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Depuis quelques jours, la liberté d’expression est de nouveau sous les projecteurs. Après l’épisode estival du burkini, nous avons deux évènements concomitants se produisant sous nos yeux ébahis. Un gloubiboulga dont seule notre société médiatique est capable. Au centre de tout cela, l’inénarrable liberté d’expression. Voltaire a (encore) sorti sa sulfateuse et arrose tout ce qui bouge.

Nous avons d’un côté une effervescence autour de l’IVG provoquée en partie par le retour en grâce de la « Manif pour tous », qui a trouvé en Fillon un nouveau guide, lui qui n’avait rien demandé. Le triangle d’or avait choisi son héros. De l’autre, un film d’animation américain potache – pot-au-feu diront certains – mettant en scène des légumes et autres condiments. La machine à comédies outre-Atlantique graveleuses fonctionne à plein. Le terme sausage party signifie un regroupement amical, appelons cela une soirée, exclusivement composé d’hommes. Le terme saucisse y fait référence de manière assez explicite.

La liberté d’expression comme nouvelle forme d’intolérance

Ainsi, nos députés se sont emparés du sujet, ce qui est tout sauf une bonne nouvelle. Un projet de loi est actuellement débattu, visant à étendre le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse aux sites internet diffusant de fausses informations sur l’avortement. Outre le fait que notre foi en l’intelligence de l’Homme est à nouveau mise à mal, ce qui frappe, c’est l’utilisation du concept de liberté en fonction de son agenda politique. Que les choses soient claires : la liberté d’expression doit être absolue, sans entrave pour reprendre les mots des adversaires des grenouilles de bénitiers.

Si on essaie de réfléchir, une catholique pratiquante n’avortera jamais, avec ou sans le concours de ces sites. Ils ne pèseront guère dans son choix. Ils vont tout au plus renforcer une décision déjà prise en amont de leur consultation.

La liberté d’expression n’est pas négociable. Or, on se rend compte que pour certains, elle est à géométrie variable. Il doit être ainsi mentionné que l’idée d’une loi visant à empêcher des sites internet de déconseiller aux jeunes femmes d’avorter est liberticide. En effet, chacun a le droit d’exprimer ses vues. Chacun a le droit d’être influencé par des discours, des points de vue. Sans cela, nous vivrions dans un monde fade et spirituellement moribond.

C’est une tout autre chose de dire que si le discours ne vous plaît pas, on va tout simplement le mettre sous le coup de la loi.

En 1994, le Conseil Constitutionnel disposait que cette liberté est fondamentale, « d’autant plus précieuse que son existence est une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés ». La liberté d’expression est le socle d’une société libre. Par ailleurs, il faut bien voir que les « intégristes catholiques » selon le terme médiatiquement consacré, ne sont pas légions. Dans la configuration actuelle, et si on essaie de réfléchir, une catholique pratiquante n’avortera jamais, avec ou sans le concours de ces sites. Ces sites ne vont pas peser dans son choix. Ils vont tout au plus renforcer une décision déjà prise en amont de leur consultation.

Ainsi, on peut conseiller aux gens d’avorter en empêchant les opposants d’exprimer leur désaccord, mais on n’a pas le droit d’attaquer un film, qui n’est certes pas un chef-d’œuvre, qui est vulgaire, lourdingue, sous prétexte qu’il y a une scène d’orgie avec des fruits et légumes. Ce film et ce « délit d’entrave numérique » sont encore l’occasion pour les deux factions de s’opposer : les tradis contre les progressistes, une véritable saga en 25 tomes.

Les témoignages qu’on peut lire sur la toile nous montrent surtout une réaction affolée des parents. Les bambins eux ne savent pas trop ce qu’il se passait. Moi-même, allant souvent au cinéma, j’ai vu quelques jeunes enfants s’y engouffrer avec leurs parents. Certains sont sortis au bout de 20 minutes, devant la vulgarité des propos tenus par les aliments. Chers parents, il n’est ici utile de traumatiser l’enfant en invectivant l’écran. Il sera sans doute plus apeuré par votre réaction que par la projection de fruits et légumes.

Un Etat qui pense pour vous

Il est peu probable que le film soit déprogrammé. Il est même possible que cette mauvaise publicité lui rende service en attirant les curieux munis de leur carte UGC illimitée. Cependant, le délit d’entrave numérique à l’IVG, lui, indépendamment de ce qu’on peut en penser, sera peut-être interdit. Autrement dit, si vous créez un site internet qui veut convaincre les jeunes Françaises de ne pas interrompre leur grossesse, vous pourrez tomber sous le coup de la loi. L’Etat pense pour nous, ou plus exactement, les humains qui nous dirigent pensent pour nous.

Ce film et ce « délit d’entrave numérique » sont encore l’occasion pour les deux factions de s’opposer : les tradis contre les progressistes, une véritable saga en 25 tomes.

Logiquement, c’est à la « commission de classification » (pompeux patronyme) du Centre national du cinéma et de l’image animée, CNC (tout aussi pompeux) qu’il faut s’en prendre. Interdire un film d’animation aux moins de 16 ans aurait pu paraitre excessif. D’une façon ou d’une autre, on lui aurait reproché d’interdire le film à telle ou telle catégorie de spectateurs. Car, comme dans toute entité publique, le CNC, ce sont des gens qui travaillent, rendant des rapports que personne ne lit certes, mais qui restent épais, en police Times new roman taille 11.5 du plus bel effet.

Mais on peut rester perplexe devant le manque total de discernement dans cette affaire. Concernant cet orgie végétale, on se demande comment, devant une scène aussi explicite pour qui a déjà assisté à ce genre d’activité humaine, la commission de classification n’a pas pris la décision de mettre à l’abri nos petites têtes blondes. Alors quand dans le même temps, on nous informe à longueur de réclame sur les âges à respecter lorsqu’on joue aux jeux vidéo. Ceux qui visitent les salles obscures ont sans doute en mémoire la campagne de publicité PEGI « Il y a un âge pour tout. Il y a un jeu vidéo pour tous les âges ». Il semblerait que pour l’industrie du cinéma français, il en soit autrement.

Dans une société qui interdit tout, l’humain n’est plus rien car à chaque fois qu’il agit, il est surveillé, empêché. Ainsi, il n’agit plus. Il ne pense plus puisque l’État pense à sa place. Dans une société plus permissive, l’humain peut s’étendre, jouir d’une certaine liberté, agir, réfléchir à ses actes. Il peut recommencer à penser. Dans les deux cas, il en revient aux familles de se responsabiliser, que ce soit pour l’IVG ou pour aller voir un film contenant des scènes gênantes. Une loi prohibant ces déclarations anti-IVG ne fera enfin qu’encourager les individus à adopter des positions encore plus extrêmes à l’égard de ces enjeux. Cela ne fera qu’envenimer les choses.

Pour finir, nous vivons maintenant dans un pays où nos dirigeants politiques utilisent la liberté d’expression pour défendre le port du burkini et pour aider les jeunes femmes à avorter. 2016 n’était définitivement pas l’année de la cohérence en France.

 

 

 

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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