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Tout a commencé il y a déjà longtemps, où la télévision avait encore droit de cité. Des jeunes gens encagoulés débarquaient sur Canal+. Même si l’âge d’or était révolu, une lueur d’espoir avait percé les ténèbres humoristiques, à coup de caméras cachées et vannes ne redoutant plus les représailles moralisatrices.

Au milieu de tout cela, un homme avait attiré mon regard, un certain Julien Cazarre, plein d’énergie, se nourrissant des gens qui l’entouraient, y ajoutant un spectacle flamboyant. Cela ouvrait l’appétit !

Et puis un jour, un soir de juin 2010, je l’entends sur RMC, dans l’After, entouré d’un Brisbois toujours  agréable, d’un Larqué  surpris par la gouaille de l’artiste peintre, dont les mots provoquaient l’hilarité générale.

Des années plus tard, un portrait publié en 2014 dans le Nouveau Cénacle nous avait permis de nous faire connaitre auprès du personnage, avec la lecture d’une partie du papier par Gilbert, à l’antenne. Après cette pirouette radiophonique, un portrait de Daniel Riolo continuait de documenter la légende de l’After, qui s’achevait avec celui du chef d’orchestre, Gilbert.

Au moment où Cazarre sort son premier livre, Footage de Gueule, un ovni littéraire, entre bande dessinée et vannes de footeux, on se devait d’aller boire un coup avec lui pour parler de tout ça et plus encore. L’homme est bavard.

Nous voilà donc installés à une terrasse de café, pour refaire le monde, évoquer sa carrière, ses envies et ce qu’il peut penser en général du paysage médiatique français. Nous nous excusons par avance pour l’aspect peu structuré de l’interview, mais il s’agissait pour nous d’être dans un dialogue propice à bousculer les choses.

Connaissant Cazarre, nous n’avons pas été déçus.

Rémi Loriov : Je voudrais dans un premier temps revenir sur les débuts : comment tu t’es retrouvé à faire des caméras cachés avec des mecs pour Canal + ?

Julien Cazarre : Le parcours est très chaotique. Au départ on faisait du théâtre. Moi j’ai commencé en faisant de l’impro, à Meudon. Il y avait une troupe d’impro qui se trouvait là-bas, et moi je m’y retrouve par un pur hasard des hasards. Enfin bref, je m’entends bien avec les mecs, ça devait être vers 1996.

RL : La vache 1996, j’avais 9 ans.

JC : Eh oui 21 ans mon bonhomme ! C’est la même époque où tu avais Jamel Debbouze qui commençait. D’ailleurs on est né à peu près dans les mêmes années. On est la deuxième vague en fait. J’ai jamais fait de match d’impro avec lui mais j’avais des potes qui ont eu l’occasion de faire des matchs avec lui. A la québécoise, avec les maillots de hockey et compagnie.

Ensuite on a commencé à faire du théâtre classique. On partait régulièrement à Avignon pour jouer du Shakespeare, du Molière, du Brecht, du Racine. J’ai joué les Plaideurs de Racine en alexandrins mec, c’est dire ! Bonjour, bonsoir. On avait joué La nuit des rois de Shakespeare aussi. Je peux te dire, après l’impro et ça mon pote, t’as plus peur de grand-chose.

(Un adolescent passe devant nous, vêtu d’une veste de survêtement du club en question. NDLR). Oh merde un fan du FC Porto ! Ils sont bien les Portugais, je crois que c’est les mecs qui ont le plus d’autodérision. Le peuple du rez-de-chaussée quoi.

Bref, ensuite on a commencé à créer nos propres spectacles, on jouait à Sèvres. On tournait beaucoup et ça marchait bien. Et puis l’un d’entre nous, Thomas Séraphine, était vraiment une tête. Il avait poursuivi ses études, avec son DESS de droit audiovisuel et avait donc réussi à nouer tout un tas de contacts assez haut placés chez Canal du fait des master class dans ses cours. Pierre Lescure notamment.

Il s’est donc retrouvé à bosser beaucoup avec Canal+ et notamment Albert Algoud et Karl Zéro. On m’a proposé de bosser avec lui en tant qu’auteur pour Le Vrai Journal à l’époque, au début des années 2000.

On était d’ailleurs dans les locaux de Canal le soir d’avril 2002 où Le Pen était devant Jospin. A l’époque, on était les seuls à le savoir en avance. On voyait que tous les mecs étaient décomposés. Mais bon, nous on s’en branlait, on savait que Chirac allait le laminer au second tour.

