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 Pendant les vacances d’été, les principales chaines de télévision et stations de radio travaillent, embauchent et peaufinent dans l’ombre leur sacro-sainte grille de rentrée, des succès annoncés aux déroutes imprévues. L’occasion leur est alors donnée de mettre à l’antenne des programmes estivaux, de l’énième rediffusion de TPMP à la grande messe du cyclisme en passant par le jeu léger et rafraîchissant à siroter pendant l’apéritif.

 Dans ce fourre-tout audiovisuel, certaines émissions tirent leur épingle du jeu. Celle des amoureux du cinéma n’est pas sur Canal +, encore moins à la télévision, mais à la radio et sur Europe 1. Depuis maintenant deux ans, Bruno Cras, le Monsieur cinéma de la station, donne rendez-vous à ses auditeurs chaque soir à 21H30 dans « secrets de tournages » où, pendant près d’une heure, il retrace le parcours d’un film considéré aujourd’hui culte en compagnie de son réalisateur. Dès lors les interviews, toutes construites sur un même schéma, permettent aux metteurs en scène de décortiquer les différentes étapes de création d’un film : l’idée du long-métrage, son écriture, le choix des acteurs, le financement, le tournage et enfin la réception à sa sortie.

 Si le choix des œuvres est arbitraire, il n’en demeure pas moins éclectique. De la comédie populaire (CampingLes randonneurs) au drame psychologique, (Harry, un ami qui vous veut du bien) en passant par le film policier (36, quai des orfèvres), Bruno Cras permet à ses auditeurs de découvrir ou de redécouvrir les films français qui ont fait ces 50 dernières années.

Jean-Jacques Annaud ? Un cinéaste fou

 Les réalisateurs présents en studio se prêtent alors avec plus ou moins de bonhomie, au jeu des questions-réponses du journaliste. L’on retrouve ainsi dans les propos de Claude Zidi le flegme d’un Philippe Noiret dans Les ripoux, le plaisir que nous prenons à l’entendre évoquer son métier, celui d’un cinéma « à l’ancienne » bien loin des contraintes d’aujourd’hui. Ou encore le franc-parler de Jean-Marie Poiré, alors invité pour Le père-noël est une ordure, qui relate avec emphase et propos savoureux le tournage en compagnie de la troupe du Splendid. Que dire de l’émission consacrée à Jean-Jacques Annaud pour son thriller médiéval Le nom de la rose ? L’image d’un cinéaste fou et obsédé par le moindre détail, n’hésitant pas au nom du réalisme, à faire intégralement construire le décor d’une abbaye du XIVème siècle, photos de monuments à l’appui.

 Tel un scrutateur devant le verrou de Fragonard, l’auditeur est l’espace d’un instant, le témoin caché d’une scène. À ce petit jeu, Francis Veber n’est pas avare en anecdotes personnelles, aussi réelles que cruelles. Quand d’autres se refusent à tout commentaire désobligeant, le réalisateur du Dîner de cons et auteur de l’ouvrage Que ça reste entre nous n’hésite pas à égratigner la bonne image dont jouissent certains acteurs. Le succès de l’émission réside donc dans l’échange, et quand celui-ci est moins prégnant, à l’image de la récente venue de Michel Hazanavicius pour OSS 117 : Le Caire nid d’espions, l’émission est alors le moyen d’écouter de nombreux extraits sonores du film.

Le long-métrage : miroir du cinéaste et d’une époque

 Si les metteurs en scène passent aisément d’une œuvre à un autre, il n’en demeure pas moins qu’ils ressemblent étrangement aux films pour lesquels ils sont conviés. Tels des miroirs, ils reflètent au mieux la personnalité du cinéaste. Ainsi, l’interview de Patrice Leconte fait écho au film Tandem, emprunts d’une certaine pudeur et de retenue, alors que la joie non dissimulée et le partage dont fait preuve d’Eric Toledano parcourt de bout en bout Intouchables. Bertrand Blier, quant à lui, est en parfaite symbiose avec les Valseuses, au discours anarchique proche d’un je-m’en-foutisme que l’on retrouve dans les personnages de Gérard Depardieu et de Patrick Dewaere. Le Septième Art se fait alors le miroir d’une société en pleine mutation, les cinéastes, des témoins privilégiés de cette époque.

 Mais le cinéma, c’est aussi l’engagement, à l’image de celui de Costa-Gavras, convié pour parler de Z et dans lequel il dénonçait le néofascisme d’alors, à travers la dictature des colonels instaurés en 1967 en Grèce. Enfin, invité pour son prémonitoire Dupont Lajoie, le cinéaste Yves Boisset trempe sa caméra dans le vitriol et n’hésite pas à filmer la montée du racisme ordinaire, plus que jamais d’actualité.

 Gageons que l’entêtant générique du clan des siciliens soit reconduit l’an prochain sur Europe 1.

 Pour ré(écouter) Secrets de tournages : http://www.europe1.fr/MediaCenter/Emissions/Secrets-de-tournages/

                                     Andrés Rib

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Andrés Rib

Ancien de la Sorbonne. Professeur de Lettres. Aime le Balto, et la Philo.

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