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Le samedi 30 juin 2018 est à graver dans le marbre des prouesses télévisuelles. Le « clash » entre Jean-Claude Van Damme et Marlène Schiappa a éberlué les téléspectateurs … Et l’interlocuteur le plus ridicule n’est pas celui que l’on pense.

Le lecteur de Philippe Muray est un grand masochiste. Il aime se faire du mal en regardant des émissions qui lui rappellent la prose du Maître toujours prompte à croquer les risibles travers de notre postmodernité. L’annonce de la présence de Jean-Claude Van Damme sur le plateau de Laurent Ruquier en même temps que celle de Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’égalité « femmes-hommes » (elle précisera au cours de l’émission que l’utilisation de ce barbarisme sert avant tout à respecter l’ordre alphabétique), fait indéniablement partie de ces menus plaisirs qui lui sont accordé.

« Elle est la tête de gondole de la téléréalité produite par Emmanuel Macron. Elle ne rechigne même pas lorsque Yann Moix évoque le ‘casting’ du gouvernement ».

Tout d’abord, les protagonistes. Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat donc, connue pour dénoncer le harcèlement de rue (sauf au niveau de la porte de la Chapelle) et pour traduire en français l’ensemble des truismes serinés à la fin du XXe siècle dans les campus américains. Elle est la tête de gondole de la téléréalité produite par Emmanuel Macron. Elle ne rechigne même pas lorsque Yann Moix évoque le « casting » du gouvernement. Marlène Schiappa est ainsi : légère, souriante et toujours prête à dégainer une astuce langagière inspirée de la presse féminine pour répondre à son interlocuteur : halte au mansplaining si vous tentez de m’interrompre ! De l’autre côté, Jean-Claude Van Damme, icône des années 80 et 90, star des films d’action de notre enfance. Belge d’origine et Américain d’adoption, célèbre pour ses digressions philosophiques comme pour son coup de pied sauté. Il incarne donc l’Européen devenu américain sans toutefois s’être laissé influencé par les passions tristes qui agitent le monde médiatique de l’oncle Sam.

JCVD et Marlène Schiappa : les vases non-communicants

Une ministre française, donc, fer de lance des théories américaines et un états-unien de cœur qui garde au fond de lui le côté rustre et machiste que Marlène Schiappa abhorre. Molière et La Fontaine en auraient fait leur miel. L’échange entre ces deux figures de la pensée contemporaine n’a en tout cas pas déçu. Leur non-communication est d’ailleurs plus significative que leur semblant de discussion.

« Certains engagements de Marlène Schiappa sont mêmes à saluer : le harcèlement de rue semble être un fléau qui dépasse l’entendement masculin. »

Les violences faites aux femmes doivent être dénoncées et combattues, comme toute forme d’inégalité. Certains engagements de Marlène Schiappa sont mêmes à saluer : le harcèlement de rue semble être un fléau qui dépasse l’entendement masculin et ses propos trouvent un écho remarquable parmi les femmes, même si tout ce qu’elle compte mettre en œuvre est illusoire et donc inopérant. Il est bon, parfois, de rappeler certaines évidences, avant de se montrer critique à l’égard des nouvelles icônes.

« La parole du rustre n’est plus audible. Elle n’est même plus à combattre, elle doit être réduite au silence. »

En tentant d’expliquer à la secrétaire d’Etat que sa femme avait fait le choix de rester à la maison pour s’occuper des enfants tandis que lui « ramenait le pain sur la table », Jean-Claude Van Damme a créé un malaise encore inconcevable il y a quelques années sur le plateau de Laurent Ruquier. Christine Angot, au bord du malaise et perdue dans ses citations de Marguerite Yourcenar, a failli en tomber de son siège. La colère de Marlène Schiappa consécutive à la prise de parole de « JCVD » à cause de son « mansplaining » montre qu’un nouveau point Godwin est né : l’accusation de machisme. La parole du rustre n’est plus audible. Elle n’est même plus à combattre, elle doit être réduite au silence. L’entretien était donc un modèle de non-communication entre deux univers qui se disjoignent.

Eloge de l’interruption

Jean-Claude Van Damme semblait pourtant être un interlocuteur à la portée de Marlène Schiappa. Il suffisait de le laisser se perdre dans ses propos pour créer un sympathique moment de télévision, au lieu de lui asséner anglicismes et interdits féministes de tous les côtés. Même Christine Angot – qui rêve toujours secrètement d’être Marguerite Duras – n’a rien su répondre d’intelligent au karatéka. Le nouveau féminisme montrait donc sa part la plus gênante : l’impossibilité de le contredire, de le nuancer comme de lui répondre. Un nouveau puritanisme teinté de mépris et d’arrogance. 

« Lorsqu’il n’y a pas plus la possibilité de nier comme d’arrêter la parole de l’Adversaire pour la contester, le totalitarisme n’est pas loin. »

La nouvelle mode de la dénonciation du « mansplaining » et autre « manterrupting » est dangereuse, pour ne pas dire nocive. Une discussion repose sur l’échange, certes, et l’interruption d’autrui fait partie intégrante d’un débat. S’alpaguer, se contredire, s’appréhender : tout cela est encore de la communication puisque l’interruption est toujours la promesse d’une autre idée et d’une remise en cause. Lorsqu’il n’y a pas plus la possibilité de nier comme d’arrêter la parole de l’Adversaire pour la contester, le totalitarisme n’est pas loin. Le nouveau féminisme n’invoque même plus l’élémentaire courtoisie pour rappeler au mâle son impolitesse, elle le réduit à son statut de mammifère dominant obsédé par la domination de la femme.

« Le piège de la haine, c’est qu’elle nous enlace trop étroitement à l’adversaire », note Milan Kundera dans L’Immortalité.

Dans Après l’histoire, Philippe Muray écrivait justement « La vieille Babylone est devenue Babyland ». Nos sociétés occidentales s’apprêtent à devenir de gigantesques nurseries au sein desquelles le mâle se doit d’être rééduqué sous peine d’être taxé d’infâme machiste. « Le piège de la haine, c’est qu’elle nous enlace trop étroitement à l’adversaire », note quant à lui Milan Kundera dans L’Immortalité. Tout a changé. Le monde qui vient, illustré par cette séquence télévisuelle, nous promet la méfiance généralisée et même institutionnalisée entre l’homme et la femme, et par conséquent l’éloignement des deux sexes. Si Jean-Claude Van Damme avait prédit cela il y a quinze ans entre deux fulgurances philosophiques, nous aurions tous ri de bon cœur. Aujourd’hui, rien ne semble perturber notre grande névrose collective. Ce qui aurait dû rester une farce est devenue une tragédie.

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Julien Leclercq

Fondateur du Nouveau Cénacle et auteur de "Catholique débutant" paru aux éditions Tallandier.

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