Pendant cette courte période, on faisait le Contre journal après l’arrivée de Le Pen au second tour, qui était un peu une connerie, parce-que bon, après t’es plus humoriste, tu dis aux gens qu’ils ont mal voté. Tu fais une espèce de programme tv de résistance en sachant pertinemment que Le Pen va se prendre une branlée au second tour.

RL : Et la suite ?

JC : Ensuite, on a un plan avec la chaîne Comédie!, avec une émission qui s’appelait Défis et des garçons. Avec zéro thunes, mais on se marre. 10 X 52 minutes avec rien ou presque. Après on nous demande de faire une deuxième saison, on y va, toujours avec la fleur au fusil. Du coup on est repéré par un mec qui travaillait pour France 2, Olivier Delacroix.

On se met donc à travailler avec Delacroix sur une adaptation d’un programme, les Hyènes en 2004 sur France 2 : four absolu alors que ça a super bien marché en Argentine et en Italie. Mais bon, mal produit, mal monté et sur France 2 quoi : que des mauvais choix. Mais on se fait repérer par le producteur des Guignols. Ils nous aime bien et veut qu’on fasse un pilote pour Canal en mode caméra cachée incisive. Du coup, on fait Radio+,  un format un peu bâtard, qui attire l’œil de Bellmer. Il fait confiance au producteur des Guignols, parce-que bon c’est le producteur des Guignols, et on se lance dans Action Discrète en 2006. On fait des happenings. On monte en puissance.

Et quelques années plus tard, Action Discrète débarque au Grand journal, sauf qu’on se fait lourder au bout de 3 mois à cause du sketch sur le casting à la RATP. Le poinçonneur de Dachau, c’est pas passé. Le badminton à Cachan, ça, ils ont pas aimé non plus. Denisot était vraiment pas emballé. C’était pas très politiquement correct.

RL : Oui mais je pense que les gens intelligents ont pu en rire. Enfin moi ça m’a fait rire en tout cas. Ça veut aussi dire que les gens qui te lourdent pour ça pensent que les téléspectateurs ne sont pas capables de prendre du recul.

JC : Mais c’est le problème des gens de télévision en général tu sais : le fameux « moi ça me fait rire mais les gens qui regardent sont trop cons pour comprendre ».

RL : T’as jamais pensé à faire un one man show sur le foot ?

J’aime pas être seul sur scène, j’ai toujours été entouré de gens et je pense que je suis pas assez égocentrique pour faire ce genre de chose. C’est pas une question de difficulté, c’est juste que ça ne m’intéresse pas.

JC : Alors, non mais j’ai co-écrit une pièce avec deux potes que j’espère jouer l’an prochain, qui pour le coup n’a rien à voir avec le foot. C’est un truc historique, avec différents tableaux parallèles à l’histoire, la petite histoire dans la grande si tu veux. C’est aussi un peu politique sur différentes périodes de l’histoire.

Et puis j’aime pas être seul sur scène, j’ai toujours été entouré de gens et je pense que je suis pas assez égocentrique pour faire ce genre de chose. C’est pas une question de difficulté, c’est juste que ça ne m’intéresse pas.

Et puis le pire c’est qu’aujourd’hui, les gens avec trois blagues, ils te font un one man show. Comique de fin de repas c’est une chose, mais un one man show c’est autre chose, c’est beaucoup plus exigeant. Quand j’en regarde certains, je suis mal à l’aise pour eux. Quand tu vois le nombre d’affiches dans Paris, tu te dis « attends il y a tant de gens que ça qui sont drôles ? » Moi ça me dépasse.

RL : Du coup en parlant de ça, qui te fait marrer dans l’absolu ?

JC : Dans les mecs qui me font marrer, il y avait Dieudonné jusqu’à il y a pas si longtemps. Et puis Gad Elmaleh aussi jusqu’à il y a pas si longtemps non plus. Mais bon maintenant, j’ai l’impression qu’il rigole plus à ses blagues qu’il en fait. Maintenant il est plus dans la séduction, même ça reste un mec très bon. J’ai vu son truc sur Netflix, ça reste bon malgré tout. C’est pas aussi bien écrit qu’avant, c’est un peu feignant. Mais malgré tout tu te dis qu’il y a pas beaucoup de mecs qui ont son talent.

