share on:

Johann Margulies répond à son tour au questionnaire. 

Le mot qui selon toi résume l’année 2017 ?

Simulacres. Ou simulation, au choix, pour les amoureux de Baudrillard. 2017 pour l’observateur taquin n’aura été que la radicalisation de l’expérience simulée de nos vies: prévalence du roman historique pour réchauffer l’histoire que nous n’avons pas vécue et que nous ne vivrons plus jamais (Prix Goncourt et Renaudot), neutralisation de la tragédie en direct de Raqqa sur BFMTV, reportage exceptionnel sur ces ploucs qui votent FN dans le Nord Pas de Calais (peut-être ne sont-ils tout simplement pas humains, doit penser le journaliste qui n’observe jamais sans écran, sans le médium du micro ou de la caméra, ce citoyen de seconde zone qui ose défier le en même temps); réticularité de l’art avec la masse connectée qui afflue à la Gaieté Lyrique pour une exposition sur ces espaces sans vie, hyper-fonctionnels que sont les aéroports, délirium du hub où tout s’échange, tout commute sous le règne de l’équivalence intégrale; ou bien faîtes-vous plaisir avec une exposition en réalité augmentée totalement immergé sur le thèmes des fantômes car « en allant au-delà de la maison hantée et des films d’horreur, la scénographie de l’exposition rend hommage aux fantômes contemporains (« nous autres modernes » ndlr) en créant des lieux multiples, imaginaires ou réels, où ceux-ci pourraient se cacher (ils ne peuvent être qu’imaginaires puisqu’il n’y a plus aucun lieu pour la clandestinité, ndlr) ; simulation de l’indignation généralisée à peu de frais sur les réseaux sociaux et jouissance des malheurs réels mais disposés en face, dans l’écart, sur l’écran total ; jouissance de la souffrance simulée et de la commémoration avec ballons roses face au terrorisme islamiste, marches blanches, simulation motrice de la politique avec En Marche !, la marche des zombies de The Walking Dead ou des marcheurs blancs de Game of Thrones reconstituée grandeur nature à Melbourne, simulation thermodynamique de la congélation de la socialité, métaphysique du mouvement des corps inertes pour remplacer la réalité de nos vies engluées, embourbées, de nos chaires vivantes et chaudes recouvertes par les immondices, niées, auto-profanées par le simulacre radicalisé à sa plus pure substance virtuelle, cristal de représentation diffractée, simulacres devenus haineux et rancuniers jusqu’à vouloir se venger de l’original, du réel, de l’essence de la manifestation, à même le corps dans le transhumanisme qui vient (la Suède a, en 2017, et avec la fierté du retardé mental progressiste, célébré en grandes pompes la première implantation d’une puce électronique sous-cutanée), simulation charnelle, réduction de la chaire au corps, du corps à ses processus biologiques et objectifs, du biologique au cognitif et au cérébral. Voir à ce propos l’obsession de Blanquer pour les sciences cognitives dans l’éducation et la folle objectivation de l’enfance par Cécile Alvarez nourrie au biberon par les recherches du neuro-scientifique Stanislas Dehaene: « un algorithme d’apprentissage extrêmement puissant est à l’oeuvre dans le cerveau de l’enfant particulièrement dans les très jeunes années » dépolitisant les enjeux d’éducation et réduisant l’enfant à un maëlstrom de processus métaboliques à stimuler le plus tôt possible, de circuits imprimés à connecter, objectiver le parcours de l’enfant, pour en faire un parcours unique pour tous, un parcours logique, pré-mâché, calqué sur un code, une algorithmique neuronale optimisée pour enfant indéterminé  – les Règles pour le parc des petits humains version 2018 sont une simulation scientiste de l’Ecole Républicaine, la paideia grecque fait figure de fossile. Réduction au génétique également avec l’extension du domaine thérapeutique de la PMA à la production technique de bébés, parfois de parents indéterminés – annihilitation de la dialectique sexuelle dans le simulacre de parent 1/parent 2; hyper-réduction de l’érotisme à la sexualité hyper-objective avec la commercialisation des premiers sex-robots ; happening sado-masochiste où des militants se font marquer au fer rouge et maltraiter pour sensibiliser à la cause de la souffrance des bêtes qui, elles, ne peuvent pas libérer la parole car il n’y pas encore eu de Mai 68 des animaux. Last but not least, entendre à une conférence sur le numérique que « Le Code, c’est la Loi », fantastique préfiguration de la simulation algorithmique de la société envers elle-même, qui prend pour modèle l’enchaînement de commandes (contrôle social, voir l’annonce en fanfare de la notation algorithmique des citoyens en Chine), de IF THEN ELSE (logicisation de la socialité pour évacuer l’angoisse autrement qu’avec des anxiolytiques), de processus autonome pré-calibré, pré-testé pour épouser la totalité de la socialité et par elle, la totalité des expériences vécues et de la vie, dans un premier temps ces expériences se limitant aux discussions du SAV de Deliveroo.  Métaphysique de la valeur prolongée grâce à la création des data, agrégats condensés de nos subjectivités vivantes, qui valent, effectivement, pour autant que le référentiel des valeurs est la vie. Le but inavoué du modèle algorithmique de cette simulation est d’éliminer la vie, radicalement.

