans, j’ai toujours été fasciné par l’art et la poésie. Mes premiers poèmes, je les avais publiés lorsque j’avais 17 ans. Le poème « Avant que le coq ne chante » a été publié par Pierre Seghers en 1954.

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C.S. : Vous étiez au départ libraire ?

A.S. : J’ai commencé d’abord comme éditeur et ensuite comme libraire pour appuyer mon travail d’édition et puis c’est tout.

C.S. : Ensuite vous êtes entré en relation avec les surréalistes ?

A.S. : En fait mon aventure avec les surréalistes a débuté lorsque j’avais 18 ans en 1942, Breton était à New York et moi j’étais en Egypte. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à correspondre avec lui. Je suis arrivé en Italie en été 1949 et ensuite j’ai pu me rendre à Paris en 1954, rencontrer Breton.

C.S. : André Breton est devenu également un ami fidèle ?

A.S. : Pour moi les deux personnes qui m’ont le plus influencé et que j’ai pu connaître ont été Breton et Duchamp.

C.S. : Cela explique votre attachement pour la poésie et vos engagements politiques… ?

A.S. : Absolument puisque j’ai fait partie du mouvement surréaliste. Il n’y avait pas de carte de membre mais c’était une affinité élective depuis 1944.

C.S. : Vous étiez un esprit libertaire ?

A.S. : Mais Breton était aussi un libertaire : anti-stalinien et très pro-troskyste. J’ai fondé la IV° Internationale en Italie, j’étais l’un des fondateurs de la section italienne.

                                                                                                                                                            IMG_0341

C.S. : Vous étiez le plus grand galeriste des surréalistes en Italie ? 

A.S. : j’ai été plutôt le porte-parole des surréalistes.

C.S.: Vous aviez une façon de les accompagner qui était bien différente de celle qu’on peut attendre d’un galeriste. Vous étiez très proches d’eux, une relation basée sur la parole donnée et donc pas de contrat écrit, vous éditiez pour eux des brochures et des catalogues de grande qualité pour les faire connaître et toujours dans un but désintéressé. 

A.S. : Moi je faisais partie du groupe surréaliste et donc c’est normal en tant que militant que je fasse le plus possible pour les faire connaître, les artistes et surtout les poètes. Marx Ernst, Brauner…et d’autres qui n’étaient pas surréalistes.

La galerie était très ouverte, j’ai exposé aussi les Nouveaux Réalistes. J’ai donné la toute première exposition Raysse…il n’avait jamais exposé auparavant.

Et pour Arman, c’était seulement sa deuxième exposition (la première exposition avait eu lieu chez Iris Clert en 1958). 

Peut-être aussi qu’il y avait toujours cette affinité élective ? Je n’ai jamais acheté une œuvre d’art dans la perspective de faire un commerce, dans un esprit spéculatif. J’ai toujours acheté des œuvres d’art, exclusivement, celles que j’aimais. 

C.S. : Vous étiez à l’exposition de Beaubourg-Paris sur « Marcel Duchamp, la peinture, même ». Le Grand Verre (*) y était exposé dans la salle 8, mais il s’agit d’une copie, l’original étant toujours à Philadelphie.

A.S. : l’original n’est pas transportable, il est toujours à Philadelphie (parce que brisé). C’est trop dangereux et donc on a fait une réplique. Celle qu’on a exposé à Paris a été réalisée par Ulf Linde de Stockholm. Il y a en tout quatre copies mais la meilleure, c’est celle de Linde à mon avis.

Richard Hamilton a fait également une copie mais qui est détestable. Une copie doit être une  copie mais pas une interprétation. 

Hamilton en a fait une qui est littéralement obscène alors que Ulf Linde a été très fidèle à l’œuvre et à l’esprit de Marcel Duchamp.

(*) voir l’article dans Le Nouveau Cénacle  http://lenouveaucenacle.fr/le-grand-verre-de-marcel-duchamp

(Extraits de l’entretien avec Arturo Schwarz chez lui à Milan le 2 décembre 2014.)

A l’issue cet entretien, Arturo Schwarz m’a remis un recueil de poèmes intitulé : « L’amour à 90 ans », Fondazione Mudina, 3 février 2014. (Voir ci-dessous A.S. me dédicaçant son ouvrage)

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Il s’agit d’un hymne à l’amour pour celui qui à 90 ans, en mars 2014, épousa officiellement Linda qui partage sa vie depuis cinq ans.

La dernière strophe du poème intitulé « Ce que Linda m’a appris. » résume en quelque sorte toute la révélation de sa propre vie (selon ma traduction approximative d’italien en français) :

« dans la contemplation d’être aimé se tient l’unique vérité de l’initiation réciproque . »

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Interview réalisée par Christian Schmitt

www.espacetrevisse.com

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Christian Schmitt

Critique d'art. Auteur de "l'univers de J.L. Trévisse, artiste peintre" (ed. Lelivredart 2008) et de trois autres ouvrages sur les vitraux réalisés par des artistes contemporains aux ed. des Paraiges: Jean Cocteau (2012), Jacques Villon (2014) et Roger Bissière (2016). A retrouver sur : http://www.espacetrevisse.com

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