RL : Pourquoi cette absence des réseaux sociaux ? ça ne t’intéresse pas ?

JC : Ecoute, déjà j’ai eu un espace à la télévision, à la radio, sur les planches, pour m’exprimer. Faut arriver à quel niveau de mégalomanie pour considérer que, en plus de ça, faut avoir son twitter, son Instagram, son Facebook ?

RL : Et souvent on remarque dans ces endroits virtuels, pendant une « discussion », c’est en général celui qui a le plus de followers ou de RT qui a toujours raison. C’est finalement une question d’égo.

JC : Mais moi j’ai vu des mecs dire « attends t’as 3 followers qu’est-ce que tu me casses les couilles ».

Si j’y suis pas depuis le début c’est pas maintenant que je vais y aller. J’ai la chance, par mon métier, de rencontrer plein de gens. Je critique pas le truc en soi. Je pense qu’il y a des gens pour qui c’est utile les réseaux sociaux. Pour moi ça ne l’est pas. Ça n’aurait uniquement comme utilité de me branler, c’est-à-dire de passer mon temps à lire des tweets de mecs qui me disent « t’es génial » ou l’inverse. Bon les deux ne m’intéressent pas. J’en ai pas besoin. Je suis pas journaliste non plus, donc même pour les infos, j’en ai pas besoin.  Donc très peu pour moi.

RL : Revenons à ton bouquin, t’as jamais eu envie d’écrire justement quelque chose de plus sensé ou de plus structuré sur le foot. Je suis sûr que tu as plein d’histoires à raconter en plus. T’es abonné au Parc, tu traînes dans les tribunes, tu rencontres des supporters.

JC : Si bien sûr, mais bon c’est essentiellement une question de temps. Mais alors plus sous la forme d’un scénar que d’un bouquin. Mais j’ai besoin d’en sortir un peu du foot. Tu sais le problème c’est que comme je suis dedans, je bosse beaucoup dessus. Au bout d’un moment j’y prends moins de plaisir parce-que j’ai déjà la tête comme ça de ligue 1. Et quand j’ai envie de faire autre chose que ce que je fais à la télé, j’ai envie de faire autre chose qu’un truc sur le foot. Et quand je suis en dehors de tout ça, je m’éclate à écrire des trucs qui n’ont rien à voir. Par exemple la série sur laquelle je travaille qui n’a rien à voir avec le foot, qui est un thriller, j’y prends un vrai plaisir, parce-que j’ai la tête fraîche. En revanche, le jour où j’arrête de faire les émissions sur le foot, peut-être que j’aurais envie d’écrire quelque chose dessus parce-que j’aurais de nouveau la tête à ça et une vraie envie de le faire justement.

RL : Du coup tu continues les émissions de foot pour l’instant ?

JC : Oui, mais bon, je pense dans un an ou deux je vais changer de format. C’est-à-dire que je pourrais continuer à faire des émissions de foot mais dans une forme différente. Aller déconner sur le monde du foot d’une autre manière, pourquoi pas.

RL : Par exemple, malheureusement tu le fais pas assez souvent, quand tu vas faire le feu follet dans les coulisses des matchs de ligue 1 avant et après les matchs, c’était vachement sympa.

JC : Oui bah tu vois là je vais aller le faire pour le Metz-Marseille demain.

RL : Oui c’est à faire ça, ça met de bonne humeur ! Par exemple, un jour, tu es allé voir deux joueurs de Montpellier que tu avais chambrés dans J+1, Boudebouz et Dabo, sous-entendant qu’ils étaient gays dans ton segment « images pêle-mêle » et qui t’avaient  interpellé à ce propos en te disant « mais nous on a des femmes et des enfants ». Tu leur as répondu « Ah bon, mais à votre âge, faut niquer les mecs. » Les mecs ont éclaté de rire.

On sent vraiment une complicité qui fonctionne à merveille.

Et du coup, d’après ce que j’ai pu écouter ou voir de toi, j’ai l’impression que tu es un affectif. C’est-à-dire qu’au-delà de ton bagout, plus tu as d’atomes crochus avec les mecs avec lesquels tu bosses, plus tu es drôle. Et je crois qu’une de tes meilleures périodes, bon t’es pas Picasso non plus, c’était sur RMC. Et du coup quelle est l’émission dans laquelle tu étais le plus à l’aise ?

JC : Honnêtement, il y a l’After.