L’évènement de 2017 ?

L’interview de Nemo le chien du couple présidentiel par Paris Match: « J’entends souvent dire que le président est comme un gosse avec moi. Et c’est vrai. Notre relation est fusionnelle (…) Emmanuel m’a baptisé Nemo, année des « N » oblige. C’est aussi un clin d’oeil au héros de Jules Verne, l’écrivain qui vécut et s’éteignit à Amiens, cette ville chère au Président« . Archétype radicalisé de l’hyper-évènement devenu l’anti-évènement, simuler l’interview d’un chien, « nemo » en latin signifie « personne, pas une personne, méprisable en tant que dénué de valeur humaine ». Objectif: proposer un simulacre de journalisme, effectivement sans valeur, ou plutôt où la valeur a été dissuadée d’émerger, modèle nucléaire du journalisme et du code viral de diffusion sur internet, plus c’est simulé, plus l’orgasme se vautre à plat ventre.

Ton meilleur livre lu cette année ?

L’écriture ou la vie, de Jorge Semprun pour la Littérature et Incarnation, une philosophie de la Chair de Michel Henry, la phénoménologie radicale et originaire, tentant la description de l’essence de la manifestation dans notre chaire et de sa venue au monde dans l’incarnation qui nous précède, une philosophie pensée comme passion de la vie et voulue comme le contrepied de la phénoménologie historique de Husserl, Heiddeger, une philosophie radicale seule à même de contrer le simulacre vengeur et la barbarie post-moderne.

Le meilleur film de l’année ?

Dans les forêts de Sibérie, de Safy Nebbou (2016) ; ou bien Le Mal de pierre de Nicole Garcia (2016).

L’émission radiophonique de l’année ?

« Les chemins de la philosophies » sur France Culture.

L’album le plus écouté cette année ?

La bande originale du film Dans les forêts de Sibérie de Ibrahim Maalouf.

La personnalité de l’année ?

Donald Trump.

Le mensonge de l’année ?

Que la maladie était tristesse, souffrance, angoisse, fondamentalement. Elle peut l’être, mais comme tout un chacun peut être en colère ou joyeux sans que cela ne le définisse principiellement. Aller jusqu’au bout de la maladie, se débattre avec le poids de soi sur soi, avaler l’absurde de la condition incarnée, quel est ce corps qui est le mien, qui se révèle à moi dans la douleur permanente et l’inconfort, dans le dysfonctionnement et la limitation, dans le pathos d’une matière impressionnelle qui m’apparaît si hétérogène à l’esprit ? Au fond, la maladie est l’expérience ontologique par excellence, elle accule à l’essence de la réalité, tantôt souffrante, tantôt jouissante, d’un « Je suis dans la Chaire » ou « Il me semble que je souffre » qu’aurait très bien pu énoncé Descartes. La maladie est prosélyte; elle convertit ses victimes à la joie, la force et la liberté.

L’article que tu as préféré écrire pour le Nouveau Cénacle ?

Pour une immunologie de notre temps, protégez-vous !

L’article que tu as préféré lire sur le Nouveau Cénacle ?

Essai d’une typologie des trois lectures possibles, de Julien Leclercq.

L’article que tu aurais aimé écrire sur le Nouveau Cénacle ?

La conversion du simulacre dans la Chair, qui réfléchirait à l’application de la phénoménologie de la vie de Henry, digne successeur de Nietzsche, pour défier le système nihiliste, autrement et de façon plus aisée que la mort et le suicide.

 

Johann Margulies

Johann Margulies

30 ans, ingénieur nucléaire passé par Sciences Po, écrivain, consultant et professeur. Obsédé par l'écologie et Jung, ne s'endort jamais sans Nietzsche. Blog personnel: www.mindyness.com

Laisser un message