RL : 100% foot non ? Enfin moi j’en garde un très bon souvenir.

JC : Ouais je me suis marré à 100% foot parce-que je faisais un portrait et ça par exemple c’est un truc que j’ai pas beaucoup exploité finalement, parce-que j’en ai pas fait beaucoup et de créer un truc avec l’invité, ça me bottait bien. Tu vois, ça je le referais bien. Je trouve qu’il y a des mecs qui écrivent très bien les portraits, mais ont tendance à rester un peu trop dans leur texte. Ce qui m’éclate, c’est de faire vivre le texte en interagissant avec l’invité, par rapport à ce qu’il fait, réagir et tout. Parce-que tu vois ses réactions, tu peux rebondir, et ça tu vois ça m’éclate, en tout cas plus que de faire le portrait du mec sans lui adresser la parole.

Vraiment, c’est un truc je me dis je pourrais le refaire si je devais arrêter ça mais pas longtemps, mais bon, c‘est un truc qui m’a bien fait marrer.

Mais l’avenir pour moi, ce sera d’écrire une fiction sur le foot.

RL : Exactement, un truc qui a du cœur, je sais pas moi, une histoire de supporter, pas un truc méprisant.

JC : Mais attends, je suis trop un beauf du foot pour écrire un truc comme ça. Je pourrais jamais écrire un truc de ce genre. C’est aussi pour ça que les joueurs me pardonnent beaucoup de choses dans J+1, parce-qu’ils voient bien que je suis pas un mec qui regarde le foot de haut. Je suis pas un intello moi.

RL : Et est-ce que t’as conscience que t’es le seul à faire ce que tu fais ?

C’est aussi pour ça que les joueurs me pardonnent beaucoup de choses dans J+1, parce-qu’ils voient bien que je suis pas un mec qui regarde le foot de haut. Je suis pas un intello moi.

JC : Oui de facto. C’est souvent ce que je me suis dit. C’est plus facile d’être le meilleur quand t’es seul. T’es aussi le moins bon.

Mais j’ai un début d’explication à ça. La plupart des mecs qui font ce que je fais, déjà, ils adorent le foot. Parce-que si tu n’aimes pas le foot, ça marchera pas, les joueurs te font pas de cadeau. Il faut t’y connaitre. Mais vraiment. Si t’as toujours les mêmes références, Benzema, Valbuena ou Knysna, au bout d’un moment tu tournes en rond et ça passe à l’as.

Des mecs qui aiment le foot comme moi, il y en a, mais ça prend vachement de temps de faire ce que je fais ! Et les mecs qui pourraient faire ce que je fais, ils font du one man show. Des mecs comme Malik Bentahla, ou Lecaplain, ils sont quelques-uns comme ça. Mais ils ont pas le temps ! Ils remplissent les salles dans toute la France. Et inversement, si moi je faisais du one man show j’aurais pas le temps de faire ça. C’est une question de priorité. Et puis si j’avais voulu faire un one man show, j’aurais pas eu de mal à trouver un producteur, t’imagines bien. Dès que t’es un gars qui est passé 3 fois à la télé, on te propose un one man show. Regarde Ruquier, il avait fait une pièce de théâtre avec tous ses chroniqueurs, c’était blindé, parce-que les gens étaient passés à la télé. C’est simple, tu as fait de la télé, tu remplis les salles.

Et puis si j’avais voulu faire un one man show, j’aurais pas eu de mal à trouver un producteur t’imagines bien. Dès que t’es un gars qui est passé 3 fois à la télé, on te propose un one man show.

RL : Mais est-ce que les gens qui prennent cette direction avec ce genre de choses au fond d’eux, ils se disent pas à un moment « bon c’est vraiment pas terrible ce que je fais ».

JC : Ah mais détrompe toi, ça dépend ! Il y a plein de gens qui se disent, je fais un spectacle, je remplis les salles ça fait marrer les gens et ils sont contents. On n’a pas tous la même exigence face aux arts du spectacle, on a pas tous la même culture théâtrale ni les mêmes envies. Il y a pas que des cyniques, j’ai vu des gens qui sont persuadés de faire des trucs biens.

Interview réalisée le 3 février 2017

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Rémi Loriov

Rémi Loriov est un homme libre qui s'intéresse à tout. On dit souvent à son propos : "personne ne sait ce qu'il fait, mais il le fait très bien." Il aime les histoires.

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